QUAND LE LAMA CRACHE
A ma mère, mon fils et mon petit-fils et à ceux qui naîtront…
INTRODUCTION
QU'EST-CE-QU'UN CHEMIN DE VIE ?
La vie sur terre est semblable à une route parsemée de pierres plus ou moins plates et bien ajustées. Sur les deux côtés de cette route, et légèrement en contrebas, coule une rivière chaude et attirante où il est facile de tomber car les pierres de la route sont parfois glissantes.
Si un seul pied touche cette rivière, il est aisé de ressortir et de continuer son chemin et l'eau sur le pied va sécher en marchant. Si les deux pieds tombent en même temps, il est encore facile de se rattraper et de retrouver son équilibre sur le bord de la route. Si le corps tout entier plonge dans cette rivière, l'obscurité recouvre tout et il faut faire un grand effort pour remonter sur la route pavée et sèche si le soleil brille encore. D'autant que nager dans cette rivière au goût de miel est très agréable et l'eau porte le corps. Il flotte et avance sans effort et plus longtemps il reste sous l'eau plus il veut y rester car il est plus facile de se laisser porter que de pousser avec tous ses muscles et l’énergie de son corps sur la route pavée, parfois glissante et venteuse des jours d'hiver.
Je suis restée sur la route malgré les difficultés et les envies de plonger dans cette rivière.
Aujourd'hui ma route est ensoleillée et bien pavée. Je ne risque plus de tomber dans l'eau. Mes pieds sont sûrs et mon corps est léger. Ma tête est souvent dans les nuages ; mes deux pieds ne perdent jamais le contact soyeux des pavés de ma route. Si vous me croisez sur cette route, interpellez-moi, racontez-moi vos ennuis, déchargez un peu de votre mal-être, de votre stress. Je ne vous donnerai pas de recettes miracle mais je vous écouterai.
Bonne route, bonne vie !
Il peut être pavé de fleurs multicolores,
De fruits sucrés et rafraîchissants,
De douces pluies et de vents caressants,
Il n’en reste pas moins un chemin pavé
Où les pieds nus glissent et dérapent.
A chaque insulte reçue comme une gifle
Je sens mon cœur tressaillir douloureusement
A chaque parole injuste lancée comme un javelot
Ma sérénité et mon sourire se pourfendent.
Que restera-t-il de ces mois déchirés ?
Que restera-t-il de moi ? L’essentiel,
Un joyau naturel, débarrassé de sa gangue de pierre :
La compassion.
LA COMPASSION
Tant que tu n’as pas marché
Sur les cailloux tranchants
De la souffrance
Tant que tu n’as pas dormi
Sur les galets brûlants
Du désir
Tant que ton esprit n’a pas explosé
En mille morceaux sous l’effet
De la colère
Tant que tu n’as pas pleuré
Toutes les mers chaudes
De la tristesse
Loin, très loin de toi
Se cachera le mot « compassion »
RETOUR EN FRANCE
Je suis revenue en France le 4 Mars.
Vendredi 5 Mars 2010
Je suis allée voir ma mère à l’hôpital. Lorsque je l’ai vue, petite vieille toute rabougrie dans le couloir, je n’ai pas supporté cette image. J’ai pris la décision de la ramener dans ma maison. La doctoresse m’a dit qu’elle pouvait sortir, que son problème d’œdème pulmonaire était résolu. Elle m’a juste dit : « si ça ne va pas chez vous, vous pouvez nous la ramener ! » J’ai été un peu surprise de cette invitation. Mais je voulais rentrer chez moi, je n’ai pas demandé d’explications supplémentaires. J’ai fait sa valise et nous sommes revenus, ma mère, mon fils et moi dans ma maison aux Fieux.
Mon fils est reparti chez lui à Bordeaux et je me suis retrouvée seule avec ma mère. C’était donc la première nuit qu’elle passait dans ma maison, dans la chambre que j’avais préparée pour elle depuis plusieurs années, mais elle n’avait jamais voulu quitter sa maison pour s’y installer.
Dépaysement complet : elle ne sait pas où elle est, me vouvoie toujours. Dans la nuit elle a cherché à faire ses besoins dans son seau, mais elle a pris le siège auto de mon petit-fils et la poubelle de la cuisine a eu aussi son compte… sans parler des pauvres w.-c. !
Au réveil, elle ne se souvient de rien quand je lui dis qu’elle a fait partout, elle s’offusque, disant que ce n’est pas possible !
La première journée est tranquille, à part qu’elle a eu du mal à me reconnaître. Chaque fois qu’elle me vouvoie, je le lui fais remarquer et elle se reprend même si elle ne sait pas que je suis sa fille.
Pour prendre ses médicaments parfois c’est tout à fait facile, mais quelque fois, elle les jette ; alors j’attends que le calme revienne dans son esprit et je les lui redonne.
Deuxième nuit difficile car elle veut absolument dormir avec moi. Je résiste autant que je peux, mais rien n’y fait alors je cède. Elle se met au lit, et à chaque moment vérifie s’il y a quelqu’un dans son lit près d’elle.
Le lendemain j’essaie de la doucher, mais je ne réussis qu’à lui laver les fesses (non sans besoin !)
Si quelqu’un vient, c’est un changement qui se produit ; ça l’agace, elle devient distante, nous laisse parler et ne cherche plus à parler avec nous.
Troisième nuit : même cinéma, alors je lui ai donné un calmant, mais elle insiste et j’ai bien vu qu’elle allait passer la nuit à faire du bruit. Alors, rebelote, elle rentre dans mon lit. Se lève à la moitié de la nuit et réclame à manger, car elle pense qu’elle n’a pas mangé depuis deux jours. Alors, à 2 h 30 du matin, je fais chauffer du lait et lui donne deux biscottes beurrées pour la calmer et elle revient dans sa chambre cette fois.
Quatrième jour, elle se lève à 7 h 30 et pas question de rester au lit. Alors tout le monde debout ! Je fais l’inventaire des crottes dans la maison, et comme chaque matin, je dois javelliser le w.-c. car elle en met partout : c’est à cause de sa couche – au lieu d’en changer, elle la remet et laisse tomber sur le sol le surplus. Bref, si la merde porte chance, c’est une grande chance qui m’attend !
Et ainsi, de nuits fractionnées, en jours tranquilles ou cahoteux, j’en suis à mon dixième jour avec elle 24h/24. C’est lourd, c’est énervant mais je me dis aussi que personne ne supportera cette vie, ni quelqu’un d’étranger, ni un proche car on ne peut pas faire autre chose ; c’est une garde permanente. Qui aurait le courage de faire ça ?
Si tout cela arrive, c’est que je dois en tirer quelques enseignements. Est-ce de la patience dont il faut que je m’arme ? Est-ce de compassion qu’il faut que je me remplisse ? C’est vrai que lorsque je la vois désorientée, demandant à mourir car elle n’a plus aucune raison d’être en vie, mon cœur se serre. Quelle souffrance dans ses colères ! Quel désarroi dans ses questions !
31 Mars 2010
Les premiers jours je les ai donc passés à nettoyer les waters, les poubelles et tout ce qu’elle salissait chaque nuit car elle cherchait à faire ses besoins dans son seau de nuit. Mais chez moi pas de seau de nuit ! Il faut que je la surveille lorsqu’elle va aux waters surtout de nuit, car elle peut enlever sa couche-culotte mais pas savoir la remettre alors c’est une avalanche de chocolat sur la cuvette du w.-c. et sur le tapis. J’en veux un peu à la doctoresse de l’hôpital car elle connaissait son comportement ; elle aurait du me prévenir pour que je me procure les couches-culottes dès ma sortie de l’hôpital avec elle. Mais personne ne m’a rien dit.
Toute la journée elle pose cent fois les mêmes questions : « Où est Dorian ? Il ne vient pas souvent nous voir ! » « On est où ici, quand est-ce qu’on va revenir où on était avant ? » « Quelle heure il est ? »
Au bout de quelques jours elle avait récupéré un peu de sa mémoire en ce qui me concernait : elle a su enfin que j’étais sa fille et que Dorian était son petit-fils. Pour Erel, son arrière-petit-fils, c’est encore un peu difficile trois semaines après, mais elle ne le connaissait pas suffisamment avant alors ça me parait normal.
Mon frère est venu il y a une semaine, alors là, on n’a rien pu y faire ! Pour elle, c’était un parfait étranger et je crois qu’on va avoir du mal à le lui remettre dans la tête car il n’est pas resté suffisamment longtemps. Comme il dit : « Elle m’a complètement zappé ! »
Ma cousine Josepha, qui l’a accompagnée tout au long des 15 jours de son hospitalisation, elle a eu du mal à se la remettre dans la tête aussi. Mais à force de lui parler d’elle, elle semble savoir par moment qui elle est. Par contre, savoir que c’est sa nièce, donc la fille du frère de mon père - j’ai essayé aujourd’hui de lui en parler - mais ça n’a pas marché. Elle ne se souvient que de son prénom, mais pas plus.
Sa sœur Grisette a téléphoné plusieurs fois, et lors de la dernière communication, elle lui a parlé normalement en sachant parfaitement que c’était sa sœur et que la prochaine fois c’est elle qui l’appellerait, etc.… parfaitement lucide.
Il y a quelques jours, je lui ai donné un tricot à faire et avec beaucoup d’hésitations, elle a commencé à tricoter. Pour la vaisselle, elle m’aide à l’essuyer mais se trompe toujours pour la ranger. En effet, même si c’est le buffet qu’elle avait dans sa cuisine qui est dans ma maison elle ouvre encore le tiroir de gauche pour chercher les couverts, car chez elle, c’était le tiroir de gauche. Donc, sa mémoire pas trop ancienne est encore active.
Elle commence à mémoriser où se trouve la salle de bains et les w.-c. Dans la journée, c’est facile, mais la nuit elle est encore bien désorientée. Par contre, depuis quatre nuits, c’est le calme. Elle se lève et va directement aux waters. Quant elle en ressort je la guide sinon elle tourne dans la pièce principale à la recherche de rien, mais elle tourne.
Les premières semaines, elle se levait toujours vers minuit. Elle allait aux waters, en arrosant copieusement toute la cuvette, le tapis et le carrelage, parfois les murs.
Une nuit j’ai été réveillée par une masse sombre près de ma tête – je dormais avec elle pour avoir la paix sinon elle ne voulait pas aller au lit – et j’ai eu la surprise de constater qu’elle était en train de faire pipi sur la table de nuit ! J’ai eu beau l’appeler, essayer de la faire lever ; elle est restée tranquillement assise sur la table de nuit en me disant que c’était les cabinets et qu’elle faisait pipi et que c’était bien là qu’il fallait qu’elle fasse pipi !! Bien sûr, ma réaction n’a pas été d’éclater de rire, j’ai du nettoyer tout à l’eau de Javel, qui sait l’heure qu’il était ? Je n’ai pas regardé. Mais, ensuite, en me recouchant je riais toute seule : c’est une situation que je n’aurais jamais imaginée !
J’ai décidé de noter sur un calendrier son comportement. Je l’ai classé de la façon suivante : un rond pour nuit calme, un carré pour nuit difficile, une barre horizontale pour jour calme et une croix pour jour difficile.
J’ai commencé le 27 Mars en constatant qu’on était autour de la pleine lune, je vais essayer de le faire sur plusieurs mois pour voir à quels moments son état se modifie.
1er avril 2010
Journée un peu difficile. Refus de changer sa couche avec énervement. Finalement j’ai réussi mais ensuite elle est restée énervée une bonne partie de la journée. J’ai pourtant essayé de l’associer à ce que je faisais : la cuisine, recherche de vêtements dans son ancienne maison qui jouxte la mienne, mais rien n’y a fait. Le calme dans sa tête est revenu juste avant le repas du soir.
10 Avril 2010
Je ne sais pas si je pourrais écrire longtemps dans cette ambiance de violence autour de moi. Ses dérèglements diurnes et nocturnes sont tellement imprévisibles ! Rien ne laisse prévoir ses réactions ; d’un état de calme elle passe à un énervement sans raison avec violence, même si je sens bien qu’elle essaie de se contrôler.
Je me demande pourquoi je vis cette situation ? Est-ce que je me sens obligée de supporter ces journées et ses nuits ? Est-ce qu’elle est plus heureuse de vivre près de moi ? Je l’oblige à faire un minimum de choses : se laver, se peigner, manger et dormir. Lorsqu’elle ne veut pas faire sa toilette ou changer sa couche, j’attends le moment opportun. Je crois que dans un univers hospitalier ou maison de retraite, même de luxe, on n’attendra pas ainsi son bon vouloir ; quand l’heure de la toilette sera là, ils n’attendront pas qu’elle soit d’accord pour la doucher. Alors je me dis que c’est encore d’autres traumatismes.
Ce matin, l’infirmière est venue lui faire une prise de sang et croyant bien faire, je le lui ai dit une demi-heure à l’avance et j’ai découvert qu’elle avait peur de la piqûre car à l’hôpital ils ont du lui en faire et elle se souvient (malgré son manque de mémoire) qu’elle avait eu mal. Alors elle a commencé à s’énerver et lorsque l’infirmière est arrivée elle n’était pas d’accord pour se faire piquer. Il a fallu attendre qu’elle se calme et l’infirmière a eu un peu de mal à faire son travail.
Notre docteur dit que lorsque ces personnes atteintes de cette maladie, vivent dans un environnement hospitalier, elles réagissent différemment. Elles acceptent plus facilement les soins mais je me rends compte qu’ici, en dehors de ses plages de calme, elle refuse ou elle accepte ce que je lui demande. Et je ne lui demande que le strict minimum.
Mon fils ne veut pas qu’on envisage la maison de retraite et moi je suis d’accord avec lui, mais est-ce bien la solution appropriée pour elle ?
Je vais essayer d’en décortiquer les raisons :
- D’abord, je reste convaincue qu’elle sera moins heureuse, enfermée avec d’autres personnes aussi malades qu’elles, qu’elle ne verra que des personnes âgées et le personnel soignant, qui ne sera pas toujours le même, alors où sera sa stabilité ? Où seront ses repères ? Bien sûr, elle s’habituera à sa nouvelle chambre, à sa nouvelle vie, à sa nouvelle nourriture, mais au bout de combien de temps ? Cela fait plus d’un mois qu’elle vit dans ma maison, et sa chambre lui est toujours étrangère. Si, effectivement, ça continue comme ça, qu’elle soit ici ou en maison de retraite, elle se sentira toujours étrangère quelque part. Et si j’étais capable de l’emmener en République Dominicaine (ce qui n’est pas le cas en ce moment) elle se sentirait encore plus étrangère car elle ne supporte pas de m’entendre parler espagnol ; lorsque mon amie Anna-Maria m’appelle, ça l’énerve au plus haut point. Sans parler du paysage différent et des gens différents, ça serait vraiment une adaptation encore plus difficile que de s’habituer à sa nouvelle chambre, alors qu’elle connaît la maison par cœur pourtant !
- Si elle reste là, même après que la vieille maison où elle habitait soit retapée, (si tant est qu’elle le soit un jour !) comment va-t-elle réagir à sa nouvelle chambre dans son ancienne maison ? Elle risque de faire le même cinéma qu’elle me fait maintenant, à savoir : ce n’est pas ma chambre, je ne veux pas coucher ici, je ne reviendrai pas ici demain, etc. Alors les énervements seront les mêmes, les crises seront les mêmes. Est-ce que je suis incapable d’accepter tout ce climat difficile ? Est-ce que je pense que je suis capable de la faire évoluer, de lui remettre un peu de sa mémoire perdue ? Même s’il est vrai qu’elle se souvient maintenant très bien de Dorian et de moi, cet acquis disparaîtra au moindre éloignement de l’un ou de l’autre. Ce qui revient à dire qu’il ne faudrait pas que l’on s’éloigne d’elle plus de quelques jours sinon tout le travail qui a été fait est perdu ? Mais quelle est l’importance qu’elle se souvienne de moi ou de son petit-fils ? Cela dérange qui ? Sûrement pas elle, puisqu’elle vit uniquement dans le présent ; ça nous dérange à nous, car on n’accepte pas de ne pas être reconnu par sa mère et sa grand-mère. Pourquoi ne pas accepter le travail de destruction que fait cette maladie ? Puisqu’on sait que c’est comme ça, qu’on n’y peut rien changer, autant l’accepter !
- L’autre conséquence de son maintien à domicile, c’est que je me sens prête à accepter de rester ici, près d’elle jusqu’à ce que mort s’en suive. Est-ce bien réellement ce que je veux ? Serai-je capable de supporter cette situation ? Rabâcher cent fois, si ce n’est plus, dans une même journée les mêmes réponses à ses mêmes questions ? Entendre ses mêmes menaces d’empoisonnement, de noyade, de fugue etc. est-ce une vie pour moi ? Qu’est-ce que je dois retirer de cette situation ? Si je vis cela, c’est qu’il y a forcément quelque chose d’important à apprendre : serait-ce la patience ? Il en faut pour supporter ces répétitions lessivantes ! Serait-ce la compassion ? Il m’en faut quand, en pleine nuit, elle fait partout et crépit le sol et les murs ? Je ne m’énerve pas, j’accepte sans rien dire de nettoyer et de la remettre dans son lit en espérant qu’elle ne va pas en mettre plein les draps ! La soigner, la laver, essayer de ne pas la contrarier, tout ça me parait être un bon exercice de compassion ! Serait-ce que, grâce à elle, je peux voir ma propre future déchéance ? Et ce faisant, l’accepter si elle doit venir un jour ? Comment je réagirais si ça m’arrivait ? Le sentiment d’être violée dans son intimité serait le même sans doute, être consciente de sa déchéance et de ne pouvoir y remédier, quelle frustration on doit ressentir, ou quelle colère ! Tout ça n’a peut-être qu’un seul but ; que j’accepte de voir la déchéance humaine sous l’angle le plus cruel : celui de la personne qui m’a donné le jour.
- Mettre un de ses parents en maison de retraite, en sachant pertinemment qu’il y aura souffrance, colère, frustration, tristesse, et d’autres sentiments perturbants, n’est-ce pas un manque de compassion ? un manque d’amour ? N’est-on pas capable de souffrir, nous, qui sommes en bonne santé, pour assurer un minimum de confort autre que matériel à ceux qui nous ont donné la vie ? Je repense aux paroles de Sebastian, juste avant mon départ de ma maison à Las Galeras : « il faut que tu t’occupes de ta mère, comme elle s’est occupée de toi lorsque tu étais bébé ! » Et il s’était mis à pleurer en me disant ça.
- Penser qu’elle va s’habituer, qu’elle va avoir de nouvelles personnes autour d’elle pour s’occuper d’elle exactement comme je le fais, est-ce une réalité ? S’occuperait-on réellement d’elle de la même façon ? Lorsqu’elle m’insulte, je pense qu’elle va insulter de la même façon le personnel soignant. Même s’ils en ont l’habitude, ça n’attire pas la sympathie. On ne s’occupe pas de la même façon d’une personne gentille, calme, que d’une personne acariâtre même si on sait que son comportement est passager. Il faut compter avec l’état d’énervement ou de calme de la personne soignante aussi. Je vois bien comment je peux moi aussi m’énerver lorsqu’elle pousse le bouchon un peu trop loin.
En conclusion, je sens que je dois l’aider à rester ici, ce qui veut dire que moi aussi je dois rester alors les conséquences vont être de plusieurs ordres :
- Mon mode de vie va changer et quelle sera ma réaction au bout de quelques mois de cette vie usante s’il en est ?
- Dorian va devoir faire des allers et retours à Las Galeras pour s’occuper lui-même de ses papiers et de la vente de ses terrains le temps que je reste ici, ou bien c’est lui qui viendra me remplacer ici s’il veut que ce soit moi qui fasse certaines démarches.
Je me donne encore un mois pour voir ici mon mode de vie et comment je suis capable de l’accepter. En mon âme et conscience, je sais que la mise en maison de retraite serait pour moi comme un autre abandon. Je dis un autre, car lorsque je suis partie vivre en République Dominicaine, elle l’a ressenti comme cela. Alors je ne me sens pas capable de lui en infliger un autre. Advienne que pourra ! La vie me dira bien si ma direction est bonne !
Toute cette souffrance que j’ingurgite à longueur de journées, quelles en seront les répercussions sur mon organisme, et au vu du karma, comment cela se traduira-t-il ? Est-ce que je n’accumule pas en restant près d’elle un peu plus de karma tout en croyant lui être utile ? La voir souffrir me fait souffrir donc je suis en train de m’enchaîner encore plus à elle. Est-ce cela que je dois faire ?
LA DEPENDANCE
Pourquoi mes mains ne m’obéissent-elles plus ?
Où sont donc partis mes souvenirs ?
Je suis à la recherche de quoi exactement ?
Je tourne, je marche, je piétine, je m’arrête, interdite :
Je ne sais plus après quoi je courre !
Des éclairs de colère, des coups d’épée de lassitude,
Des nuages d’angoisse traversent ma vie et se changent en indifférence.
Je m’assois, je m’assoupis, ma tête oscille vers le bas
Je ne sais plus où je suis, ni qui je suis lorsque je me réveille.
Je me relève, je regarde autour de moi, tout étonnée d’être encore vivante
Mais sans repères, sans désirs, sans joie ni tristesse,
Juste une immense fatigue qui m’enveloppe comme du coton.
Un rayon de soleil entre dans ma tête, venu de nulle part
J’ai soudain envie de sortir à l’air libre.
Je sors, je marche, tourne et vire sur la grande terrasse qui m’accueille.
Je sens la morsure du froid sec, je n’ai plus envie de rester dehors.
Je rentre, j’ai envie de faire quelque chose, de bouger, d’être utile :
Faire la vaisselle, balayer, déplacer des objets.
Je parle tout bas, je me parle et me réponds par des ahhhhhh ! D’accord !
Un sentiment d’exaspération monte en moi et me durcit le visage,
Mes yeux deviennent plus clairs et froids
Mes lèvres se serrent sur des dents absentes
J’ai envie de détruire tout ce que je touche.
L’envie de disparaître arrive car je ne sais pas à quoi je sers ;
Pour qui, pour quoi je vis : je souffre d’inutilité lancinante.
Lorsque le soir arrive la peur de la mort me tenaille :
J’ai peur d’aller au lit, peur de m’endormir,
Peur de mourir pendant mon sommeil.
Alors je retarde le moment, je m’énerve, je refuse de me laver,
Je décide de dormir sur une chaise dans le noir et d’attendre, mais quoi ?...
Pendant de longues minutes, parfois des heures, j’attends, mais quoi ?...
Je cherche mes lunettes et mon réveil pour les poser sur la table de nuit,
Je vérifie cent fois s’il fonctionne en le portant à mon oreille ;
Je cherche mon présent, je refuse le passé, je ne peux imaginer l’avenir.
Suis-je vivante ? Lorsque je me réveille en pleine nuit pour un besoin urgent
Je ne sais plus dans quel monde je suis, ni à quelle époque, ni avec qui.
Une lumière diffuse m’attire, je sais que je dois aller là ;
Je sursaute lorsque je vois apparaître ma fille près de moi :
J’avais oublié qu’elle était là. Je me calme et je reviens dans mon lit.
Une pulsion me fait me lever tôt le matin, j’essaie de m’habiller
Je ne sais pas par quoi il faut commencer :
Alors, au hasard, je mets mes vêtements en désordre
Pas question de me déshabiller !
Au petit déjeuner je mange avec plaisir, mais l’heure de la toilette
Est un supplice alors je la retarde et, lorsque je l’accepte,
C’est une violation de mon intimité – même si c’est ma fille qui me lave –
Je préférerais mourir et souvent des bouffées de colère me désarçonnent,
Me laissent essoufflée et j’ai du mal à retrouver mon calme.
Les heures s’étirent, alternées par des moments de calme et de tempête.
Dans ma tête les souvenirs s’effilochent au gré de mes humeurs ;
Ils surgissent dans le désordre : mon petit-fils est devenu mon fils ;
Mon arrière-petit-fils a du mal à entrer dans ma mémoire
Malgré les photos qui défilent ; mon fils est devenu un inconnu,
Je n’ai plus qu’une fille et un fils petit-fils qui me raccrochent à la vie.
Dimanche 18 Avril 2010
Voilà un mois et demi que je suis ici. Ce matin, en me réveillant, je gardais en tête le rêve que je venais de faire. Il était en relation avec le livre que je suis en train de lire, que j’ai presque fini. Mais en me remettant en mémoire certains détails du rêve, j’en suis venue à une suite logique bien surprenante.
Ma mère, avec sa mémoire en lambeaux, doit avoir une utilité quelconque sur ma progression spirituelle, j’en suis sûre. Depuis longtemps déjà, je prône, pour moi-même, et souvent pour les autres, qu’il faut vivre au présent, que ça ne sert à rien de ressasser les histoires du passé, que seul le moment présent est le plus important. Et que suis-je en train de vivre avec elle ici depuis début mars ? Je vis le présent avec la maladie d’Alzheimer, uniquement le présent.
De réflexions en déductions, j’en suis venue à élever ce qui m’arrive à une échelle un peu plus générale : au niveau de l’humanité qui est en marche. Vers quoi ? Je ne sais pas vraiment, mais elle est en marche, c’est sûr !
L’humanité se complaît dans son passé en lambeaux, avec un présent plus que chaotique et un avenir inimaginable, se tord dans des souffrances à sa mesure, ruant, déchirant, hurlant, se perdant dans des situations imaginaires nées de son esprit malade. Cette humanité est bien la sœur jumelle de la maladie d’Alzheimer.
Que veut dire tout ceci ? L’humanité entière est atteinte de cette maladie qui mange les mémoires, qui mange une partie du cerveau, l’empêchant de fonctionner normalement, l’empêchant d’atteindre d’autres rives, et surtout de progresser vers le transcendant où elle doit aller. Si cette maladie est difficile à supporter, aussi bien pour l’individu que pour l’humanité prise dans son ensemble, elle doit bien elle aussi avoir une raison d’exister !
Je franchis le pas qui m’amène à une conclusion bien surprenante, en tout cas pour moi : L’oubli du passé immédiat et d’une grande partie du passé lointain aurait-il pour but de s’ancrer uniquement dans le présent, pour ne vivre que pour et par le présent ? Les maîtres bouddhistes enseignent qu’il faut vivre et apprécier le présent, sans se perdre dans des avenirs possibles imaginaires, car ceux-ci nous détachent de notre réalité quotidienne, et c’est elle qui est la plus importante, c’est le seul moment qui nous voit réellement vivant car étant complètement dans l’action présente, dans la pensée présente, dans la vie présente.
L’humanité est peut-être en train de se donner une maladie qui l’obligerait à prendre conscience que l’oubli du passé est une bonne chose, pour ne s’intéresser qu’au présent et d’essayer de vivre en accord avec ce présent, quel qu’il soit.
Qui me suivra dans ce raisonnement ?
La plupart des personnes que je fréquente se projettent sans arrêt vers un futur immédiat ou lointain (il en est pour preuve les slogans publicitaires tels que : « préparez votre futur, votre bonheur futur, votre future maison, votre future retraite etc. » Tout semble s’organiser autour et pour le futur. Et le bonheur présent ? Et la maison présente ? Et les amis présents ? Et le moment présent ? A quel moment est-il pris en compte ? Lorsqu’une catastrophe arrive ! Uniquement quand l’événement est négatif ! L’humanité est-elle malade de son présent ? Elle se plonge sans arrêt dans son passé, en essayant d’en tirer des leçons pour vivre mieux, mais comme elle ne sait pas comment vivre bien au présent, comment peut-elle espérer vivre mieux un jour ? Le passé lui sert souvent de béquilles pour justifier, telle ou telle lubie ou telle ou telle envie ou mode du moment. Alors ressurgissent les acteurs, les écrivains, les philosophes, les penseurs, les modèles d’économie, les politiques qui vont servir la cause choisie à un moment donné. Tout ceci me semble tellement faux, hypocrite, distordu, compliqué et malsain.
S’appuyer sur le passé est une bonne chose lorsqu’on en retire une leçon, un enseignement, une direction, mais se servir du passé pour servir des intérêts privés, ou des idées en vogue, ou des lubies de milliardaires, où va donc cette humanité déshumanisée ? Cette soi-disant civilisation que je qualifie depuis quelque temps de débilisation me semble régresser à grande vitesse vers encore plus de matérialisation, vers plus de choses inutiles et superflues. Cette civilisation est en train de broyer, de hacher menu l’homme. Après l’avoir haché menu, peut-être qu’une essence en sortira ? Lorsqu’on hache menu un condiment, il libère bien sa bonne saveur ? C’est ce qui arrivera peut-être pour l’homme ?
Malade et hachée menu est donc l’humanité ? Mais avec la maladie doit venir le remède. L’homme ne se laisse pas mourir, c’est bien connu, alors il cherchera à se soigner un jour. Et vers qui va-t-il se tourner si toutes les sources auxquelles il s’adresse sont asséchées depuis longtemps ? A force de chercher à l’extérieur de lui un remède miracle, ne le trouvant pas, il finira bien par se tourner vers son intérieur à lui. Qui trouvera-t-il ? Un grand vide, une grande maison oubliée, rongée par la rouille des faux-semblants, un grand champ d’herbes folles envahi par les ronces de l’orgueil et de l’envie, des étoiles vacillantes, diffusant une lumière ténue prête à s’éteindre ! Alors le courage risque de lui manquer. Devant ces chantiers, devant ces efforts, devant ces difficultés, il peut bien sûr baisser les bras et se laisser choir pour mourir seul dans son coin, oublié du cosmos. Il peut aussi, heureusement, relever les défis et ses manches pour se lancer dans un travail salvateur, faire refleurir les fleurs de son champ, nettoyer sa maison avant de la repeindre, aspirer toutes les poussières qui empêchent les étoiles de briller dans son ciel qui finira par apparaître, bleu, scintillant, vivifiant et rempli de lumière dorée heureuse.
L’homme ne se laissera pas mourir, l’étincelle de vie en lui ne s’éteindra pas, il y aura toujours un peu d’espoir bien enchâssé dans un écrin de velours doux comme un souffle printanier. Il suffira de trouver (mais est-ce si simple ?) cet air chargé d’un bon oxygène, débarrassé des miasmes nécrophages, d’un peu de brise parfumée, et l’étincelle montera doucement dans la nuit, d’abord timidement, en éclairant faiblement les alentours, mais, comme un feu de paille bien alimenté, elle montera encore plus haut et rien ne restera dans l’ombre, tout sera mis en lumière. L’humain verra, devant ses yeux étonnés et émerveillés, les trésors qu’il avait relégués dans un grenier poussiéreux, mais les trésors en or ne peuvent pas tombés dans l’oubli, il y aura toujours quelqu’un qui saura les découvrir et les partager avec le reste de l’humanité.
Uniquement le présent, uniquement le présent !
Le passé est parti en lambeaux, flottant au vent de l’oubli,
Rien ne sert de vouloir le retenir, il s’en va, seul, sans se retourner.
Inutiles paroles chuchotées, inutiles bouts de chansons fredonnées,
Inutiles pensées de violence, inutiles envies de tout casser.
A quoi sert toute cette énergie qui me fait marcher toute la journée ?
A quoi servent toutes ces fureurs naissant sans raison dans ma tête ?
Jusqu’où je peux aller ainsi, vivant sans but, sans passé et sans avenir ?
L’issue inévitable est la mort, je le sais bien, alors pourquoi ne vient-elle pas ?
Il y a si longtemps que je l’appelle, mais elle ne m’entend pas !
Viendra-t-elle doucement quand je dormirai ?
Le même jour
Mon vase a débordé. En essayant de monter ma balancelle (la première achetée de toute ma vie !) dont j’étais si contente hier, ma mère m’a arraché un des montants des mains alors j’ai du tout laissé tomber et je suis allée me réfugier dans ma chambre ; j’ai pleuré comme une madeleine ! La soupape s’est soulevée un peu, ça m’a fait du bien.
Maintenant il est presque 7 h du soir et pour la première fois depuis qu’elle est revenue de l’hôpital, elle vient de se faire cuire une casserole de pâtes. Je la laisse faire, elle m’a proposé de manger quand j’aurais faim. On verra bien la suite, mais elle reprend du poil de la bête de jour en jour.
Est-ce que j’aurais le courage de lancer l’opération « maison de retraite » ? Malgré tout ce que j’endure pour le moment, je sais que je n’en suis pas encore capable.
Le même jour à 8 h du soir
La crise est passée, elle est redevenue elle-même, j’ai mangé avec elle en améliorant ses pâtes avec les rillettes de canard de Clothilde. Elle dit qu’elle est très fatiguée et ne comprend pas pourquoi. Elle est debout depuis ce matin 7 h, et elle ne s’est assise que pour manger. Tout le reste de la journée, elle s’est énervée après tout ce que la dérangeait. J’ai du mal à comprendre d’où lui vient cette force. Elle a soulevé du poids, la chaise longue toute neuve et le sèche linge qu’elle a mis à la cave en les soulevant. Sans parler des kilomètres qu’elle fait sur la terrasse et dans la maison ! C’est tout simplement incroyable. Elle va tenir comme ça encore jusqu’à 9 ou 10 h, ça lui fait donc 15 h d’activité non stop. De plus, la nuit précédente, elle n’a pas beaucoup dormi, elle s’est parlée jusqu’à au moins 1 h et demi du matin, car ensuite je me suis endormie. Mais à 7 h elle était déjà levée.
mardi 20 avril 2010
Ce matin, j’ai vu que c’était déjà détraqué, à 5 h et demi elle s’est levée pour aller aux toilettes, elle avait des vertiges. Mais elle s’est recouchée. Pas pour longtemps, je l’ai entendue se relever et je l’ai remise au lit. Pas pour longtemps encore, elle s’est finalement levée peu de temps après, je n’ai pas bougé, espérant qu’elle reviendrait seule au lit, mais non, elle s’est habillée et elle a commencé à chercher quelque chose à manger. J’ai laissé faire un bon moment, mais à 7 h je me suis levée. Elle avait mangé plusieurs yaourts (avec ses doigts) et caché les pots vides que j’ai retrouvés au fil de la journée. J’ai préparé le petit déjeuner pour elle et moi. Comme elle n’est pas allée faire caca depuis trois jours, je ne lui ai donné qu’un peu de chocolat dans son lait. Après avoir tourné, viré, pendant au moins 20 minutes, elle a mangé un demi-croissant. J’ai voulu lui dire d’aller aux toilettes, et elle s’est fâchée. Je lui ai demandé d’aller se laver car le docteur venait l’ausculter : ça a été la parole qui l’a mise en furie. Claquements de portes, agressivité, et prise de ses souliers pour s’en aller. Elle n’est pas allée loin. Le docteur est arrivé. Elle ne l’a pas reconnu et elle est partie dehors. Pas d’auscultation. Je pensais que sa prise de sang n’était pas bonne, mais le docteur dit que c’est normal à son âge. J’ai dit que j’avais pris la décision de la mettre en maison de retraite, il a rempli le questionnaire de la maison de Bordeaux en me disant qu’il pensait que c’était sans doute la meilleure solution : vouloir la garder à domicile ne fait pas forcément son bonheur. De plus, je ne peux plus la laver et jette ses médicaments encore trop souvent. Mais elle mange bien, dort bien, même si elle dit qu’elle ne veut pas manger trop pour ne pas grossir.
La décision dans ma tête est prise ; il ne reste plus qu’à la mettre à exécution ! Et c’est une autre paire de manches. Je vais aller voir d’abord l’établissement de Bordeaux, voir comment on peut s’y prendre, si on a droit à une ambulance pour l’emmener car il me semble plus facile de la mettre dans une ambulance que dans une voiture privée. Elle se sentira obligée de rester tranquille, alors que si on l’emmène, elle trouvera le temps long et voudra descendre de voiture en route, ça risque d’être un peu difficile.
Mercredi 21 Avril 2010
Visite hier de la maison de retraite de Bordeaux : magnifique construction dans un quartier calme et le prix est à la hauteur de sa beauté : 2400 € par mois à la charge des familles, à ça on enlève les 800 € de sa retraite, il reste quand même à trouver 1600 €. Donc on oublie !!
Visite demain de celle de Périgueux où il y a encore de la place. Le prix est plus bas : 1700 € à notre charge, donc on enlève ses 800 € de retraite il reste 900 pour nous, et peut-être que l’allocation logement viendra en déduction, donc ce serait possible. Le seul hic, c’est que l’établissement n’est pas sécurisé, donc elle pourra s’échapper. A vérifier si la surveillance est suffisante.
J’ai demandé un dossier aussi à l’hôpital de mon canton ; eux, demandent 1400 € mais il n’y a pas de place disponible actuellement et ils sont bien incapables de me dire le délai d’attente.
Le temps passe, rien ne se résout, ou du moins rien ne semble se résoudre. Mais est-ce bien le cas ?
Vendredi 30 Avril 2010
J’ai avancé un peu. La maison de retraite privée près des Fieux est presque d’accord pour la prendre. Le docteur est venu hier faire une évaluation de son état : il dit que c’est à peu près bon pour qu’elle puisse s’intégrer. On s’est mis d’accord pour qu’on lui dise que c’est pour faire des examens complémentaires pour soigner ses vertiges, mais elle n’a pas très bien compris et elle a répété plusieurs fois que ce n’était pas la peine, donc il faudra sûrement lui donner des calmants pour qu’elle accepte de dormir même une nuit là-bas.
Mercredi 12 Mai 2010
Beaucoup de recherches, beaucoup de visites, mais rien jusqu’à ce matin. Hier, je suis allée avec Josepha voir Souricette. Souricette connaît bien la maison de Beauséjour, alors ce matin, j’ai cherché sur l’annuaire leur numéro de téléphone, et… en feuilletant les pages des maisons de retraite je vois qu’il y en a une près de chez Dorian, alors avant d’appeler celle de Beauséjour, j’appelle celle-ci. Surprise ! Une place est disponible ! Alors branle-bas de combat : j’appelle Dorian, il va la visiter, et le résultat de sa visite est positif. Alors aucune hésitation, malgré le prix à payer. J’appelle mon frère pour savoir s’il est d’accord et s’il peut verser 600 euros par mois : il est d’accord. Alors reste le côté administratif. Le docteur veut bien remplir encore une fois un dossier médical et je rappelle la maison de retraite qui, elle, va se mettre en rapport avec lui, et elle me rappelle. Je sais déjà qu’elle va me dire oui.
La suite des événements est donc la suivante :
- Dorian vient après-demain nous chercher en expliquant à ma mère qu’on va chez lui. Ce qui est vrai et ensuite direction la maison de retraite et on verra bien ce qui va se passer. Je lui donnerai un bon calmant ;
- ensuite je rentre chez moi et je vais essayer de retrouver mon calme et de préparer mon retour chez moi sur ma colline. Je sais aussi que je vais me sentir mal car c’est encore un abandon que je dois faire, mais ma conscience est en paix malgré tout. J’ai essayé de tenir, mais ce n’est plus possible. Je sens que mes nerfs en ont pris un coup. Alors si ça continue c’est ma santé mentale qui est en jeu. Est-ce que j’ai le droit de me détruire pour permettre une vie plus heureuse à ma mère ? Si j’étais convaincue qu’elle soit plus heureuse avec moi, je le ferais, mais elle souffre de la même façon, qu’elle soit avec moi ou pas. Lorsqu’elle est désorientée, que je sois auprès d’elle ou pas elle ressent la même chose : c’est une angoisse quasi permanente, car elle n’a plus de repères. Les moments où elle est complètement dans le présent avec toute sa tête sont finalement rares, ça dure au mieux une journée et une nuit, mais après tout se dérègle, alors ce n’est pas vivable pour moi et elle souffre tout le reste du temps. En maison de retraite, elle va souffrir au début, car ses repères vont disparaître encore une fois, mais au bout d’un mois, ils reviendront. C’est ce qui s’est passé quand elle est revenue de l’hôpital. Ensuite, l’environnement médicalisé dans lequel elle va vivre lui permettra de vivre certainement sans crise de colère ni de violence. Ils ont l’habitude de faire face à ces comportements et le côté affectif n’est pas le même : pour eux, elle est une cliente et une malade, pour moi, c’est ma mère et la voir souffrir comme ça sans pouvoir y remédier me détruit peu à peu.
La réponse vient de m’arriver : la maison de retraite est d’accord pour la prendre. Vendredi à 14 h 30 mon fils et moi l’emmenons et nous la laisserons sur place.
Vendredi 14 mai 2010
C’était aujourd’hui ! Mais…. Dorian n’a pas eu le courage de venir nous chercher et encore moins d’aller ensuite à la maison de retraite. De mon côté, je crois que je suis dans le même état, même si cette nuit a été particulièrement difficile. Je crois bien que je n’aurais pas eu le courage non plus de la laisser alors qu’elle crierait qu’elle ne veut pas rester.
Ce matin je lui ai donné une double dose de son unique calmant, mais depuis elle ne parait pas plus calme que d’habitude. Je me demande s’il n’y a pas une accoutumance à ce médicament, car qu’elle en prenne un demi ou un entier, elle se comporte pareil.
En tous cas, on reste là, et le rendez-vous a été repoussé sans problème par la maison de retraite à lundi après-midi. D’ici-là, aurons-nous plus de courage ? Je ne crois pas ! Aura-t-elle envie d’y aller plus qu’aujourd’hui ? Sûrement pas ! Alors aujourd’hui ou lundi, c’est pareil. Sauf qu’on repousse pour gagner du temps sur une angoisse ou une culpabilité futures. Bref, je m’achemine vers un avenir aux Fieux avec ma mère démente. J’ai beaucoup de mal à me raisonner que c’est impossible, que je ne tiendrai pas, mais je sais aussi que la maison de retraite, si c’est une solution pour beaucoup de personnes, pour Dorian et moi, ça reste un abandon trop dur à provoquer.
Fais uniquement ce que ta conscience te dicte. Rien d’autre ! Si cette situation existe, c’est qu’elle a son utilité, mais il m’est bien difficile de savoir vers quoi elle m’entraine. On verra bien, il faut juste que je sois capable de supporter le quotidien et que je retrouve le goût de l’écriture et de la peinture. Mais pour l’instant, je me sens éteinte, sans force et je sais que mes nerfs peuvent craquer d’un moment à l’autre.
Lundi 17 mai 2010
Ce matin à 6 h 30 elle a eu un problème respiratoire : était-ce le cœur ou une grande angoisse comme le dit le docteur ? Nul ne le sait. Toujours est-il qu’elle ne va pas à la maison de retraite, j’ai annulé le rendez-vous de cet après-midi. A-t-elle su (comment ?) qu’on allait la mettre en maison de retraite ?
Dorian a vendu son appartement, alors il ne pense plus qu’à une seule chose : faire construire une toute petite maison à côté de la mienne pour qu’elle vienne vivre avec moi sur la colline à Las Galeras. Je sais que c’est une bonne idée pour ma vie, à condition que je trouve quelqu’un pour m’aider.
Alors on en est là. Les jours qui passent voient les événements et les décisions se modifier tour à tour. Combien de temps tout ça va durer ?
Vendredi 21 mai 2010
La vie m’a répondu : Le directeur de l’hôpital de mon canton m’a appelée hier matin en me disant que, finalement, dans une ou deux semaines, il y aura une place de libre pour ma mère. Les conséquences qui s’en suivent sont bien différentes d’il y a quelques jours :
- d’abord, je n’ai plus besoin de vendre ma maison, je peux la louer si je ne l’habite pas ;
- ensuite, si Dorian veut réparer la vieille maison y compris la cave, je lui fais la donation en nue-propriété de ces maisons avant la réparation, et ensuite je peux les louer à l’année ou pour les vacances ;
- si ma mère ne s’acclimate pas à la maison de retraite, je n’insisterai pas et elle reviendra vivre ici – ce qui entraîne que je resterai là, en la mettant de temps en temps à l’hôpital, pour m’aérer un peu et pour pouvoir aller sur ma colline bénie des dieux.
Le résultat, c’est que je garde mon bien immobilier et ça me donne un peu de revenus en plus de ma retraite l’an prochain qui ne sera pas plus de 700 €.
Si Dorian est d’accord, c’est certainement la solution intermédiaire, tant que ma mère est vivante. Ensuite, rien ne l’empêchera de vendre Les Fieux et de faire un autre projet à Las Galeras ou ailleurs. D’autres solutions existent aussi, toujours en réparant les vieilles maisons :
- Dorian investit 40 000 € et répare tout et fait deux logements très agréables, ou un seul qu’on fait communiquer, ce qui ferait une grande maison en pierre, facile à louer pour les vacances si on rajoute quelque part un petite piscine.
- Et, si ma mère ne veut pas rester à l‘hôpital, je la fais revenir et je reste le temps qu’il faut près d’elle, tout en m’aérant de temps en temps.
Cet investissement ne lui rapportera rien immédiatement, mais il pourra revendre sans problème ensuite.
On verra bien ce qui va sortir de tout ça.
Samedi 22 mai 2010
Il y a dix ans, à quelques mois près, mon fils et moi débarquions en République Dominicaine. Heureusement que j’ai tenu tant bien que mal une sorte de journal car, en le relisant, j’ai pu me rendre compte que ce que je suis aujourd’hui a été modelé par ce vécu d’une façon radicale et presque incroyable.
AVANT
Je vivais à l’occidentale, avec ses facilités et ses dérisions, mais aussi son mode de pensée lié au matériel, uniquement au matériel et à l’argent.
PENDANT
J’ai découvert pendant dix ans un mode de vie uniquement lié à la survie, avec ses précarités, avec ses questions liées au surnaturel, avec ses certitudes que nous avons le choix et le devoir de prendre des décisions qui mettent en jeu l’avenir de ceux qui nous entourent et de nous-mêmes.
APRES
Aujourd’hui, je crois avoir compris enfin ce que compassion veut dire : il m’a fallu toutes ces expériences, toutes ces souffrances, toutes ces nuits extraordinaires, toute cette violence liée à la maladie de ma mère pour qu’elle pointe le bout de son nez. Je vois la différence qu’il y a entre la compassion que j’éprouvais face à des situations vécues en République Dominicaine et la compassion que je ressens ici face à la souffrance de ma mère. Lorsque je la regarde, avec son visage buriné, avec ses poils au menton, son regard vide et avec sa bouche édentée, je peux enfin voir la créatrice de ma vie, comme je ne l’avais jamais vue. Je sais que, sans elle, je ne serais pas là, je ne serais pas devenue ce que je suis aujourd’hui. Alors, je sens monter un respect et une acceptation de cette vie, malgré les heures difficiles qu’elle me fait vivre.
Trois mois pratiquement de vie commune avec la folie à mes côtés, qu’on l’appelle Alzheimer ou démence vasculaire, c’est de la folie et pas douce par moment. Qui dira que je suis folle moi-même pour être capable de vivre ainsi, en circuit fermé, avec, comme seules ouvertures, les moments que me donnent mes amies, Souricette, Clothilde, et mes cousines Josepha et Juliette et Dorian et Erel.
Si je suis folle, c’est une folie drôlement forte en tout cas, mais les chiens ne font pas de chats !
Mercredi 26 mai 2010
Dorian reste sur son idée de vouloir faire une construction avec 5000 € et à l’amener là-bas. Pour çà, je dois aller chercher un chef de chantier et deux personnes pour me seconder dans la garde 24/24 h de ma mère.
Mais JE N’AI PAS ENVIE de ça, je sais que ce sera encore plus dur qu’ici ! Alors que cherche mon fils ? Est-ce qu’il se rend compte de ce que je vis ici depuis trois mois ? La folie de ma mère me détruit, bouffe toute mon énergie, je n’ai plus envie de rien, j’ai mal partout alors que je ne fais rien avec mes muscles !
Comment je dois résoudre ce problème ? Si je ne suis pas capable de la mettre en maison de retraite, je n’ai pas d’autre choix que de la garder ici ou là-bas ! Alors, est-ce que l’idée de Dorian est complètement folle ? Est-ce que je peux faire l’essai ? Dans ce cas, il faudra la ramener ici et après, le problème restera le même !
Quand est-ce que tout ça va prendre fin ? Est-ce que j’en viendrai à souhaiter sa mort ? Elle veut tellement mourir depuis si longtemps, elle le dit en tout cas, mais lorsque le moment viendra elle ne sera peut-être plus d’accord. Ce que j’endure ne peut plus durer, sinon je vais devenir folle moi aussi.
Pourtant, elle est restée calme cinq jours, c’est un record, mais moi je n’ai pas vu la différence sur mes nerfs, je m’irrite pour un rien, alors qu’elle soit calme ou pas ne change rien sur ma vie de tous les jours. Je dois quand même supporter ses insultes, lui laver le derrière, si elle est d’accord, sinon je dois supporter l’odeur toute la journée qu’elle traîne après elle parce que sa couche est remplie.
Dorian n’a pas conscience de ça réellement, il veut venir me remplacer, si je vais chez moi, mais s’il reste quinze jours, il comprendra peut-être, c’est peut-être ça qui va faire qu’il sera aussi d’accord pour la mettre en maison de retraite.
Qu’est-ce que j’ai appris en restant ici, confinée entre la télé idiote et ma mère folle ? Les documentaires que je regarde me font prendre conscience encore plus de la destruction massive de la planète, de son pillage et de l’inconscience de l’homme vis-à-vis de la terre. L’homme va disparaître, la nature secoue ses puces !
Alors à côté de cette prise de conscience, que valent mes trois mois de torture mentale ? Rien, ou si peu de choses en fait ! Je sais que rien ne dure. Ce que je vis en ce moment n’est qu’un moment, un clin d’œil si rapide que, au regard de la durée de ma vie, ça ne représente rien, absolument rien. Alors est-ce que je dois supporter encore un peu plus ce que je vis ?
Le côté positif, c’est que j’ai fait la vaisselle et fais le ménage durant tous ces mois par obligation et maintenant, lorsque je finis un repas, je me mets à faire la vaisselle sans me rebiffer ; le matin, je suis bien obligée de faire le ménage et je passe le balai espagnol. Si on cherche du positif dans toute situation, on finit par en trouver.
Jeudi 27 mai 2010
J’ai 59 ans aujourd’hui. Cette nuit j’ai très peu dormi et j’ai pris la décision qui s’est imposée à moi au fil de ces trois mois, quelles qu’en soient les raisons :
- JE RESTE LA POUR GARDER MA MERE
C’est-à-dire que j’accepte de refaire ma vie ici, aux Fieux, avec la folie comme compagne 24/24h. Certains diront que la folle c’est moi, pas elle, car peu de gens comprendront ma décision. Les seules personnes qui comprendront ma décision ce sont Anna-Maria, Rodrigue, Sebastian et les autres, mes amis Dominicains. Eux seuls disent qu’il est impensable de ne pas assister ses parents en fin de vie.
En tout cas, c’est ce que j’ai décidé. Donc, je ne vends pas ma maison, je ne retourne pas à Las Galeras, et ce, jusqu’à ce que ma mère rentre en maison de retraite de son plein gré, si elle refuse toute sa vie, tant qu’elle est capable en tout cas d’exprimer ses volontés, je reste là et advienne que pourra !
Voilà où la vie m’a menée, mais je sais que c’est ce que je dois faire, alors je le fais.
Je viens de réussir à l’installer sur la chaise longue, enfin. Elle a refusé de s’y asseoir depuis que je l’ai achetée. Et là, je viens de l’installer, elle est allongée et elle regarde la télé. Elle s’est mise à chanter, comme si elle avait compris que je ne repartirai pas.
Dimanche 6 juin 2010
Les événements se sont encore modifiés : depuis jeudi dernier ma mère est à la maison de retraite de l‘hôpital du canton. L’entrée s’est relativement bien passée, sans scandale. Dorian est venu le matin et tout au long de la matinée il a essayé de lui inculquer qu’à son âge elle ne pouvait plus rester toute seule et que je ne pouvais plus la garder seule car c’était trop difficile pour moi. Elle était d’accord, elle a mangé normalement et quand est arrivé le moment du départ elle s’est laissée faire. J’avais pris la précaution de lui donner double dose du calmant qu’elle a bu juste avant le repas, donc à 13 h 30 elle n’était pas énervée et nous sommes entrés à la maison de retraite sans problème.
L’ennui c’est qu’ils l’ont mise dans une chambre à 4 lits, dont 2 grabataires et elle va avoir plus de mal à se sentir chez elle. Depuis jeudi, je réclame une chambre à deux lits.
Le lendemain elle a commencé à faire des difficultés : elle a refusé de manger et elle cherchait à s’enfuir par le jardin en voulant escalader le grillage. J’ai assisté à des scènes que j’avais moi-même vécues – elle a envoyé valsé les gouttes de l’infirmière, qui s’est énervée et a appelé notre docteur. Celui-ci lui a confirmé qu’il ne savait pas quoi faire avec ma mère, qu’elle relevait de la psychiatrie. L’infirmière s’est calmée et m’a dit que c’était au centre psychiatrique qu’il fallait qu’elle aille si elle continuait comme ça. J’ai bien expliqué qu’il n’en était pas question : ou bien ils la gardaient ou bien je la reprenais et je cherchais une autre solution.
J’étais accompagné de Clothilde qui est auxiliaire de vie depuis des années et, elle aussi, a bien compris que, dans un cas comme celui-ci, si la famille n’est pas derrière, ils ne s’encombrent pas d’une personne difficile, ils l’envoient au centre psychiatrique pour la shooter, et ensuite ils la reprennent. C’est ce qu’ils ont fait avec Elodie, la sœur d’Yvelise ma voisine.
J’ai appelé Dorian et je lui ai expliqué ce qui se passait. Lui, sa solution, c’est de l’amener en République Dominicaine. Rien de plus, rien de moins. Cette solution, si elle est viable et avantageuse du côté financier, elle me fait peur. Je connais les difficultés liées à une vie avec une personne folle là-haut. Les risques liés à deux femmes seules sur une colline sont réels. Les bandits petits ou grands finiront par penser que nous avons de l’argent et ils essaieront de nous braquer un jour ou l’autre. Avec une personne âgée c’est encore plus facile.
Si je m’installais dans le village, par exemple, chez Anisette, je pourrais avoir une aide toute la journée et je serais libre d’aller sur la colline pour travailler ou me reposer. L’idée de Dorian est difficile à mettre en place mais pas impossible. Si la maison de retraite ne change pas ma mère de chambre et si elle continue à faire des difficultés, ils ne la garderont pas, donc il ne restera que cette solution.
Décidément, comme dit mon fils, ça va de rebondissements en rebondissements. Mais peut-il en être autrement ? Il s’agit de trouver une solution pour qu’une personne en fin de vie la finisse justement bien, sans être shootée par les calmants qui finiront par la rendre complètement légume.
Dorian a passé une annonce pour trouver une gardienne qui serait d’accord pour s’expatrier avec nous en République Dominicaine. Si la femme qui a répondu à l’annonce est quelqu’un de bien, je tenterai le coup, mais en me réservant la possibilité de la remettre en maison de retraite si ça se passe mal là-bas.
Mardi 8 juin 2010
Hier je suis revenue voir ma mère : elle était complètement fermée. Le visage crispé, elle ne parlait plus, le regard dur des jours où elle n’a plus sa tête. J’ai vu encore une fois la manière dont se comportent les aides-soignantes avec elle. Cela ne me convient pas du tout. Il a fallu que j’aille me promener avec elle sur le bord de l’étang et quand elle est redevenue normale, je l’ai ramenée à sa chambre et ensuite une aide-soignante l’a accompagnée devant la télé avec les autres et je suis partie.
Cette nuit, j’ai pris la décision suivante : si on ne la met pas dans une chambre à deux lits, je la sors et on l’emmène en République Dominicaine. Il n’y a pas d’autres solutions. Il n’est pas question qu’elle aille chez les fous. Et là où elle est, elle ne se sentira jamais chez elle. Elle va dépérir car elle ne mange pas comme avant. Elle n’a même pas touché aux bananes que je lui avais apportées, alors qu’elle les adore ; il fallait que je les cache pour qu’elle n’en mange pas toute la journée. Elle ne se sent pas chez elle et ce n’est pas en la laissant plus longtemps que ça va y changer grand-chose.
Alors j’ai appelé Anisette qui veut bien me louer sa maison pour 15000 pesos (300 Euros) par mois le temps de faire construire une petite maison, et il me restera à trouver les personnes compétentes pour s’occuper d’elle à plein temps la journée et moi je prendrai le relais la nuit. Voila vers quoi je m’achemine.
Après tout, si c’est possible, pourquoi ne pas tenter. Comme ça, je continue à vivre où je veux vivre, et Dorian a son terrain entretenu et ma mère peut vivre près de moi comme elle le souhaite.
Elle ne sera restée qu’une semaine dans la maison de retraite.
Lundi 14 juin 2010
Depuis jeudi je peux estimer que la vie est normale, presque normale. Mais ce matin, ça vient juste de se détraquer. Elle s’est levée très tôt et avait déjà mangé les croissants que Souricette m’avait laissés hier. Il ne restait qu’un pain aux raisins. Elle a pris ses médicaments sans problème, mais, à cause des collants qu’elle n’a pas trouvés, ça s’est détraqué. Donc ça devait déjà commencer à se détériorer et c’est le détail qui lui a permis de se mettre en colère. Mais ça peut revenir normal dans quelques minutes, ou bien ça va rester comme ça toute la journée.
Aujourd’hui l’assistance sociale va venir vérifier sa dépendance et je vais savoir si je peux bénéficier de la tierce personne pour la garder.
Jeudi 17 juin 2010
Les jours se suivent et se ressemblent un peu. Plus le temps passe plus je sais que je ne repartirai pas d’ici. Si ma mère vieillit bien, je vais rester là jusqu’à sa fin. Il me parait évident que je ne PEUX PAS repartir dans l’état où elle est. Je ne veux même plus imaginer l’amener à Las Galeras. Par moment, elle est tellement lucide que je n’ai pas d’autre choix. Elle ne conçoit pas la vie ailleurs ni sans moi. Ses repères sont ici, et même si elle vit avec moi, pour elle, je fais partie du paysage, donc pas question de la couper de ses racines. Je n’aurais pas le courage de la remettre en maison de retraite tant qu’elle est capable de me reconnaître et de reconnaître son environnement. Alors les dès sont jetés : je reste là jusqu’à…..
Que va devenir le terrain de Dorian ? Et mon chien et ma chatte ? Je dois les faire revenir dès que j’ai suffisamment d’argent pour faire toutes les démarches. Je dois m’inscrire au R.MI.I. qui ne s’appelle plus comme ça. Si je perçois 500 € par mois, je pourrais payer tous ces frais et partir 8 jours et revenir avec eux. Mais comme je sais que ça risque de prendre beaucoup de temps, je vais peut-être utiliser l’argent qui s’est accumulé sur mon compte à Bordeaux.
Dimanche 4 juillet 2010
Le 24 juin - jour où Yvelise m’a donné les sept épis de blés cueillis le jour de la Saint Jean qui assure de l’argent toute l’année – j’ai eu plus d’éclaircissements sur mes droits : l’assistante sociale m’a appelée pour me dire, qu’exceptionnellement, ils vont m’allouer une aide mensuelle qui pourrait aller jusqu’à 250 € pour me dédommager du temps que je passe à garder ma mère. Mais bien sûr, il faut utiliser les 450 € du Conseil Général en faisant travailler l’association du canton qui venait 1 h par jour pendant mon absence. Comme je ne veux pas que quelqu’un vienne 1 h par jour – puisque ça ne sert à rien, sinon à l’énerver encore plus au moment de la laver – j’ai demandé le cumul de ces heures pour en faire une journée ou plus. De cette façon, je pourrais m’échapper un jour entier, en sachant qu’il y a quelqu’un qui la surveille. Et finalement l’assistante sociale a été d’accord, elle va présenter toutes ces requêtes à la prochaine commission. Quand est-ce ? Je l’ignore, je ne l’ai même pas demandé.
L’autre jour, j’étais à cran alors j’ai demandé à ma cousine de venir me chercher pour que je passe une journée avec elle. Comme je lui avais donné la vieille pendule et qu’il faut la restaurer, j’en ai profité pour enlever le vieux vernis qui cachait les beaux décors. On a découvert de jolies peintures, mais le bois est bien abîmé alors il faudrait en refaire une bonne partie. Le lendemain, Souricette est venue et je suis sortie tout l’après-midi, j’ai ramassé des cerises et je suis rentrée un peu plus forte pour supporter les écarts d’humeur, les insultes et le chocolat partout.
Mais son état mental ne s’est pas amélioré : elle est restée détraquée pendant encore deux jours : il n’y a que hier soir que ça semble être revenu un peu normal – si l’on peut dire -.
Je n’arrête pas de me poser les questions, les mêmes depuis que je suis revenue et que j’ai constaté la difficulté qu’il y a à garder des personnes malades mentales de ce type.
A quoi sert toute cette souffrance ? La sienne et la mienne ? La sienne, par moment, elle en a conscience, mais la mienne, c’est à chaque instant que j’en ai conscience. Je n’ai pas un seul instant de repos de ce côté-là non plus. J’en viens à penser que cette souffrance doit déboucher sur quelque chose que je ne soupçonne pas encore, même si je suis persuadée qu’elle a un but infiniment précieux. Tous les jours qui passent mangent un peu plus la résistance de mes nerfs, je me rends compte que je m’agace pour un rien, que je m’énerve jusqu’à casser trois assiettes coup sur coup pour qu’elle se calme. C’est vrai que ça a était efficace, mais je sais que ce n’est pas la solution : répondre par la violence à la violence n’est pas normal. Mais ce soir-là, je n’ai pas trouvé la force de résister à cette bouffée de colère qui m’a submergée, alors j’ai jeté les assiettes, les unes après les autres sur le sol carrelé, et j’ai attendu qu’elle se calme. Ce qu’elle a fait ; elle a tout nettoyé, car une assiette contenait un reste de melon. Après son nettoyage, elle était calme. Mais moi non ; je suis allée au lit et elle s’est couchée toute seule, elle a fermé comme elle a pu la porte-fenêtre et le lendemain, elle ne se souvenait plus de rien bien sûr, et elle était calme, du moins en apparence car dans la journée, ça s’est re-détraqué.
Mes journées oscillent entre le nettoyage de la maison, les repas à préparer, la vaisselle, les lessives, bref, comme la vie d’une dominicaine qui se consacre à sa famille et n’a pas une minute à elle pour se reposer ou pour s’occuper d’elle. J’ai tant critiqué cette façon de vivre, que c’est peut-être le juste retour de ces critiques ! Après tout, ne suis-je pas convaincue que tout ce qui nous arrive n’est que le résultat de nos actions, paroles et pensées ? Si c’est ça le karma de ma vie dominicaine, j’avoue qu’il est très dur, mais si je résiste, il se purifiera. Ce qui voudrait dire que je suis en train de purifier mon karma récent. Je m’étais rendu compte que beaucoup de situations passées avaient été balayées par ce que j’avais vécu pendant ces dix ans passés à Las Galeras, mais il semblerait que je suis en train de découvrir que ce que j’ai accumulé de karma à Las Galeras, je suis en train de le nettoyer ici. Si c’est vrai, c’est une bonne nouvelle car moins il me restera de karma, mieux je vivrais dans cette vie-ci, et je renaîtrai dans un contexte plus facile la prochaine fois peut-être.
Si tout ce qui se passe en ce moment n’est que le résultat d’un karma si proche, cela veut dire aussi que je suis en train de me purifier petit à petit, même si je ne prends plus le temps de méditer. Les dix ans de solitude et de méditation ont peut-être porté leurs fruits, même si ces fruits sont un peu durs à digérer. Vivre avec ma mère n’est pas une mince souffrance.
En ce moment, il y a une retraite de neuf jours qui commence aujourd’hui à Lerab Ling et, si j’avais pu y aller, j’y serais allée avec beaucoup d’attentes car Sogyal Rinpoché y sera le dernier jour ; j’aurais voulu le rencontrer. Mais ce n’est pas possible, la prochaine fois, je vais essayer de trouver une solution, d’autant plus que Souricette est intéressée aussi. Je sais que c’est un chemin vers lequel je me dirige peu à peu. D’abord une retraite de quelques jours, et ensuite certainement une retraite plus longue pour continuer à apprendre et à comprendre vers où je dois aller.
Mercredi 7 juillet 2010
J’ai pris la décision de partir une semaine à Las Galeras régler les choses qui ne peuvent pas se régler de loin. Alors le 15 Juillet je reviens chez moi et je vais retrouver mes animaux et mes amis. Pendant ce temps c’est l’association des auxiliaires de vie qui va me remplacer : 3 h et demi par jour et une gardienne de nuit.
Vendredi 9 juillet 2010
Tout est réglé pour mon remplacement aux Fieux. Ce sera une bonne expérience pour savoir si on peut recommencer pour que je puisse m’aérer de temps en temps.
Ce matin j’ai fait un rêve très précis :
J’étais sur une colline qui ressemblait à la montagne qu’il y a plus loin, derrière ma maison de Las Galeras. Au sommet il y avait trois églises : une de fabrication ancienne et peu solide, une autre qui ressemblait plutôt à une obélisque - plus grande que la première -, et la troisième qui paraissait être construite en fer et béton et dépassait les deux autres par sa hauteur, mais le temps l’avait quand même malmenée car entre le rocher qui lui servait de socle et la construction elle-même on pouvait voir un espace, comme si cette construction aussi voulait tomber. Il y avait beaucoup de gens qui venaient visiter ce lieu, ça paraissait être des touristes et j’étais parmi eux, mais apparemment je vivais dans les environs et je connaissais ce lieu depuis longtemps.
Un grand orage se préparait, le ciel s’assombrissait, avec des nuages plombés qui roulaient au-dessus de nos têtes, mais les touristes ne s’en souciaient pas, ils riaient, visitaient, s’amusaient à courir en tous sens.
L’orage est devenu plus menaçant, et ça ressemblait plus à un début de cyclone qu’à un simple orage. Et soudain, tout s’est arrêté ; le vent a cessé, les nuages paraissaient immobiles. D’étranges couleurs sont apparues vers l’Est : des bandes fines blanches et orange partageaient le ciel comme en quartiers d’orange. Une trouée, du côté Est, avait une jolie couleur : blanc bleuté. J’ai dit : « c’est un cyclone, on est dans l’œil du cyclone, attention, il vaut mieux redescendre car on ne sera pas à l’abri dans ces constructions anciennes ! » Personne n’y a prêté attention ; les gens ont continué de s’amuser et de visiter.
Puis le ciel a commencé à bouger de nouveau : de petits nuages plombés prenaient la forme d’une cuillère de laquelle s’écoulait un liquide laiteux qui paraissait lourd comme de l’argent en fusion. Alors seulement les gens ont eu peur. Ce liquide descendait en formant comme des boulets devenant gris au fur et à mesure qu’ils touchaient le sol. Des jets de pluie concentrés se sont abattus sur la colline et ce fut la panique. Les gens ont commencé à descendre la colline. Je leur ai dit : « Prenez un minimum d’affaires avec vous et descendez ! » Je les accompagnais, mais je ne suis pas allée loin car, à ma gauche dans le ciel, côté Sud se dessinait une flèche immense dirigée vers le Nord. Cette flèche était rouge, noire et jaune, avec des rubans multicolores paraissant des plumes. J’ai pensé tout de suite que c’était une flèche décorée de cérémonie des Indiens d’Amérique du Nord. J’ai regardé un moment et suis remontée vers les trois églises. J’ai demandé aux touristes de regarder le ciel. Certains ont regardé, mais sans aucune admiration ni étonnement. Ils étaient trop préoccupés à descendre et à vouloir se mettre à l’abri des menaces venant du ciel.
J’ai fait le tour des trois églises et j’ai constaté qu’il y avait des gens dedans qui s’y abritaient. Un craquement sinistre s’est fait entendre et l’église obélisque s’est abattue de tout son long, ne touchant personne, mais la panique a repris de plus belle. Je disais aux gens de ne pas rester à l’abri de ces murs, que le cyclone pouvait tout emporter, que ça ne servait à rien de vouloir s’abriter dans ces églises déjà fragilisées, qu’il valait mieux descendre. On pouvait apercevoir des groupes entiers loin en contrebas. Certains ont commencé à descendre et moi avec eux, au milieu de grosses gouttes de pluie et des jets concentrés d’eau qui tombaient du ciel.
Et le rêve s’arrête là. Les couleurs de mon rêve sont magnifiques et j’ai dans les yeux le tableau : alors je vais essayer de le peindre ou de le dessiner pour pouvoir garder cette vision magnifique.
Dimanche 11 juillet 2010
Hier, Clothilde est venue. La journée s’est passée merveilleusement bien ; à aucun moment ma mère n’a perdu sa tête. C’en était même extraordinaire car elle a suivi toutes les conversations et y a participé.
Ce matin, par contre, c’est le contraire. Déjà au petit déjeuner j’ai senti que ça commençait à se dérégler. Je n’ai pas réussi à la faire laver en entier, elle s’est juste débarbouillée et seule, elle n’a pas voulu que je sois dans la salle de bains avec elle. Elle sait que la suite c’est de rentrer dans la douche, donc elle m’a fait sortir.
Et puis, j’ai nettoyé la maison, passé à l’eau de javel une chemise de nuit et un slip à elle, et des chaussures que ma voisine m’a données. Malheureusement, un nuage est passé et elle a voulu que je rentre immédiatement le linge et les chaussures qui séchaient. Je n’ai pas voulu puisque j’ai vu que ce n’était qu’un nuage. Alors ça a suffit pour tout re-détraquer dans sa tête. J’ai perdu patience, j’ai failli hurler et je me suis allongée sur mon lit. Il était 11 h 30 et voyant que je ne préparais pas le repas, elle est venue me dire, tranquillement, qu’il était presque midi, qu’il serait temps de manger bientôt. Je me suis relevée, la pluie bien sûr avait cessé, et j’ai remis les chaussures dehors – puisqu’elle les avait déjà rentrées - et j’ai préparé le repas.
Les assiettes sont sur la table, du colin avec des poivrons en purée et elle m’a dit qu’elle n’avait pas faim. Alors les assiettes sont là et je ne mangerai pas tant qu’elle ne voudra pas sortir de sa chambre où elle s’est enfermée.
Je suis allée m’allonger sur mon lit une fois de plus avec le livre de Sogyal Rinpoché que j’ai ouvert au hasard et voici le texte qui est apparu sous mes yeux, page 254 : « Est-il besoin d’en dire plus ? Les naïfs œuvrent à leur propre bien, Les bouddhas œuvrent au bien d’autrui : Voyez la différence qui les sépare.
Si je n’échange pas mon bonheur contre la souffrance d’autrui, je n’atteindrai pas l’état de bouddha et, même dans le samsara, ne connaîtrai aucune joie véritable. »
Et Sogyal Rinpoché continue ainsi :
« Réaliser ce que j’appelle la sagesse de la compassion, c’est voir avec une totale lucidité ses bienfaits, mais c’est voir aussi le tort que nous a causé son contraire. Il nous faut distinguer très exactement quel est l’intérêt de l’égo et quel est notre intérêt ultime ; c’est de la confusion entre les deux que naît toute notre souffrance. Nous nous entêtons à croire que la meilleure protection dans la vie est cet amour de soi immodéré, mais c’est le contraire qui est vrai. La fixation égocentrique conduit à chérir sa propre personne, ce qui en retour crée une aversion invétérée envers le malheur et la souffrance. Cependant, malheur et souffrance n’ont pas d’existence objective ; c’est uniquement notre aversion à leur égard qui leur donne existence et pourvoir. Lorsque vous comprendrez ceci, vous réaliserez que c’est en fait notre aversion qui attire sur nous toute l’adversité et les obstacles dont nous pouvons faire l’expérience et qui emplit notre vie d’anxiété nerveuse, d’attentes et de peurs. »
J’ai arrêté ma lecture, j’ai compris. Je suis venue écrire ceci et maintenant je vais manger et ma mère va s’asseoir pour en faire autant.
Dimanche soir
Effectivement elle s’est assise pour manger, sans problème, mais le calme dans sa tête n’a pas duré. Elle est allée faire la sieste mais au bout d’à peine un quart d’heure elle s’est relevée et je l’ai entendue marmonner en patois et de nouveau elle était détraquée. Alors je suis restée au lit même si je n’en avais pas envie et j’ai attendu. Mais ça ne s’est pas calmé pour autant : toutes les deux ou trois minutes, elle ouvrait la porte de ma chambre pour vérifier que j’étais encore là et, à chaque fois, elle m’insultait en patois doucement. Alors je me suis levée et je suis allée chez mes voisins qui m’avait invitée pour manger le gâteau d’anniversaire de leur fille.
Je suis remontée à 5 h passées, mais elle n’était toujours pas calmée : « je veux crever, il est temps que je crève maintenant, etc. » J’ai allumé la télé, mais ça l’a énervée, alors je l’ai éteinte. Je suis allée m’allonger sur mon lit pour lire. Impossible d’être tranquille, alors j’ai rallumé la télé et elle a semblé plus calme, j’en ai profité pour mettre les assiettes et on a mangé tranquillement. Mais elle n’était pas stable dans sa tête. Elle a refusé la moitié du chocolat glacé parce que, justement, je l’avais partagé. J’ai mis au frigo sa part car je sentais qu’elle allait la jeter dehors, même avec l’assiette. Et je suis restée devant la télé car je savais que je ne pouvais rien faire d’autre. Pourtant j’ai envie de dessiner le paysage et la flèche de mon rêve. Mais pour dessiner j’ai besoin d’être tranquille, alors je suis restée allongée sur la chaise longue en attendant que ça se calme, mais ça ne s’est pas calmé.
J’ai regardé la télé très tard et elle est allée au lit, mais à chaque moment, elle rouvrait la porte de sa chambre pour vérifier si j’y étais toujours. Alors j’ai éteint, je suis partie dans ma chambre, et elle est venue m’engueuler parce qu’il y avait de la lumière partout.
J’ai fermé ma porte, elle a claqué la sienne, et je suis là en train de raconter tout ça.
J’ai du mal à garder mon calme. Je sais que dans quatre jours je vais partir à Las Galeras, donc je sais que je peux essayer de résister à l’envie de lui crier dessus. Je sais qu’elle est malade, mais par moment, je sais aussi que ce n’est pas uniquement sa maladie : il y a aussi de la méchanceté, de la jalousie, de l’égoïsme. Je comprends aussi que c’est la manifestation de sa souffrance. Elle est malheureuse parce qu’elle est vieille, qu’elle se sent inutile, qu’elle n’a plus envie de rien et surtout elle voudrait toujours qu’on lui réponde « oui » à tout ce qu’elle veut. Comme les enfants de 2 ou 3 ans. Mais ça je ne sais pas faire, quand je dois lui répondre « non », je le fais.
Demain sera un autre jour, plus calme j’espère, car ce matin, quand ça a dérapé j’ai ressenti une douleur au creux de la poitrine, je ne sais pas si c’est un trop plein de hurlements retenus, ou une défaillance cardiaque, je me suis sentie si fatiguée après la douleur qui n’a pas duré plus d’un quart d’heure que j’ai pensé que ça pouvait être effectivement un problème cardiaque. Je vais aller au lit en sachant que je vais me changer d’air !
Mardi 13 juillet 2010
Le docteur est venu tout à l’heure pour renouveler ses médicaments. Il était bien stressé par son boulot. Apparemment il y a un manque cruel de médecins dans les zones rurales. Il m’a redit son impuissance devant une maladie pareille. Le seul soulagement pour les familles c’est de passer une « camisole médicamenteuse ». C’est ce qu’avait fait la maison de retraite de l‘hôpital. Décidément, cette société soi-disant civilisée ne l’est pas suffisamment pour trouver une solution adéquate à ces détresses humaines. Comment peut-on remplir sa vie de choses inutiles et de gadgets débiles et ne pas pouvoir résoudre ce phénomène de dépendance en respectant la personne âgée ? Tous les discours laissent croire que c’est le respect de la personne âgée qui sous-tend toute la société civilisée, mais tout ça, c’est du pipeau ! Des avalanches de mensonges pour se donner bonne conscience ! Je suis écœurée par cette hypocrisie ! Vivement que je puisse quitter cette société !
Lundi 26 juillet 2010
L’essentiel (lait – sang – ciel) blanc – rouge – bleu (eau – terre – espace) Laid – sans – ciel : la laideur de cœur n’a pas de ciel
L’essentiel serait donc l’eau, la terre et l’espace. Et le corps humain ? Dans la terre, venant de la terre et y retournant sans fin. Les trois éléments essentiels.
Vendredi 30 juillet 2010
Je suis revenue depuis une semaine aux Fieux et les premiers jours m’ont paru assez faciles, malgré quelques énervements de part et d’autre.
Plus les jours passent, plus je suis convaincue que mon état d’esprit (calme ou énervé) est la clef pour pouvoir vivre presque normalement avec elle. En effet, si je reste calme, et pas seulement en apparence - il m’est facile de paraître calme alors que je suis bouillonnante à l’intérieur - calme à l’intérieur de moi-même, avec la pleine acceptation de cette situation, avec la compréhension difficile mais nécessaire de son comportement, avec sa mémoire défaillante et ses angoisses provoquant des sautes d’humeur changeant d’une seconde à l’autre, alors seulement elle redevient tranquille. Bien sûr, parfois, cette tranquillité est fragile, je dois la consolider sans arrêt.
Je lui demande de m’aider à plier les draps secs, d’ouvrir la porte, d’essuyer la vaisselle, d’éplucher les légumes. Quand elle accepte de m’aider avec plaisir je sais que c’est gagné, c’est que son esprit s’est vraiment calmé et les heures qui suivent sont normales.
Hier, ce fut le cas, j’ai passé la journée entière à me contrôler et à calmer ses débuts d’énervement ou d’agressivité avec ses phrases habituelles : « je veux mourir, je veux disparaître, je veux fuir, je vais m’empoisonner, comme ça vous serez tranquille ! »
Cette nuit, comme elle n’arrêtait pas de parler seule dans son lit, en faisant les questions et les réponses, je me suis approchée sans allumer la lumière pour essayer d’entendre la conversation. En fait, elle jouait deux rôles : le sien et celui d’une autre. Elle disait toujours aaahhhhhh ! D’accord !...... J’en ai déduis que les phrases prononcées par l’autre, c’était peut-être sa propre mère (avec qui elle a vécu jusqu’à l’âge de trois ans à Paris) ou bien sa mère adoptive.
Je pense que c’était sa mère biologique car le sujet était la commune où elle a été élevée et le nom d’un petit village dont elle disait qu’elle avait oublié le nom. Sa mère avait placé ses deux filles dans un petit village de Dordogne, il m’a paru probable qu’elle jouait le rôle de sa mère. Je ne pense pas que ce soit un jeu de rôle même inconscient mais plutôt l’esprit de sa mère qui est en contact avec elle. Lorsqu’elle avait fait un infarctus, il y a de nombreuses années, elle m’avait raconté qu’elle avait vu sa mère et ça l’avait très étonnée car elle ne se souvenait plus d’elle et pourtant elle l’avait appelé « maman ».
Je suis restée quelques minutes ainsi à écouter, dans le noir, mais elle a du sentir ma présence car l’autre personne a dit : « je vais te le dire doucement maintenant » et en effet, elle a baissé la voix et je n’ai pas pu entendre la suite, à part les « aaaahhhhhh ! D’accord ! » toujours plus accentués que les autres phrases.
J’en suis venue à expérimenter dans la pratique ce que j’ai appris en lisant. Je sais que nos pensées « sortent » de nous sans arrêt, elles se projettent autour de nous et se mêlent à celles des autres, qu’ils soient loin ou près de nous.
Ici, pratiquement en vase clos, mes pensées heurtent celles de ma mère sans arrêt. Si c’est une pensée de paix, de joie, de compassion, je me rends compte qu’elle influence directement ma mère, même si elle est à ce moment-là dans un de ses délires verbaux. C’est une folie, un dérèglement, un fractionnement de son esprit, tout ceci venant sans doute de tous les traumatismes de son enfance, de son adolescence et sans doute au-dessus de tout ça, à cause de ses vies passées.
Heureusement qu’elle m’avait racontée un peu son enfance et son adolescence, j’ai pu faire certains rapprochements avec ses peurs, ses angoisses, ses idées fixes, ses refus catégoriques et furieux. Par exemple, la peur viscérale de l’orage vient d’une boule de feu qui était entrée dans la maison où elle a été élevée dans le petit village dont elle parlait cette nuit. Cette peur n’a jamais été expliquée, personne n’a pris le temps de lui guérir cette souffrance. A cette époque, le mot traumatisme n’existait pas dans les campagnes reculées de Dordogne. Il lui en ait resté une manie de débrancher tout appareil électrique, quel qu’il soit, frigo, machine à laver, ordinateur, téléphone ou télévision. Son refus du mot « sale », même dans la prononciation du mot « salle de bains » vient d’une situation de son adolescence : là où elle a été placée en sortant de l’école, on lui a appris à laver, et elle a vécu une situation qu’elle n’a jamais pu oublier. Elle se souvient que les chaussettes étaient pourtant propres et rincées, mais elle avait oublié de les mettre à l’envers avant de les mettre à sécher, comme on le lui avait appris. Alors sa patronne l’a faite revenir plusieurs fois de suite au lavoir (sans lui expliquer pourquoi) pour relaver ses chaussettes. Elles étaient forcément propres. Elle a enfin compris ce que l’on attendait d’elle : c’était de les mettre à l’envers. Sa peur de ne pas avoir assez à manger vient sans doute des années difficiles qu’elle a connues pendant toute sa vie, que ce soit pendant la guerre, pendant ces années de cultivatrice ou ensuite quand mon père est devenu manœuvre avec un petit salaire. Elle demande sans arrêt s’il y a à manger pour le repas suivant ou pour le lendemain.
Dimanche 1er août 2010
Cette nuit a été un peu difficile : elle est allée au lit presque sans difficulté, mais elle s’est mise à parler toute seule et cela a duré jusqu’à plus d’une heure du matin. J’ai du plusieurs fois lui expliquer qu’elle était chez elle, chez moi, qu’on était aux Fieux. Et sans arrêt elle me demandait « qui allait venir la chercher demain matin ». Son traumatisme dû aux deux séjours – à l’hôpital de Périgueux et la maison de retraite de l’hôpital du canton – était dans ses discussions avec elle-même, mais là, il semblait y avoir trois personnes. Je me suis levée, sans allumer la lampe, pour écouter des divagations : « Ici, tu es presque chez toi » « je vais t’expliquer ce qui se passe » « aaaaahhhh ! D’accord ! » et selon les phrases, l’intonation était très différente. Quand elle disait « je vais t’expliquer » elle parlait calmement et doucement, mais quand elle demandait « est-ce que ma famille sait où je suis, Yvette et Dorian ? » elle parlait avec de l’anxiété dans la voix. Il n’y a que les « aaaaahhhh ! D’accord ! » qui sont toujours dit comme un grand soulagement d’avoir compris, enfin, quelque chose.
Ce matin, elle était redevenue calme, comme si elle avait passé une nuit tranquille à dormir.
Lundi 2 août 2010
En prenant ma douche ce matin, plusieurs évidences me sont tombées dessus. Je pensais : « cette eau m’enlève toutes mes colères, tous mes énervements, toutes mes impatiences » Et de goutte d’eau en goutte d’eau, mon esprit continue à jeter son regard sur mes années passées. Au « Connais-toi toi-même » de Socrate, je voudrais rajouter « si tu te connais toi-même, tu comprendras mieux les autres ».
La télévision allumée agresse mon attention et la voix du dessin animé me traverse les oreilles et bouche toute autre possibilité, alors je renonce à écrire, je continuerai un autre jour.
Mardi 3 août 2010
La journée d’hier est passée sans aucun énervement, ni de son côté, ni du mien. Je l’écoute encore parler la nuit pour savoir son état d’esprit. Elle ne s’est pas endormie avant 1 heure du matin et elle s’est levée avant 7 heures. Mais elle était calme et dans ses dialogues elle a expliqué, ou l’autre personne lui a expliqué qu’elle était chez elle, enfin presque chez elle, que tout va bien etc.…
J’en conclus qu’elle a enfin assimilé que je resterai là jusqu’à la fin de sa vie. Elle perçoit mon comportement tranquille et serein et elle se calque sur mon comportement. Si je veux qu’elle dorme, il faut que j’aille aussi au lit en même temps. Si je veux qu’elle mange, il faut que je mange en même temps. Elle s’identifie à moi et dans sa tête ça se mélange un peu, mais l’important c’est qu’elle ne fasse plus de crise d’angoisse ou de crise de nerfs. La vie ainsi est supportable.
Je vais pouvoir rajouter à mes professeurs Dominicains, l’autre professeur de taille qui est à mes côtés. Si je n’avais pas vécu en République Dominicaine, je n’aurais peut-être jamais compris que la vie met devant nous les personnes qui doivent nous aider à faire un travail intérieur indispensable si l’on veut évoluer vers le bonheur et atteindre une certaine sérénité.
J’ai découvert ainsi que toutes mes réactions et comportements depuis le mois de mars suivent un cheminement particulier.
En mars, lorsque j’ai vu ma mère dans l’état où elle était à l’hôpital, j’ai refusé cette image de la déchéance qu’elle me renvoyait. Devant sa détresse je ne pouvais pas faire autre chose que de la sortir de cet endroit au plus vite.
Ensuite, notre vie commune a été presque un enfer car mon refus de sa déchéance s’est trouvé doublé par son refus à elle d’être dépendante. Son intimité était agressée et elle refusait tout en bloc pour montrer qu’elle existait en tant qu’être humain et non comme une chose qu’on soignerait par obligation.
Au mois de mai, du refus, je suis passée à la colère. Cette colère m’a fait beaucoup de mal, mais certainement encore plus à elle. Dans sa confusion, elle comprenait très bien que c’était sa maladie qui provoquait mon exaspération, alors elle réagissait avec ses moyens primordiaux (refus ou trop-plein de nourriture, refus des médicaments, incontinence totale, refus de se tenir propre - comme fait un enfant qui ne peut pas s’exprimer-). Ma décision de la mettre en maison de retraite l’a encore une fois bousculée. Son séjour de 8 jours m’a permis de prendre conscience de la façon dont on s’occupe des personnes dépendantes. Toutes les structures ne se ressemblent pas bien sûr, mais le dénominateur commun, c’est quand même de calmer au maximum les personnes dépendantes trop énervées. Le manque de personnel accroît encore l’impression d’abandon que l’on éprouve.
Après m’être bien prise le bec avec les personnes qui l’environnaient, je n’ai pas pu supporter plus longtemps cette nouvelle déchéance. Le trop plein de calmants et l’impuissance de cette structure m’ont mise en colère et son retour aux Fieux était évident pour moi.
De la colère j’ai glissé doucement vers la compréhension, même si certains jours étaient particulièrement difficiles. Mon nouveau comportement a eu pour effet de modifier aussi le sien. L’opportunité de partir 8 jours à Las Galeras est tombée à pic. J’avais besoin de me ressourcer sur ma colline, même si je n’ai pas habité dans ma maison. J’ai revu mes amis Dominicains, j’ai revu mes animaux, j’ai réglé quelques détails et je me suis sentie prête à revenir aux Fieux avec un autre état d’esprit. Savoir que mes animaux vont me rejoindre m’a mis du baume au cœur. Je sais qu’ils vont m’aider et ils pourront être heureux aussi ici près de moi. La campagne de Dordogne n’est pas la colline, mais ils y trouveront leurs marques.
Depuis mon retour, donc, ce n’est plus la colère qui gicle de mon âme, mais une compréhension tranquille et une acceptation de son état de santé et de mon devenir. A chaque fois qu’elle commence à se demander si je vais repartir, ou si quelqu’un va venir la chercher, je lui explique que je resterai ici avec elle jusqu’à la fin de sa vie. Je crois qu’elle l’a bien compris maintenant. Il ne reste qu’à lui enlever ses angoisses quand vient le soir (aux alentours des 6 h). Il y a souvent un énervement sans raison. Depuis deux jours je m’arrange pour lui donner quelque chose à faire autour de cette heure, et le dérèglement ne s’est pas produit. Elle s’intéresse à la télé et me pose des questions lorsqu’elle ne comprend pas un mot ou un paysage. Ce qui amène un peu de nouveauté dans sa vie et lui fait oublier le fait qu’elle n’a plus de mémoire. Un jour, elle acceptera ce fait, de ne plus avoir de mémoire, d’être vieille et d’être dépendante des autres.
Cette acceptation, chacun doit la trouver un jour, que ce soit à la suite d’une maladie grave ou tout simplement à cause du vieillissement inéluctable du corps humain.
Samedi 7 août 2010
Hier, mes voisins sont venus me voir, ils sont restés un bon moment. On a parlé de la réfection du chemin qui passe devant ma maison et de l’état de santé de ma mère, à mots couverts pour qu’elle ne se sente pas visée. Mais je crois que tout ce que l’on dit d’elle, tout ce qu’elle entend, et tout ce qu’elle n’entend pas, rentre dans sa tête. Comment ? Je ne sais pas, mais le fait est là : c’est comme si elle pouvait suivre nos pensées. Son visage se ferme, je m’en suis rendue compte très vite cette fois-ci et j’ai fait dévié la conversation vers un autre sujet.
Elle a chanté avec eux quelques bribes des chansons de son temps. Elle a rit et a dit : « c’est mieux de plaisanter et de rire que de se disputer ». Même si je sais que cette phrase fait partie des phrases-bateaux de sa vie, elle a conscience qu’il y a eu des disputes violentes et elle dit, comme elle peut, qu’elle n’en veut plus.
J’ai senti son humeur se dégrader, comme presque chaque jour, à différents degrés bien sûr. Hier, c’était un peu plus prononcé alors je me suis préparée à affronter la suite de la crise et peut-être de la nuit.
Elle est restée calme jusqu’au moment d’aller au lit, sans trop de difficultés elle s’est couchée, mais après un sommeil d’à peine une demi-heure, elle s’est mise à parler, en jouant plusieurs rôles. J’ai laissé faire en espérant qu’elle s’endorme quand même. Mais les répliques se sont faites sur un ton un peu plus haut, et plus rapides, alors j’ai allumé ma lampe. Elle avait fait son lit, mis ses lunettes, et était dans la salle de bains. Dans ce cas, comme d’habitude, elle me dit qu’elle est allée aux w.-c., que quelqu’un lui avait dit qu’elle n’était pas chez elle, ici, etc.…. Je l’ai remise au lit, après bien des tractations. Pas pour longtemps, elle a repris son théâtre intérieur et ses répliques qui semblent se bousculer au portillon. J’ai attendu, j’ai su qu’il était plus d’une heure du matin, car le thermostat du chauffe-eau s’est déclenché. J’ai encore attendu malgré tout. Elle était dans la maison et elle a ouvert la grande porte qui donne sur la terrasse. Comme elle est un peu dure à ouvrir j’ai eu le temps de me lever. Elle était en grande discussion en disant : « oui, mais qu’est-ce-que je fais avec tout ce que j’ai au derrière ? » et elle s’avançait vers moi, en faisant semblant de pas me voir, pour me faire comprendre qu’elle avait fait dans ses culottes. Alors direction les w.-c., la salle de bains, et j’ai eu toutes les peines du monde à ce qu’elle accepte, au moins de se débarbouiller avec le gant juste ce qu’il faut. Mais elle a refusé la couche. Alors elle est revenue au lit, sans rien, sans culotte, ni couche. J’ai capitulé, je suis allée me coucher et je l’ai entendu ronfler peu de temps après.
J’ai sombré dans un sommeil bienvenu, et je me suis réveillée à 9 h passées. Elle était calme, normale, comme si sa nuit avait été des plus calmes, mais j’ai senti qu’elle était encore énervée. J’ai réussi à la faire venir dans la salle de bains, mais pas dans la douche. Je lui ai lavé la tête, en espérant qu’elle se déshabillerait, mais c’est raté. J’ai vu qu’elle avait mis une culotte, et sa couche propre était dans son lit. Elle refuse de porter des couches, car elle sait que c’est une dépendance et elle ne l’accepte toujours pas, même si dans ses moments de calme, elle accepte que je m’occupe d’elle.
Quand je lui ai demandé ce matin si elle voulait venir se débarbouiller (car le mot « laver » risque de la braquer) elle m’a demandée : « Je me lave pas toute seule, c’est toi qui le fais ? » J’ai fait oui de la tête en attendant qu’elle vienne d’elle-même et elle a ajouté : « oh ! Mais alors, ça ne va pas bien ! »
Elle a conscience de plus en plus de son état. Elle acquiert de nouveaux repères depuis que je suis revenue, et son esprit est moins morcelé. Lorsqu’elle parle « en boucle », c’est-à-dire quand elle pose deux ou trois fois les mêmes questions qui s’enchainent (auxquelles il faut absolument répondre) je dois arrêter d’une façon ou d’une autre ces discussions, sinon ça peut durer jusqu’à ce qu’elle s’énerve un peu en trouvant un sujet d’énervement grâce à ces questions.
Je suis fatiguée de mon manque de sommeil. Je dois faire attention aujourd’hui, car c’est moi qui risque de m’énerver. Les pensées que l’on dégage, elle les reçoit et si son état d’esprit est déjà un peu énervé, ça se cumule et ça risque d’exploser. Ce doit être le même principe que la vitesse.
Dimanche 8 août 2010
Depuis ce matin, c’est moi qui ai tendance à m’énerver. J’ai fait très attention de n’en laisser rien paraître et je me suis calmée grâce à la respiration consciente. Elle m’a aidée à éplucher l’ail et les pommes de terre et tout s’est bien passé. Elle a accepté d’aller « allonger ses jambes » avec un peu de difficultés, mais elle l’a fait finalement. Moi je n’ai pas pu me reposer, même si je suis allée aussi m’allonger (pour faire comme elle, sinon, elle n’y serait pas allée).
Mercredi 11 août 2010
Il est plus de minuit et elle continue de parler dans son lit. J’ai essayé d’arrêter ces dialogues plusieurs fois mais rien n’y a fait. Alors j’ai décidé de rallumer mon ordinateur et depuis, je ne l’entends plus. Elle finira bien par se lever pour venir voir ce qui se passe. Est-ce la bonne solution ? Mais que je sois dans mon lit sans dormir ou que j’en profite pour écrire, le résultat c’est que je ne peux pas dormir, alors autant mettre à profit pour corriger mon livre sur les Taïnos.
Mardi 17 août 2010
Il y a eu plusieurs nuits difficiles pendant lesquelles elle a parlé jusqu’à 2 h ou 3 h du matin. Rien n’y a fait : je me suis levée certainement plus de dix fois pour la faire revenir dans le monde d’aujourd’hui, mais elle parlait sans arrêt avec une ou deux personnes, et lorsque je lui disais de dormir, d’arrêter de parler, elle me répondait avec aplomb : « j’étais en train de rêver, je dormais, mais je suis fatiguée, je veux dormir maintenant ». Et à chaque fois elle repartait de plus belle avec ses discussions. Évidemment le lendemain matin, elle était debout normalement à 7 h ou à 8 h et elle pensait avoir très bien dormi. Comme elle n’a aucun souvenir de ce qu’elle a fait dans la nuit, elle me demande gentiment si j’ai bien dormi. Au fond de moi j’ai envie de lui dire qu’elle m’a empêché de dormir, mais j’ai déjà constaté que ça ne sert qu’à l’énerver davantage, alors je réponds oui et lui demande si elle a bien dormi. Et la journée continue.
Certaines journées se sont déroulées sans aucun éclat, sans énervement et elle s’intéresse de plus en plus à la télé et aux volumes de « tout l’univers » que je lui demande de lire et de regarder les images pendant que j’écris.
Hier, elle s’est remise au tricot que j’avais posé sur sa commode pour voir si elle en aurait envie. Elle s’y est mise un bon moment, en disant qu’elle était très contente de l’avoir retrouvé, qu’elle adorait tricoter, que l’écharpe me servirait, à moi ou a Dorian. La dernière fois qu’elle avait tricoté elle s’était énervée car elle échappait les mailles ; hier, elle a fait quatre rangs de plus de 30 mailles sans problème. Je constate que son état nerveux s’est réellement modifié : elle pose des questions au sujet de certains mots qu’elle ne comprend pas lorsqu’elle lit ou qu’elle regarde la télé. Par moment, elle est complètement dans ce monde. Hier, elle pensait être dans le village où elle a été élevée. Elle a mis longtemps à reprendre ses repères, mais ensuite elle a regardé le film de « Joséphine, ange gardien » jusqu’à la fin. Il y a un mois, elle n’aurait jamais accepté de regarder un film jusqu’à la fin sans broncher. De plus, il y a quelques jours, je lui ai rappelé une phrase que mon père disait assez souvent et le lendemain, dans le tiroir où il y a tous les couteaux de la cuisine, elle m’a dit « ça, c’est le couteau du papa ». J’ai été très surprise car c’est la première fois qu’elle reparle de son mari ; elle l’avait complètement zappé (comme dit mon frère à son sujet). Que sa mémoire se réveille, j’en suis sûre.
Depuis le 23 juillet, elle n’a plus aucun calmant. J’en déduis que son comportement est lié au fait qu’elle n’a plus ces calmants pour embuer son cerveau.
Le fait de shooter comme ils le font dans les maisons de retraite et les hôpitaux n’est donc pas la solution pour ce genre de maladie. La perte de mémoire entraîne la perte d’autonomie bien sûr, et l’homme d’aujourd’hui, alors qu’il prône le respect des personnes âgées, rend ses personnes encore plus dépendantes.
Si les malades sont encore plus dépendants, ça donne du travail aux associations et aux maisons de retraite qui ont fleuri pour permettre aux familles de vivre plus tranquillement. Comme ça, tout le monde est content - la famille, les hôpitaux (déchargés de ces malades encombrants), les maisons de retraite – sauf…… le malade lui-même.
Quand on dit que ces personnes dépendantes, à cause de la perte de mémoire, sont très heureuses en maison de retraite, ou en structure spécialisée (comme on les appelle maintenant) est-ce la vérité ? Qui est capable de dire que telle personne, ayant perdu tous ces repères, est contente d’être coupée entièrement ou partiellement de son environnement familier ?
Lorsqu’un touriste va loin de chez lui, dans un environnement complètement étranger et parfois choquant, que se passe-t-il ? Certaines personnes se sentent très mal et deviennent exécrables vis-à-vis de leur entourage et gâchent les vacances de toute la famille. Et pourtant, elles ne sont pas dépendantes à cause de leur mémoire ! Elles refusent ou bien sont incapables de vivre sans leurs repères, sans leurs habitudes, elles se sentent déboussolées. On appelle ça le dépaysement, et c’est un des arguments accrocheurs des voyages ! C’est exactement ce qui se passe pour ceux qui perdent leurs repères, quelles qu’en soient les causes.
Jeudi 19 août 2010
Cette nuit a été presque blanche. Je ne sais vraiment pas combien de temps elle a dormi et elle s’est levée à 6 h et demi. Elle était presque habillée (avec sa robe sur sa chemise de nuit) mais elle est revenue au lit et ensuite je me suis endormie. Je l’ai entendu ouvrir les placards, déplacer les chaises, parler toute seule à voix basse et quand je me suis levée il était 10 h. Comme je cache les gâteaux pour le petit déjeuner, et qu’elle ne sait plus se faire chauffer quoi que ce soit, elle attend. Elle semblait normale, mais j’ai vite vu que ce n’était pas encore stable. Là, elle est en train de regarder les images de « tout l’univers » après avoir fait « quatre heures ». On boit presque chaque jour la tisane de griffe de chat et j’espère que ça l’aide à ré-ouvrir sa mémoire. Ce matin, elle continuait à me dire qu’elle ne comprenait pas pourquoi on n’était pas dans le village de son enfance, et l’autre jour, elle pensait qu’elle avait trente ans. Dans ce cas, je la laisse parler et je recommence à lui dire qu’on est aux Fieux et que son ancienne maison est là, à côté, mais elle est restée branchée sur cette époque. Alors j’ai laissé tomber car je sais qu’elle va finir par revenir à notre époque.
Elle me demande si elle peut allumer la télé elle-même, c’est la première fois que ça arrive. Je le lui ai juste montré hier comment il faut appuyer sur le bouton rouge de la télécommande. Elle a réussi. C’est un autre acquis, en plus des mots nouveaux qu’elle mémorise et de l’emplacement de ses affaires.
LA LUMIERE COUPANTE
Mes nuits, cisaillées par des lames tranchantes de lumière crue,
Se balancent entre veille forcée et sommeil sans rêves.
Une lame de cutter écartèle la soie vierge de ma sérénité ;
Combien de temps encore ?
Doit-on souhaiter la mort de ses ascendants ?
Comment gérer cette inhumanité apparente ?
Vendredi 20 août 2010
Hier soir Anna-Maria m’a appelée. J’étais fatiguée et la nuit s’annonçait très difficile car elle était encore énervée. Anna-Maria m’a dit : « t’inquiète pas, je vais prier pour toi, la nuit va bien se passer !».
Ma mère a refusé d’aller au lit, elle a décidé de dormir sur la chaise longue toute habillée. Je l’ai laissé faire. Je me suis couchée en renonçant à faire quoi que ce soit. Lorsque je me suis réveillée, elle était encore sur sa chaise, il était 11 h. Je me suis levée boire un verre d’eau en lui en proposant un, comme si le fait qu’elle soit sur sa chaise était normal. J’ai ajouté : « Tu peux aller au lit maintenant, c’est l’heure ! ». A ma grande surprise elle m’a dit : « Oui, tu as raison je vais me coucher ! » Et elle y est allée, pratiquement normalement. Elle ne s’est pas relevée de la nuit, sauf pour aller aux toilettes.
Samedi 21 août 2010
En ce moment, elle chante « en passant par la Lorraine, j’ai rencontré trois capitaines, ils sont descendus en bas, avec moi ». J’en profite pour lui demander s’ils avaient fait des enfants. Elle ne parait pas surprise et me répond que peut-être mais qu’il y a très longtemps, elle ne peut pas s’en souvenir. J’ai rajouté : « c’est peut-être ta mère, qui avait rencontré trois capitaines ? » elle ne répond pas directement et dit un peu plus tard seule sur la terrasse : « oui mais je ne les reconnaîtrais pas, je ne sais pas où ils sont mes enfants » Quand elle est dans la « peau » de sa mère, elle me voit comme la fille de sa mère, donc je suis elle. C’est normal qu’elle s’y perde. Elle ne peut pas être en même temps sa mère et elle-même, sauf si elle était capable de le comprendre, ce qui n’est pas le cas.
Le dédoublement de personnalité n’est peut-être que tout simplement l’esprit de sa mère qui est entré en contact avec elle depuis son infarctus et les conversations sans fin pourraient s’expliquer ainsi. Cette nuit j’ai écouté ce qu’elle(s !) racontai(en)t : c’était en patois et il s’agissait de poisons et d’un événement triste mais je ne m’en souviens plus, J’aurais dû le noter juste avant de me rendormir. En tout cas, je suis convaincue qu’elle est contente de vivre ses discussions. Si c’est l’esprit de sa mère qui revit à travers elle, c’est normal qu’elle soit contente de ses contacts, même si elle est dépassée et déboussolée par ce qui lui arrive.
Est-ce qu’il s’agit de sa mère biologique ou de celle qui l’a élevée ? Je penche plutôt pour sa mère biologique. Elle était bretonne et vivait à Paris.
Lundi 23 août 2010
Je n’arrive pas à écrire aujourd’hui, je suis fatiguée. Je sens qu’un rien peut la dérégler. Je viens juste de lui dire qu’elle n’avait pas changé sa culotte aujourd’hui, et ça a suffit pour que son visage se durcisse et qu’elle commence à s’énerver. Je l’ai calmée en lui expliquant que ses culottes sont en fait des culottes en papier et qu’on doit les jeter quand elles sont sales. Donc aucune discussion aujourd’hui ne trouve grâce à ses yeux, ce n’est pas la peine que j’insiste. Alors je vais allumer la télé et la laisser dans son monde.
Dimanche 29 août 2010
Après une semaine difficile, aujourd’hui semble être une journée quasi normale.
Lundi 30 août 2010
En lisant les revues anciennes d’« Archéologia » je suis tombée sur le passage d’un article qui m’a renvoyé à mon rêve du 9 Juillet dernier. La flèche que j’ai vue dans le ciel a une signification très précise pour les turcs : il s’agit d’un message divin : « Voici ce que les seuls textes turcs nous apprennent de la flèche : empennée et volant dans les airs, elle est un oiseau ; elle peut, comme l’oiseau, atteindre les zones les plus élevées du ciel : pour le prouver, on tirait en l’air (Nemrud), contre un arbre ou contre un pilier portant à son sommet une cible, l’un et l’autre axes cosmiques universels. Elle affirme donc un lien particulier du prince et de Dieu. L’arc, par sa forme, rappelle le ciel ; la flèche peut donc en venir et elle devient un signe d’investiture divine. »
Vendredi 3 Septembre 2010
Cette nuit a été pratiquement blanche. Elle a parlé jusqu’à plus de deux heures du matin, après je ne sais pas car je me suis endormie. Je me suis approchée pour savoir de quoi elle parlait car la journée avait été quasi normale. Elle expliquait qu’elle était bien chez elle, que lorsque sa famille allait faire les courses, ils revenaient de suite, qu’elle n’était pas toute seule, etc.…Et elle répondait invariablement avec ses aahhhh ! d’accord ! Comme si elle expliquait à une autre personne que maintenant ça allait bien, qu’elle n’était pas toute seule. Je me suis recouchée en pensant que peut-être, l’autre personne comprendrait enfin qu’elle est bien là où elle est. Qui est l’autre personne ? Hier, au cours d’une discussion très calme, on a parlé de sa mère biologique (sans employer ce mot bien sûr) et de l’autre mère qui l’avait élevée. Et j’ai hasardé une phrase pour voir la réaction : « c’est ta mère qui te parle dans ta tête » Elle n’a pas été étonnée et m’a répondu très normalement : « oui, quelque fois, » Je n’ai pas insisté pour ne pas la perturber plus. Je suis quand même bien convaincue qu’elle joue trois personnages dans ses nuits sans sommeil : elle (lorsqu’elle parle en français et en patois mélangés), sa mère biologique (lorsqu’elle parle en français) et peut-être sa mère adoptive (lorsqu’elle parle en patois). Sa mère adoptive est morte dans l’hôpital du canton, dans le même service où elle est restée huit jours. De là à penser que l’esprit de sa mère adoptive se soit accroché à elle, il n’y a qu’un pas.
Est-ce une manière pour moi d’accepter son état de santé mental ? Ou bien est-ce la confirmation qu’une personne (n’arrivant pas à contrôler son esprit) peut se faire envahir par la force d’un autre esprit rodant autour d’elle. Erel, qui est venu l’autre jour, en jouant avec moi aux fantômes, après m’avoir dit que les fantômes n’existaient pas, m’a soudain déclaré qu’il y en avait cinq ici. J’ai demandé où, il m’a dit « ici et un au fond des arbres » Je n’ai pas pu lui en faire dire plus, et je n’ai pas insisté. Quelle relation y a-t-il entre les fantômes possibles et l’esprit qui peut envahir l’esprit de ma mère fragilisée comme elle l’était par tous les calmants et anxiolytiques dont on l’avait shootée ? Je peux comprendre que les fantômes, qui ne sont que le corps subtil d’un être décédé restant accroché à la terre quelles qu’en soient les raisons, aient envie de « vivre » un semblant de vie, surtout s’ils ne savent pas comment sortir de cet état qui doit ressembler à un cauchemar piégeant l’être qui ne comprend pas qu’il n’existe plus sur la terre en tant qu’être humain.
Toujours est-il que ce matin, elle ne s’est pas levée comme d’habitude. Je l’ai laissée dormir et dans ce genre de nuits j’ai souvent remarqué qu’elle faisait caca partout, même si elle allait aux w.-c. Effectivement, j’ai du changer ses draps et j’ai retrouvé sa couche bien remplie dans un coin de sa chambre. J’ai changé les draps et récupéré la couche sans qu’elle s’en aperçoive. Quand elle a voulu s’habiller, elle est venue toute inquiète me demander où étaient ses habits : j’ai compris que sa tête n’était pas encore tout à fait là, alors j’ai ouvert sa fenêtre de chambre, lui ai montré sa robe et elle a réussi à rentrer dans le présent. A aucun moment, je ne me suis énervée, je l’ai laissé entrer dans notre monde doucement. J’en suis venue à me demander si elle n’essaie pas de se contrôler : en effet, les crises violentes durent vraiment très peu de temps, parfois il s’agit juste d’un geste mais qui n’entraîne aucune violence comme elle le faisait il y a quelque mois. Je lui ai dit plusieurs fois, lorsqu’elle commençait à s’énerver, qu’elle était en train de s’énerver et qu’elle cherchait une raison pour s’énerver.
Je ne sais pas si, peu à peu, ces explications font leur effet. Peut-être, ou alors c’est que je suis tellement orgueilleuse que je pense que je suis capable de trouver l’antidote à sa folie. Là où les spécialistes n’ont comme parade que le bouclier médicamenteux, comme ils disent, moi j’ai supprimé tout calmant depuis le 23 juillet. Est-ce le résultat de cet arrêt que je récolte maintenant ? Est-ce uniquement ma présence qui lui remet sa tête à l’endroit, même si elle est « envahie » de temps en temps par une autre personnalité ? Je ne cherche plus la réponse à toutes ces questions car je suis convaincue que, finalement, c’est secondaire. Le plus important, comme dit Anna-Maria : « cuida tu mami » c’est-à-dire : « prends soin de ta mère » et, au plus profond de moi, je sais que c’est ce que je dois faire et c’est ce que je fais à ma façon, avec mes armes bien sûr, mais avec mes lacunes aussi et je m’en accommode. J’ai toujours dit que j’avais une très grande faculté d’adaptation, et là je peux dire que ça se confirme. C’est moi qui m’adapte à ma nouvelle vie, et non elle qui doit s’adapter. Mais elle fait des efforts en ce moment, et ça ne doit pas être facile car elle doit lutter contre ses violences (quelles qu’en soient les causes : vasculaires ou héréditaires).
Comment garder son calme, son sang-froid et sa bonne humeur devant tant de comportements incompréhensibles, choquants, déstabilisants ? Par moment, j’y parviens, à d’autres, je sens un feu intérieur violent, qui ne demande qu’à exploser et que je réprime en y jetant un regard cru, objectif et compréhensif. Il est normal que mes nerfs se mettent en pelote, il est normal que ma tête veuille exploser devant tant de déraison et de petites phrases qui cassent tout le travail que je fais. Je pense souvent à cet homme cherchant la vérité auquel un sage a demandé de s’asseoir devant la porte d’une ville, de remercier et de payer chaque personne qui l’insulterait. J’ai l’impression de vivre un peu ça. Je me sens insultée quand elle me dit, dans ces moments d’agressivité, que je ne fais rien, que je suis toujours allongée sur la chaise longue, qu’elle doit faire la vaisselle, etc.…. Ma mère fait partie de mes professeurs, au même titre que tous les Dominicains pendant 10 ans. Cette prise de conscience m’aide dans ma vie de tous les instants, même dans les plus difficiles, même si dans ces moments-là, je n’y pense pas.
Mardi 8 Septembre 2010
Souricette m’a appelée ce matin pour que j’écoute une émission à la radio concernant la dépendance. J’ai pu en écouter qu’une partie car les cantonniers de la commune sont passés me voir et j’ai perdu une partie de l’émission. Mais j’ai eu le temps d’entendre que beaucoup d’enfants, devant faire face à la dépendance de leurs parents, se retrouvaient comme moi en proie à beaucoup de questions vis-à-vis des maisons de retraite prévues pour ces personnes dépendantes : sont-elles adaptées, y a-t-il maltraitance, les personnes âgées sont-elles heureuses, y a-t-il suffisamment de personnel ? Ont été évoqués également les coûts de ces établissements, le coût du maintien à domicile, etc.… J’ai entendu parler très peu de respect (les appeler par leurs noms de famille, et non par « mamie ou papi » mais peut-être est-ce la partie que j’ai ratée ?
Je crois, qu’en résumé, chaque famille réagit, devant ce problème, en fonction de son attachement et de son respect envers ses parents bien sûr, mais également en fonction de la pression sociale à laquelle (la famille) est elle-même soumise : pas le temps de s’occuper de ses parents, pas le lieu adéquat pour inclure dans la structure familiale habituelle une nouvelle personne (même si c’est le père ou la mère, ou même les deux), et pas le courage de bousculer l’ordre établi (les jeunes avec les jeunes, les vieux avec les vieux !).
La pression sociale je la ressens même à mon niveau, même avec si peu de contacts : les associations d’auxiliaires de vie, les aides-soignants, le portage des repas à domicile, les gardes de nuits, tout cela existe, tout cela est fait pour prendre le relais de la famille, alors pourquoi je ne les utilise pas plus ? « Si tu es fatiguée, donne un calmant à ta mère pour la faire dormir, comme ça, tu pourras mieux dormir ! » C’est gentiment que Josepha m’a conseillé ça tout à l’heure au téléphone. Je l’ai fait ça aussi : j’ai donné des calmants comme me l’avait conseillé la doctoresse de l’hôpital où elle avait été hospitalisée en février. Mais à quoi cela a servi ? A la shooter ! Son cerveau, déjà malade, était en plus embué par ces calmants, est-ce la solution ? J’ai décrété que non alors depuis le 23 Juillet, elle n’a plus aucun calmant et les améliorations de mémoire que je constate sont dues, à mon avis, en grande partie à l’absence justement de ces calmants. Bien sûr, ma présence est un remède aussi, mais je suis mal placée pour juger de son efficacité. Lui rappeler sa vie passée, lui remettre dans la tête l’emplacement des choses de la maison, renouer avec ses voisins et ses proches, tout cela a beaucoup progressé. Sa mémoire est encore suffisamment active pour se souvenir de tout ça. Il reste bien sûr encore les comportements un peu agressifs de temps en temps, mais ils sont réellement bien moins nombreux et surtout de durée très courte. Ce matin, je lui ai carrément dit, lorsqu’elle a commencé à dire ses sempiternelles phrases (je sais ce que je vais faire, il vaut mieux que je disparaisse, bientôt je vais mourir, etc..) : « ah, ça y est ! ça se détraque ! qu’est-ce-qui va pas ? Pourquoi tu t’énerves maintenant ? » Elle n’a pas répondu, elle est allée dehors. Deux minutes après, elle revenait, elle était calmée. Et la matinée a pu se dérouler normalement, et jusqu’à maintenant, presque 4 h de l’après-midi, ça va.
Je me suis levée faire de la tisane de griffe de chat ; elle chantait « en passant par la Lorraine » et ensuite elle a dit : « tic-tac ». Je lui ai répondu « tu as un réveil dans le ventre ? tu dis tic-tac » Elle a éclaté de rire. Finalement son tic-tac, c’est peut-être son horloge biologique qui s’exprime !
Quand elle regarde les informations avec la météo elle dit : « la météo, c’est en haut, elle nous donne le temps qu’il va faire là-haut ! » c’est du même ordre que la salle de bains qui est sale.
En cherchant sur l’encyclopaedia universalis des renseignements sur les Aztèques pour mon livre, je suis tombée sur un poème :
Le corps est l’arbre du Boddhi
Le cœur est le support du Miroir spirituel
A chaque instant, il faut le nettoyer diligemment,
Afin qu’aucune particule de poussière n’y adhère.
Le Boddhi n’est pas un arbre
Et le Miroir spirituel n’a que faire d’un support
Etant donné qu’au fond rien n’existe,
Où voulez-vous qu’il adhère des poussières ?
Ce poème est de Huineng (638-713), fondateur du zen
Mardi 14 septembre 2010
Je suis bloquée chez moi ce matin, plus de gaz depuis dimanche, le rendez-vous chez le dentiste pose un problème car il n’y a personne pour m’y amener. Est-ce que je dois trouver une voiture ? Mais je n’ai pas envie de rentrer dans le système voiture-assurance-essence, qui va payer tout ça ? Alors je dois prendre mon mal en patience !
Finalement c’est Paulin, le fis de Josepha, qui va m’amener chez la dentiste et elle viendra m’y rechercher. Deux voitures pour pouvoir honorer le rendez-vous ! Ce n’est certainement pas la solution ! Un taxi ferait peut-être l’affaire et je ne dérangerais personne. La prochaine fois j’essaierai ça. Vivre à la campagne sans voiture, ce n’est pas l’idéal, ici, il n’y a pas de « motoconcho » c’est-à-dire des motos taxis comme à Las Galeras. Ils viennent vous chercher, vous ramènent, c’est bien pratique !
Mercredi 15 septembre 2010
Paulin est venu me chercher et Josepha m’a récupérée chez la dentiste. Et en mettant les bouteilles de gaz vides, je me suis rendue compte qu’il y avait une bouteille de gaz pleine dans la cave où pourtant je suis allée plusieurs fois depuis dimanche. Pourquoi je ne l’ai pas vue ? Je suis pas mal bousculée quand même pour ne pas l’avoir vue !
Hier soir à la télé j’ai vu une émission « en terre inconnue ». La première avait été tournée au Tibet et celle-ci en Bolivie chez les Indiens vivant à 4000 m d’altitude sur l’Altiplano. Le mode de vie complètement déconnecté de la civilisation de consommation et les réactions de Gilbert Montagné et de Gérard Jugnot m’ont renvoyée aux réactions et aux bouleversements que j’ai vécus pendant ces 10 dernières années. Et quand je vois qu’ils en font une émission super intéressante, je comprends encore mieux ce que Souricette essaie de me dire en me demandant d’écrire ce que j’ai vécu. Cela me conforte dans le désir de finir au plus vite le livre des Taïnos.
Mercredi 22 septembre 2010
Chercher sa nourriture à n’importe quelle heure de la journée, refuser de manger, marcher sans arrêt sans but uniquement pour marcher pour être sûre d’être vivante, ne plus se soucier de son apparence, ne plus se laver ni se peigner, ne pas supporter un évier avec même un petit peu de vaisselle, faire sécher les éponges et essuyer l’évier sans arrêt, essuyer la table avec sa main et sa manche de gilet, cracher par terre des morceaux de nourriture, regarder l’heure sans arrêt et dire que le temps passe vite aujourd’hui, tousser après chaque période d’énervement visible ou masqué.
Quand je crois qu’elle est redevenue calme, je me rends compte que ce n’est qu’une façade, elle n’attend qu’une parole ou un regard de ma part. Et elle repart dans ses délires.
J’ai envie de baisser les bras, je n’ai plus envie de me lever le matin car j’appréhende la journée qui m’attend. Hier j’ai entendu à la télé que les personnes qui gardent ces malades meurent avant eux. Cela ne m’étonne pas, c’est une usure lancinante, c’est une maîtrise de soi permanente malgré quelques explosions rapides qui paraissent faire du bien dans l’immédiat, mais qui en fait détruisent plus qu’elles ne soignent. Je me sens coupable de m’énerver car je sais que mon énervement renforce le sien. Elle le sent et elle le provoque car elle a besoin de s’exprimer. C’est sa façon de dire la souffrance qu’elle vit et dont elle ne sait même pas le nom ni pourquoi ni comment elle peut s’en débarrasser. Quand elle s’énerve elle doit ressentir aussi un bien-être passager suivi d’un abattement. Exactement comme ce qui se passe en moi. Alors ? Comment faut-il se comporter ? Je suis sûre qu’il faut être uniquement serein en face de ce genre de malade. La sérénité, au même titre que l’énervement se perçoit de la même façon. Alors la sérénité entraîne la sérénité, même si ce n’est pas à effet immédiat. A moi de la garder, de l’entretenir et de faire en sorte qu’elle ne soit pas ni grignotée ni effritée malgré les situations teintées de folie et pas toujours douce.
IL FAUDRA BIEN…
Toile usée par le sel et le soleil,
Fleur déchiquetée par le vent et la pluie,
Ciel décoloré par l’indifférence cruelle,
Pensées rongées par l’incertitude grisaille
Du lendemain qui vient pareil à l’hier.
Il faudra bien qu’un jour le soleil se lève !
Il faudra bien qu’un matin les bourgeons éclosent !
Il faudra bien que les cieux sourient !
Il faudra bien que la sérénité s’installe
Main dans la main avec le temps qui passe !
Vendredi 24 septembre 2010
Il fait soleil et j’ai envie d’aller dehors mais elle regarde un des volumes de «Tout l’univers » alors je la laisse faire. Depuis plus d’une heure on écoute de la musique douce ; ça a l’air de lui plaire. La musique adoucit les mœurs ! Après tout je vais essayer de mettre uniquement de la musique douce, même si ce sont les mêmes cassettes qui passent, comme elle n’a pas de mémoire elle ne se rendra pas compte que ce sont les mêmes. J’ai essayé de continuer mon livre mais je n’y arrive pas, alors je laisse tomber.
Samedi 25 septembre 2010
Il semblerait que mon énergie reprenne le dessus. J’ai commencé à nettoyer les orties l’autre jour avec ma machette et aujourd’hui j’ai fauché sous le noyer et j’ai rassemblé toutes les ordures qui avaient été jetées depuis combien d’années au bout de la terrasse ! Je laisse sécher et ensuite je n’aurai plus qu’à récupérer tout le plastique. Hier elle a commencé à aller mieux et jusqu’à maintenant y a pas de problème. J’avais arrêté pendant une semaine de faire la tisane de griffe de chat. J’ai recommencé depuis quelques jours. Est-ce que ça l’aide ? Je n’en sais rien puisque je ne connais pas exactement le pouvoir de la griffe de chat sur l’organisme. Je sais que ça fait remonter le taux d’immunité. Mais à part ça, je ne sais pas si ça un effet sur la circulation sanguine dans le cerveau et encore moins si elle a un effet quelconque sur l’Alzheimer. Ça serait extraordinaire si ça pouvait aider l’organisme à se défendre contre cette maladie. Mais qui fera la recherche si ce n’est pas encore fait ? Pas moi en tout cas. L’email que j’ai envoyé à l’herboristerie qui me l’a fournie est resté sans réponse.
Mardi 28 Septembre 2010
Ce matin j’étais fatiguée, je n’avais pas envie de me lever et en plus j’avais froid. Je me suis levée faire le petit déjeuner et je suis revenue au lit. Finalement je me suis levée à 10 h et demi passées. Fais le repas, en faisant très attention à ce qu’elle ne s’énerve pas car c’est tangent aujourd’hui. Hier ça allait et je n’ai pas envie que ça se re-détraque. Je mets depuis quelques jours de la musique dans ma chambre et ça lui plaît. Quand elle commence à s’énerver, ça ne lui plaît plus elle dit que ça fait du bruit. Elle a jeté les noix que j’avais ramassées depuis deux jours. Comme elles étaient entourées de leur coque verte elle a cru que c’était des pommes de pommier vertes alors c’est reparti d’où ça venait. Il ne me reste plus qu’à les récupérer quand je continuerai à faucher un peu plus loin dans le terrain. J’en ai fait une petite partie avec la faux et la machette. Si je peux en faire un peu chaque jour j’y arriverai. J’attends Josepha pour aller faire les courses car il n’y a plus grand-chose dans les frigos et j’ai besoin de produits d’entretien. Je vais essayer de trouver une yaourtière pour faire des yaourts maison, comme ça elle pourra en manger autant qu’elle en voudra car je les ferai plus petits.
Voilà pour le train-train quotidien.
Je pensais l’autre jour que cette civilisation est une civilisation d’inutilités. Plus cette civilisation avance, plus j’ai l’impression qu’elle régresse. La consommation inutile de biens plus qu’inutiles me fait prendre conscience encore plus de la chance que j’ai eue d’aller vivre ailleurs. Je serais peut-être devenue comme tous les gens que je vois.
Mercredi 6 octobre 2010
A quoi sert de vivre plus vieux si ce n’est que pour devenir encore plus matérialiste ? A quoi sert la médecine pointue pour sauver des vies humaines si ce n’est que pour les rendre encore plus sourds vis-à-vis des autres ? Tout le monde est centré sur son univers physique, sur son corps, sur ses maladies, sur ses sécurités. Tout est fait pour que chacun ne vive que pour soi et pourtant se multiplient les associations humanitaires, les bonnes volontés pour faire reculer la pauvreté matérielle, les mauvais traitements infligés aux femmes et aux enfants.
A quoi ça me sert de me poser toutes ces questions ? Est-ce que ça me fait avancer ? Savoir que ce monde matériel n’est pas fait pour moi, savoir que je ne veux pas vivre ainsi en dépendance constante avec cette société qui ne me convient plus.
Dimanche 10 octobre 2010
Hier a commencé un bras de fer entre ma mère et moi. Le but n’était pas d’en sortir un gagnant, mais qu’elle accepte de se laver et de se changer au moins une fois par semaine. J’ai essayé de la doucher hier matin, refus total. J’ai essayé avec de la douceur mais je suis trop énervée pour garder mon calme alors j’ai utilisé une tactique : pas de douche, pas de repas préparé ! Après son petit déjeuner, après une ultime tentative de douche, je suis revenue au lit en lui disant que si elle ne se lavait pas moi je ne ferais plus à manger. Je me suis levée à midi passés, elle avait déjà mangé un demi-colin cru qu’elle avait mis à décongeler. Bien sûr plusieurs yaourts y étaient passés aussi et plusieurs pommes. Je n’ai pas préparé le repas, j’ai mangé une tranche de jambon et des noix. Je suis partie faucher et nettoyer les ronces du terrain, mais ça ne l’a pas dérangé outre mesure puisqu’elle avait mangé ; elle est même venue m’aider. A trois heures et demie, je me suis reposée un peu et à quatre heures j’ai fait la tisane de griffes de chat avec un biscuit au beurre (je suis convaincue que cette tisane lui fait du bien et à moi aussi alors je ne veux pas la zapper). Tout ça sans un sourire, sans une parole agréable pour qu’elle comprenne que je suis fâchée contre elle. Après la tisane je suis redescendue nettoyer le terrain, mais j’étais trop fatiguée pour continuer alors j’ai laissé tomber. J’ai allumé la télé pour les jeux « slam » et « des chiffres et des lettres » pour l’obliger à cogiter un peu. Mais elle s’en allait sans arrêt dehors car elle « n’était pas capable de compter ». Par moment elle semblait s’y intéresser et elle repartait au bout de quelques minutes. Elle parlait et se répondait sans arrêt, j’ai vu qu’elle était dans son autre monde avec ses autres personnages dans sa tête. Vers six heures et demie j’ai fait cuire du riz pour le mélanger avec un potage aux légumes tout prêt. J’ai servi, elle a mangé, j’ai fait la vaisselle, elle l’a essuyé. J’ai tenté une dernière fois de l’amener à la douche, mais rien n’y a fait, alors j’ai capitulé : je suis allée au lit en colère, en claquant ma porte et en lui disant qu’elle fasse ce qu’elle voulait. Elle s’est couchée normalement. Peu de temps après je l’ai entendue ronfler. Ce matin, j’ai encore essayé juste après le petit-déjeuner (je ne peux pas faire sauter le petit-déjeuner puisqu’il y a ses deux médicaments pour le cœur). Refus catégorique en me disant : « je le ferai ce soir, je ne suis pas sale, etc.…) J’ai répondu : « comme tu veux, mais ça fait 9 jours aujourd’hui que tu ne t’es pas lavée ni changée de culotte alors ou bien tu viens te doucher ou bien je ne fais plus à manger ». Elle s’est mise en colère, elle est partie sur la terrasse. Je suis allée la chercher en lui disant que je l’attendais dans la salle de bains. Refus catégorique encore en faisant semblant d’avoir des vertiges, disant qu’elle sentait qu’elle allait mourir, etc.…. J’ai tenu bon en lui disant que je l’attendais, j’ai fait couler un peu d’eau dans la baignoire. Elle a enlevé son gilet, puis son tablier, mais ça n’a pas été plus loin. Elle est repartie sur la terrasse furieuse, mais elle est revenue et s’est engouffrée dans sa chambre. Je l’ai suivie en lui disant que je ne la lâcherai pas, « pas de douche, pas de repas ». Elle a voulu sauter par la fenêtre, elle a mis son pied droit sur le radiateur, mais elle n’a pas pu, elle a refermé la fenêtre, et j’ai attendu…. Pour rien, alors je suis revenue me coucher, avec la ferme intention d’y rester jusqu’à plus de midi encore pour qu’elle comprenne.
Au bout d’une demi-heure j’ai eu l’idée d’écrire sur les murs de sa chambre les jours de la semaine avec un petit slogan mémorisable : Le dimanche, on se change, le lundi on rit, le mardi on achète des fruits, le mercredi on voit ses amis, le jeudi on cuisine, le vendredi on écrit et le samedi on fait tout luire. Je me suis relevée, j’ai écrit les slogans du dimanche et lundi au feutre sur le mur de sa chambre, juste au-dessus de sa commode, face à son lit. J’ai constaté qu’elle était presque normale, alors j’ai retenté mon ordre d’aller dans la salle de bains, et ça a marché, enfin, elle a enlevé son tablier et le pull qu’elle avait remis dans l’intervalle. Après ce fut au tour de la jupe mais avec beaucoup de difficultés, mais j’ai senti que sa volonté faiblissait, ensuite direction la salle de bains pour faire poser la combinaison, la chemise de corps et enfin, le slip…. Dans quel état il était ! Depuis samedi dernier, elle avait toujours la même serviette hygiénique collée au fond du slip ! Bref, pas la peine de faire un dessin, ni de chercher à expliquer l’odeur qui s’en dégageait ! Elle est enfin entrée dans la baignoire, et comme je voulais qu’elle « trempe » un peu je lui ai demandé de s’asseoir dans le fond de la baignoire. Elle l’a fait, car elle a beaucoup de forces dans les bras et dans les jambes. Et le reste a suivi : elle s’est lavée correctement, je lui ai lavé le dos et les cheveux et elle est sortie, sans trop de peine, avec mon aide, de la baignoire ! Souricette m’a appelée à ce moment-là ! Ensuite, son humeur est redevenue normale : elle s’est rhabillée avec du linge propre, elle s’est installée sur une chaise près de la porte-fenêtre et je lui ai coupé un peu les cheveux, je lui ai enlevé sa barbe avec du « veet », lui ai mis du produit dans les oreilles pour les nettoyer un peu mieux qu’avec le coton-tige, ensuite, j’ai coupé ses ongles des mains, mais les ongles des pieds, je n’ai pas pu, elle ne supportait même pas le contact de mes mains sous ses orteils pour les maintenir pour couper correctement sans la blesser, alors j’ai laissé tomber. C’était assez pour aujourd’hui.
J’ai donc fait le repas en lui parlant normalement et maintenant, après le café, je me suis mise à mon ordinateur, et elle regarde un des livres « tout l’univers ». Elle n’a toujours pas vu les slogans écrits sur le mur de sa chambre.
Je me suis sentie un peu mal à l’aise en faisant ce genre de chantage. Je me suis demandé si ce n’était pas de la maltraitance comme disent les spécialistes des personnes âgées ! En fait, après réflexion, j’ai le sentiment d’avoir fait ce que font les parents avec leurs enfants récalcitrants : tu n’obéis pas, tu ne n’auras pas de chocolat ! C’est de la même veine il me semble. Maintenant, il faut qu’elle accepte cette autorité. Elle sait qu’elle ne peut plus se faire à manger seule, qu’elle ne peut plus se laver seule, qu’elle est dépendante de quelqu’un de toute façon. Au plus fort de sa rébellion ce matin elle ne savait plus que c’était moi qui étais là, elle disait que je n’étais pas la seule à m’occuper d’elle, qu’il y en avait d’autres, comme lorsque les aide-ménagères venaient.
Je viens de lui faire faire le numéro de téléphone de Dorian, elle a eu un peu de mal à appuyer sur les touches 9 et 6 pour faire le 96, mais à part ça elle ne s’est pas trompée. Que mon vieux téléphone soit tombé en panne me permet de lui remettre en mémoire le clavier de son ancien téléphone. Je vais essayer de lui faire appeler ma cousine de Bourges, car je n’ai plus le téléphone de Grisette sa soeur. On verra bien….. Dur, dur, le 79 et le 44 posent problème aussi, mais en le lui faisant faire trois fois de suite, elle le mémorise. J’ai essayé de lui faire faire une page de chiffres, mais elle n’en a plus envie, elle est repartie sur la terrasse ramasser les feuilles ! Ce n’est pas grave, c’est pas mal pour aujourd’hui, je peux lui ficher la paix maintenant.
Lundi 11 octobre 2010
Cette nuit, j’ai regretté de ne pas avoir un dictaphone pour enregistrer ses conversations à deux ou à trois personnes. On s’est couché à 11 h moins le quart mais à 1 h du matin elle parlait toujours alors je me suis levée dans le noir près de sa porte entr’ouverte pour écouter ce qu’elle racontait. J’ai été très surprise car elle(s) parlai(en)t d’empoisonnement, d’hommes qui voulaient faire l’amour avec elle, de maison détruite et de gens ensevelis dedans. J’ai écouté un long moment pour essayer de comprendre qui était qui. Mais j’ai pu juste déterminer que c’était bien elle qui répondait avec ses « aaahhh ! D’accord ! » à une ou deux personnes qui se parlaient et se répondaient, et qui se vouvoyaient. Voici de mémoire les conversations que j’ai entendues : « Votre famille ne vous a pas tout dit, je vais vous le dire maintenant : la maison où on habitait avant a été démolie, il n’y a plus personne, ils sont tous partis ! » la réponse fuse, avec une voix différente : « oooh ! ils sont partis où ? » « Au cimetière ! les autres ont démoli la maison, il n’y a plus de lit pour dormir, le toit s’est effondré, il y a quelqu’un dessous, mais ils ne le savent pas ! » « ooohh ! mais je ne le savais pas ! » Ensuite revenaient les discussions sur la famille qui l’avait amenée ici et que, maintenant, elle ne repartirait pas puisque sa famille venait la voir et repartait mais ils venaient la voir souvent. Puis nouvelle discussion sur ce que sa famille ne lui avait pas dit et sur les hommes qui voulaient entrer chez elle mais qu’elle ne connaissait pas. Ces hommes voulaient faire l’amour avec elle ! Juste un petit peu ! Entrer un petit peu et ressortir !…
Là, je suis restée scotchée de surprise ! Cette façon de parler ne ressemble pas du tout à sa façon de parler.. Elle ne dirait jamais la phrase « faire l’amour » mais plutôt « le faire » « ou faire ça ». Je suis restée pour essayer de comprendre qui était en train de parler. C’était une femme car elle a dit à un moment : « bon, maintenant, on va faire dodo toutes les deux ! » mais la conversation a repris sur un autre thème : celui de l’empoisonnement. Quelqu’un est mort empoisonné et elle ne l’a jamais su, personne ne le lui avait dit. Et a suivi une conversation très hachée avec des phrases parlant de « prison », « de gens à l’étage au-dessus qui faisaient l’amour » « de portes fermées à clé pour que les hommes ne puissent pas entrer ! » De plus, pendant ces conversations, elle tousse comme elle toussait il y a quelques semaines, alors que, depuis un mois environ, elle ne tousse plus la journée pratiquement, sauf, justement quand elle part dans ses monologues, ou quand je l’énerve en essayant de la remettre dans le présent avec moi.
Je suis revenue au lit, fatiguée par ma station debout sans bouger devant sa porte. J’ai essayé de dormir, mais je n’y suis pas arrivée : je retournais dans ma tête ce que j’avais entendu. Deux hypothèses me sont apparues : d’abord les personnes qui se manifestent sont des personnes mortes (sa mère biologique, sa mère adoptive, ou une personne qui l’a connue quand elle était enfant à Paris ou dans le village où elle a grandi en Dordogne) ou bien elle rejoue une partie de son passé d’enfant ou d’adolescente en compagnie de sa sœur (des hommes ont peut-être abusé d’elles). L’histoire de la maison démolie avec quelqu’un dessous et avec le toit éventré est peut-être un fait divers de cette époque, il faudra que je demande à Grisette si elle se souvient de ça. Pour l’empoisonnement, c’est peut-être la même chose : un fait divers qui l’aurait marqué dans son enfance.
Ce qui me fait pencher pour la première hypothèse, ce sont les mots qu’elle emploie quand elle est dans ces états seconds. Quand elle parle en patois, elle vouvoie les autres personnes. Quand elle parle en français, elle parle mieux que dans la vie courante, est très polie et le débit est beaucoup plus rapide que d’habitude, comme si elle n’avait pas le temps de tout dire. Entre les phrases où elle dit : « attends, je vais te dire ce que je n’ai pas osé de dire, tu vas le savoir ! » et la réponse, il y a un temps mort comme si elle écoutait réellement quelqu’un lui parler à l’oreille et vient ensuite l’exclamation de surprise ou d’indignation : « ooohhh ! »
Je pense que leur vie (Grisette et elle) a du être fertile en traumatismes de toutes sortes : le soi-disant abandon de leur mère (réel ou entretenu par « le vieux » comme l’appelle Grisette) pour garder deux servantes gratuites à domicile, en échange d’un peu de scolarité et de nourriture ; la honte d’être des bâtardes (sans père et sans mère) habillées comme des pauvresses. L’orphelinat était une des menaces qu’ils utilisaient pour les faire écouter et travailler sans doute. Ensuite, Grisette tombe enceinte et s’en va et ma mère, à son tour, tombe enceinte et se marie sous la pression de la mère de Josepha, ma tante.
Tous les traumatismes de cette époque, ajoutés à ceux de sa mère qu’elle a connue jusqu’à sa troisième année et Dieu sait ce qu’elle a du voir à Paris avant de « descendre » à la campagne ? Grisette ne peut pas savoir puisqu’elle a deux ans de moins. Il s’est peut-être passé des événements dont elle a du avoir honte, sans comprendre, comme ont honte les enfants à cet âge-là. « Le vieux » disait que leur mère était une prostituée. Il interrogeait la sœur de sa mère d’adoption pour savoir comment vivait leur mère.
Je lui demande d’appeler sa sœur car elle recommence à savoir se servir du téléphone depuis quelques jours. Elle me prend pour sa sœur, je ne la démens pas, je la questionne au sujet de sa mère biologique. Elle répond : « tu le sais mieux que moi, elle était malade, elle toussait beaucoup, elle était malade des poumons, et elle ne nous connaissait plus, elle disait qu’elle ne reviendrait pas, qu’elle était trop fatiguée » « Comment s’appelait ta mère ? » «C’était Germaine qu’elle s’appelait ma mère ! » Je lui dis : «Tu lui parlais cette nuit ? » « ahh ! peut-être, mais je ne m’en souviens pas ! »
Donc aujourd’hui est la suite de sa nuit de conversations. Je ne suis plus sa fille, je suis devenue sa sœur et elle pense être dans le petit village où elle a grandi. Je lui redemande d’appeler Grisette, mais elle me répond : « Je l’appelle, mais elle ne répond pas, elle ne me connaît plus depuis qu’elle m’a laissée seule ici » Il faut que je vérifie comment s’appelait sa mère. J’essaierai de faire parler sa sœur.
Je viens de regarder les documents anciens. Au dos d’une photo donnée par sa mère adoptive, il est mentionné un domaine de Malcote à côté de La Souterraine. Il y a trois filles et un homme assis à côté d’une femme, ressemblant comme deux gouttes d’eau à ma mère. Ce doit être ma grand-mère avec peut-être mon grand-père, qui serait soi-disant mort au Maroc. Je n’ai ni l’envie ni le courage de faire ce genre de recherches qui s’avèreraient faciles grâce à ces renseignements. A quoi cela servirait-il ? Savoir qui est mon grand-père maternel ne m’intéresse pas, il est mort, ma grand-mère aussi.
J’ai fait appeler Grisette par ma mère, et j’ai discuté un grand moment avec elle en lui demandant certains éclaircissements sur leur mère. Elle s’appelait effectivement Germaine, Madeleine, Perrine. La photo a été prise avec la sœur de leur mère et une autre amie. L’homme assis n’était pas le copain de leur mère, mais de la sœur de leur mère. J’ai appris que leur mère était cuisinière chez un bourgeois à Paris, mais elle n’était pas malade du tout, elle ne toussait pas comme vient de me le dire ma mère. Donc, je ne sais pas de qui elle parle quand elle dit qu’elle toussait. Finalement, elle confond peut-être avec la toux de mon père (il avait de l‘asthme et il fumait beaucoup!), mais elle semble bien parler d’une femme, je ne crois pas que ce soit mon père.
Bref, ma mère est toujours dans son monde, en train de discuter avec l’autre, tout en paraissant vivre normalement dans le présent. Si je joue le jeu de lui laisser croire que je suis sa sœur, ça ne la remettra jamais sur les rails du présent, ça va la conforter au contraire dans son monde et sa nuit risque d’être encore bien habitée.
Elle vient de rallumer la télé, sans problème, elle n’arrête pas de manger des figues et des pommes depuis un moment. Elle chantonne « en passant par la Lorraine ».C’est l’heure des jeux à la télé, Je vais voir combien de temps elle va tenir assise !
Mercredi 13 octobre 2010
Hier soir j’ai appelé Nora la vétérinaire Dominicaine pour avoir des nouvelles de mes animaux. Rafi est « gordo » (gros) « lorsque je vais le voir je vais vouloir le manger ! » et Mimine va « souuuuper bien ! » elle n’a plus ses écorchures aux joues. Mardi prochain Nora recevra certainement le résultat des analyses pour Rafi et donc ensuite c’est le départ pour aller les chercher. Et là, coup de théâtre ! Dorian veut bien venir avec moi AVEC EREL ! Sauf que c’est uniquement possible le 4 Novembre. Ca repousse encore à trois semaines, mais je n’ai pas le choix car non seulement Dorian vient avec Erel, mais les billets sont à 749 € et ceux des semaines précédentes à plus de 1000 €. Donc Rafi et Mimine vont attendre trois semaines de plus ! Mais qu’est-ce-qui est le plus important ? Rater l’opportunité d’aller là-bas ensemble ? Ou bien l’attente de trois semaines de plus pour mes animaux ?
J’attends le toubib pour le renouvellement des médicaments. Je viens d’étendre le linge, et je me rends compte depuis quelques temps qu’il suffit qu’elle cherche à mettre les épingles pour faire tenir le linge sur le séchoir pour que mes nerfs se mettent à fleur de peau. Mes mains se mettent à trembler quand je me contrôle pour ne pas exploser. Je respire plusieurs fois à fond, je reviens à mon ordinateur et le calme revient. Mais il suffit de bien peu de choses pour que ma sérénité soit cassée maintenant. Je ne regrette pourtant pas la décision que j’ai prise malgré toutes les difficultés, malgré la fatigue et les énervements. Je peux continuer à exercer ma compassion car elle n’est pas en moi 24/24h. Souvent, je me sens insensible, comme si aucune de ses souffrances ne m’atteignait. Je sais qu’elle fait du cinéma alors je ne rentre pas dans son jeu, je la laisse se plaindre et ressasser ses menaces. Selon mon degré de patience à ce moment-là, j’essaie de la remettre sur les rails en lui faisant faire quelque chose d’utile pour la cuisine. Souvent ça marche, elle revient au présent, mais il y a des jours où c’est vraiment aléatoire. Je ne peux pas prévoir combien de temps durera ses allers et retours dans son autre monde. D’ailleurs, à quoi ça sert ? J’ai bien compris qu’il faut que j’accepte son état et c’est à moi d’essayer de m’adapter tout en gardant en tête que je dois la maintenir présente le plus possible dans ce monde. C’est de cette façon qu’elle a recouvré certaines de ses habitudes de vie « normale » : essuyer la vaisselle, mettre le couvert, éplucher les légumes, (avant-hier, elle a même retourné la viande qui cuisait dans la cocotte, normalement) allumer la télé et savoir l’éteindre sans tout débrancher comme elle faisait avant, savoir faire les numéros de téléphone de Dorian et de sa sœur (elle a besoin encore de mon aide pour les chiffres compliqués) faire son lit (elle le fait maintenant tous les matins, sans problème) se débarbouiller et se peigner (mais ça il faut que je la pousse encore) aller voir les voisins seule, surveiller le linge qui sèche.
Là, elle revient dans son monde fermé en boucle car je ne m’occupe plus d’elle, elle recommence à parler toute seule et à se répondre, alors il faut arrêter et manger, il est midi.
Lundi 18 octobre 2010
« Tu es la maman, je suis ta nièce ! » Voila la réponse à la question que je viens de lui poser car elle me parlait tout en étant dans sa conversation avec l’autre personne. J’en ai profité pour lui demander qui j’étais et qui elle était ?
La matinée d’hier a été particulièrement éprouvante : comme elle ne s’était pas lavée depuis plus d’une semaine, à part se débarbouiller, et comme elle avait crépi sa chambre, je voulais absolument la doucher et lui faire changer tout son linge. J’ai commencé aux environs de 10 h mais sans résultat, je me suis énervée très vite. Je suis revenue un peu dans mon lit pour me calmer et j’ai recommencé, mais elle a résisté ; rien n’y a fait, ni la gentillesse, ni l’autorité, ni la menace de refuser de lui faire à manger, même en lui disant que personne ne mangerait tant qu’elle ne serait pas lavée.
Dorian et son fils sont arrivés à 1 h et Dorian a joué le jeu, il est resté dehors avec Erel et j’ai essayé de la faire déshabiller, mais elle a résisté encore. Elle a compris que je ne céderai pas, et que Dorian était d’accord avec moi, alors, enfin elle est entrée dans la salle de bains. Pour poser sa culotte et sa chemise ça a été une autre histoire, mais enfin elle les a enlevés ! Je l’ai douchée et peu à peu elle est redevenue normale. Ensuite, elle s’est comportée normalement une bonne partie de l’après-midi. Quand Dorian est parti chercher les champignons vers les 5 h, elle a recommencé à se dérégler. Sa jalousie vis-à-vis d’Erel s’est réveillée, elle a été infecte avec lui, j’avais beau lui dire que c’était le fils de Dorian, ça ne la calmait pas. Mon fils est revenu ; il a essayé de la ramener à de meilleurs sentiments. Pendant le repas du soir, il s’est rendu compte qu’elle me prenait pour sa sœur. Ils sont partis vers les 8 h et demie.
Mercredi 20 octobre 2010
J’attends l’appel de Nora pour savoir si mon chien a de bonnes analyses pour pouvoir rentrer ici. Ce matin, je me suis énervée très vite, j’ai donc préparé son petit déjeuner et je suis revenue au lit pour me calmer. Je me suis relevée pour faire le repas et comme par magie, elle redevient normale quand il faut manger ! Pour quelqu’un qui parle sans arrêt de mort, elle n’est pas prête à se laisser mourir de faim ! Mais il suffit que je ne m’occupe plus du repas ni d’elle pour qu’elle reparte dans ses discussions avec l’autre personne. Je ne le supporte plus ! J’essaie de l’en faire sortir mais elle y replonge ! Si c’est l’esprit de quelqu’un qui l’a envahie, il doit être content ! Elle lui répond, et quand j’essaie de la ramener dans le présent, elle devient tout de suite agressive, comme quand on enlève un jouet à un enfant qui veut continuer à jouer ! Je suis de plus en plus convaincue qu’elle est possédée par quelqu’un. Peu importe qui c’est finalement, le résultat, c’est que j’ai affaire à deux personnes différentes et selon les événements, c’est l’une ou l’autre qui se manifeste. En tous cas, quand il faut manger, c’est bien ma mère la plupart du temps qui est bien présente. Ensuite, c’est une autre affaire.
Dorian pense qu’elle retourne dans une autre partie de sa vie, c’était peut-être le cas dimanche soir, mais la façon qu’elle a de nous regarder ne lui ressemble pas. Si c’est un cas de possession tout simple, il suffirait d’expliquer à l’esprit de l’autre personne de partir vers sa destination et de laisser ma mère tranquille. Mais qui sait faire ça ? Il faudrait un bon médium qui soit capable de voir ou de sentir cet esprit et de l’aider à partir vers la lumière. Après tout, je peux bien essayer aussi, je finirai bien par trouver une méthode.
Dimanche 24 octobre 2010
Dans la nuit de mercredi j’ai mis en pratique ce que je voulais faire. J’ai demandé à l’esprit qui habite ma mère de partir vers la lumière, de libérer ma mère. Je me suis endormie tard et j’ai été réveillée par du bruit venant de sa chambre. Elle n’avait pas allumé la lumière, il était six heures et demi du matin, donc il faisait nuit, et elle était debout dans sa chambre. J’ai allumé sa lampe et lui ai demandé ce qu’elle faisait. Elle cherchait le serpent lumineux qui lui a fait peur et qui l’a réveillée. Il s’est promené au plafond et il est parti par le haut de la fenêtre. Je suis restée interloquée pendant qu’elle cherchait partout, dans son armoire, dans sa commode. Elle avait vraiment peur. Je l’ai calmée, lui disant qu’elle avait rêvé, etc.. et elle s’est recouchée ; moi aussi. Elle s’est relevée peu de temps après cherchant toujours ce serpent lumineux. Elle est venue dans ma chambre me disant qu’elle avait vu une lumière et que ça lui avait fait peur. Je l’ai accompagnée une autre fois dans son lit, et elle s’est endormie tranquillement.
Le lendemain matin, elle ne se souvenait plus de rien. Mais moi, j’en ai tiré les conclusions que cette lumière ou ce serpent lumineux devait être effectivement l’esprit qui était en elle depuis le moment où on l’a droguée avec tous ces tranquillisants et ces anxiolytiques. Bien sûr, ce sont des choses à ne pas dire à tout le monde car c’est moi qui vais passer pour une illuminée. Mais ne le suis-je pas déjà ?
Souricette m’a appelée et j’avais hâte de lui raconter ça. En tous cas, coïncidence ou pas, depuis ce matin-là, elle est pratiquement normale ! Depuis, elle ne s’est pas encore énervée, elle s’est laissée laver le lendemain sans résistance. Elle parle encore toute seule et en patois, alors je me demande s’il ne reste pas encore une autre personne en elle. En tout cas, elle est calme et même s’il y a quelqu’un encore qui parle avec elle, il n’y a plus de violence en elle.
MON AME
L’âme de mon ange gardien est venue effleurer la mienne
Pour que je trouve en moi les forces nécessaires
Pour vivre sans peine ni désespérance mon quotidien.
Lorsque la colère monte en moi, je la canalise,
J’en prends conscience et je sais que ce n’est qu’une flamme passagère ;
Lorsque la lassitude m’envahit, je m’y enfonce,
Je la reconnais et je sais que ce n’est qu’émotion passagère.
Rien ne dure, rien ne perdure, rien n’est stable indéfiniment
Alors mes énervements, mes colères, mes fatigues
Passent et trépassent tout aussi vite.
Rien ne sert de courir pour y échapper,
Rien n’est à sacrifier sur l’autel des sentiments
Car tout est fugace, vif comme l’éclair
Tout s’estompe, tout s’efface, tout se dilue.
La vie, elle, sait ce qu’elle fait,
Elle m’emmène exactement là où il faut pour que mon âme
Se froisse, se plisse, se police et se polisse
Telle une soie transparente, vibrante au soleil et au vent.
Lundi 25 Octobre 2010
Depuis hier soir, elle a recommencé à parler toute seule, en patois. Elle m’a demandé si on avait bien fermé la porte. Là, je sais que, soit c’est elle à une autre époque, celle de sa jeunesse, ou bien c’est sa mère adoptive qui parle à travers elle. Elle n’est pas vraiment revenue aujourd’hui dans notre monde. Je viens de le lui dire et de lui demander qui j’étais, et j’étais sa sœur, puis même pas une demi-heure plus tard, j’étais sa fille, mais elle ne savait pas son âge, autour de 50 ans peut-être. Aujourd’hui, j’en ai marre ! Je suis allée nettoyer le terrain pour essayer de me calmer mais je n’y suis pas arrivée. Le fait de l’entendre parler toute seule comme si elle était une autre personne me met les nerfs en boule. Je crois bien que sa mère adoptive l’a parasitée. De plus, elle porte ses chemises de nuit, alors j’ai décidé de les jeter dès que je peux en acheter des neuves. J’ai essayé cette nuit de faire en sorte que l’esprit qui l’envahit s’en aille vers la lumière où il doit aller, mais apparemment, ça n’y a rien fait.
Vendredi 29 octobre 2010
Je pars donc jeudi prochain avec Dorian et Erel avec le club Lookea. On attend l’accord de la compagnie pour savoir si les papiers que nous a transmis Nora sont bons pour pouvoir rentrer en France avec Rafi et Mimine. Je suis soulagée de savoir que bientôt mes animaux vont revivre avec moi. En plus, je suis persuadée que des animaux gentils vont aider ma mère, même si elle s’énervera sûrement encore à cause d’eux, mais elle se sentira utile et responsable d’eux. Comme tout le monde, dès qu’on ne se sent plus utile aux autres, il y a un malaise qui s’installe car on se demande alors pourquoi et pour qui on vit. Sans but, que ce soit un but d’amour ou d’amitié, il est difficile de s’épanouir. Bien sûr, il y a ceux qui ont un amour excessif d’eux même et qui ne voit même pas les autres, mais c’est quand même un but pour ceux-là que de s’aimer au-delà de tout.
Samedi 30 octobre 2010
Hier tout allait bien, mais vers 20 h elle s’est remise à débloquer ; je ne l’ai pas supporté ; j’ai éteint la télé et je suis allée au lit.
Ce matin, j’ai compris qu’elle n’était pas encore redevenue normale ; j’ai voulu faire le petit-déjeuner mais au moindre bruit, elle s’énervait, alors je suis revenue au lit pour éviter de m’énerver encore plus qu’elle. Pas de petit-déjeuner. Je me suis levée à midi moins le quart car j’avais constaté que sa voix était normale. Elle a pris son chocolat au lait et moi j’ai déjeuné aussi comme si c’était l’heure normale. Puis ensuite je me suis mise à faire le repas. On a mangé à plus d’une heure mais elle continuait à parler toute seule et moi je ne suis pas assez calme.
Dorian a peut-être compris qu’il valait mieux prendre l’avion pour aller à l’aéroport, j’espère l’avoir convaincu car je n’ai pas envie qu’on fasse plus de six heures de route juste avant de partir quand je sais ce qui nous attend là-bas. Même si ce sont des vacances pour Erel et lui, ça n’en sera pas pour moi. Je dois être sûre que tout ira bien pour récupérer mes animaux, qu’ils embarqueront sans problème et qu’on reviendra tranquillement en voiture louée depuis Paris. Comme dit Josepha, « un enfant, un chat et un chien depuis là-bas, vous êtes fous ! » On n’est pas fous, je veux juste récupérer mes animaux ; il n’est pas question que je les abandonne même si je sais qu’ils retrouveraient un autre maître. C’est peut-être de l’égoïsme, ou de la fierté mal placée, mais je ne peux pas faire autrement.
Si mon chien est la réincarnation de mon père, ma mère doit être la réincarnation d’un lama ! Quand elle est déboussolée, comme en ce moment, elle crache par terre comme un lama en colère ! Je vais être bien entourée avec mon chien, ma chatte, et un lama ! Et moi je suis quoi dans tout ça ? Pfff !!! je me le demande ! Mais si j’arrive à plaisanter avec ce genre de situations, c’est que je supporte bien le choc !
Dorian vient de m’appeler, il insiste pour monter à Paris avec sa voiture, ça me gonfle ! 6 ou 7 heures de route, avec un gamin de 5 ans, partir à 3 h du matin, manque de sommeil pour tout le monde, moi avec mes nerfs en pelote, en hiver, dans le froid ! ça c’est trop pour moi ! alors que l’avion ne met qu’une heure pour faire ce trajet ! même si on se lève tôt, on n’a pas le stress de la route ni la fatigue de la conduite ! c’est insensé qu’il veuille y aller en voiture, je ne comprends pas ! Merde !!
Dimanche 31 Octobre 2010
Bon, enfin, mon fils a décidé de monter en train. L’avion était trop cher ! Alors départ de Bordeaux aux aurores et je dois dormir chez lui normalement et c’est Josepha qui m’y amène ; on passera voir Souricette avant d’aller chez Dorian, je verrai enfin les modifications de leur maison, mais sa fille ne sera pas là.
Hier soir, j’ai craqué, à 6 h j’ai vu que je n’arriverai pas à la calmer. Alors j’ai préparé le repas, j’ai mangé à toute vitesse un œuf et des pâtes et je suis allée au lit, sans explication. Ça l’a perturbée elle s’est calmée et elle est revenue petit à petit me parler dans ma chambre, mais comme je ne voulais pas qu’elle me voit pleurer je lui répondais par oui ou par non et j’ai fini par lui dire qu’elle était malade, mais qu’elle ne voulait pas le comprendre et qu’elle m’avait emmerdée toute la journée et que je n’en pouvais plus, que je partirai parce que je ne pouvais plus la garder si elle continuait comme ça. Ça l’a faite redevenir normale, c’est très calme qu’elle m’a dit que c’était la première fois que je lui disais ça etc. Ensuite, elle a cru que j’étais partie au lit sans manger alors elle m’a supplié de venir manger avant de dormir. J’avais beau lui dire que j’avais mangé, comme elle ne se souvenait de rien de tout ce qu’elle avait fait (le bordel avec les casseroles, taper sur la table avec sans doute la fourchette – y a des traces sur la table - et à midi elle m’a demandé ce que c’était, je n’ai pas répondu). Elle est venue border mon lit, allumer le chauffage que j’avais éteint la journée, bref, comme une mère qui s’occupe de son enfant ! Ensuite j’ai du m’endormir un peu et je me suis réveillée quand elle allait au lit parce qu’elle ouvrait et refermait ma porte sans arrêt pour vérifier si j’étais bien là.
Je n’ai pas pu me rendormir de suite, je suis restée éveillée longtemps et j’ai souhaité très fort, entre deux mantras, que sa santé s’améliore au mieux et que l’on me donne la force de l’aider. Il est vrai que dans une de ses crises de démence l’après-midi, quand elle me crachait toute sa haine, je l’ai bien regardée : c’était effrayant ! son visage était déformé par la méchanceté, ses yeux étaient cernés, et sa colère et sa haine étaient palpables. Ça m’a fait un choc, je lui ai dit d’aller se regarder dans un miroir, mais ce n’est pas ce genre de phrase qui peut calmer une personne en furie à ce moment-là ! Grâce à son visage ravagé par la haine mais surtout par la souffrance, j’ai pu, dans mon lit, faire remonter à la surface de mon esprit toute la compassion dont je suis capable. J’ai souhaité vraiment que je sois assez forte pour l’aider à vivre sans ces accès de folie qui, en fait, se sont déclenchées parce qu’elle a compris que j’allais partir (elle m’entend téléphoner depuis plusieurs jours, je n’ai pas eu besoin de le lui confirmer, je ne lui dirai que mardi pour éviter qu’elle ressasse ça jusqu’à mercredi). Bref, c’est une sacrée épreuve et je sais qu’elle ne sera pas vaine : on ne souffre pas gratuitement, il y a toujours la récompense.
Vent vénéneux venu, sans crier gare, pointer son dard vers les nuages pour les éparpiller en milliers de pointes de flèche cristallines dignes d’un homo habilis.
Cette phrase m’est venue après mes larmes, dans mon lit. La souffrance ouvre des fenêtres poétiques on dirait !
Mardi 30 novembre 2010
Un mois vient de passer et les choses ont bien changé !
Nous sommes partis, Dorian, Erel et moi comme prévu à Las Galeras. Tout s’est bien passé. Erel s’est très bien comporté tout le long des voyages, que ce soit en avion, en train ou en voiture. Il n’a pas posé de problème, c’est un enfant souple et qui s’adapte facilement à son entourage maintenant.
J’ai récupéré Rafi et Mimine à l’aéroport et il n’y a eu aucun problème. Ils n’ont même pas vérifié si les animaux avaient leurs puces (électroniques) !
Nous sommes revenus aux Fieux le jeudi 11 au soir ; mes cousins et cousines de Bourges étaient là. Ma mère était complètement perdue : trop de monde, trop de nouveautés d’un seul coup. Et quand elle a vu les animaux, alors là ! ça a fait déborder son vase !
Le lendemain elle a commencé à les taper, dès qu’elle pouvait en coincer un ; chacun à leur tour, ils ont reçu des coups de pied. Je ne l’ai pas supporté. Mais le comble est arrivé le dimanche. Quand les cousins de Bourges ont été partis, elle est restée calme un moment puis ça s’est dégradé très vite. Elle a voulu frapper Rafi avec la poignée de la porte qu’elle avait enlevée. Mais le chien s’est retourné (il était monté sur le lit pour que je le protège) et voyant qu’il allait peut-être la mordre, elle a lancé la poignée de toutes ses forces et je l’ai reçue sur le front juste au-dessus du sourcil gauche ! J’ai vu trente-six chandelles, mais surtout, une rage incroyable m’a envahie, je l’ai attrapée par l’épaule, je l’ai frappée je crois et je l’ai poussée dehors en la soulevant. Elle s’est rendue compte qu’elle m’avait fait mal. Ensuite, j’ai fermé ma porte de chambre, sans oublier cette fois d’enlever la poignée à l’extérieur et j’ai essayé de me calmer. Le front me faisait mal mais je ne voulais pas sortir pour y mettre de l’eau. Je sentais que c’était bien gonflé alors je me suis relevée un peu plus tard pour y mettre du jus de citron avec du sel (remède miracle dominicain). Elle ne m’a pas demandé ce que je faisais. Je ne me souviens plus si j’ai mangé ce soir-là. En tous cas, elle, elle a mangé des yaourts et des fruits.
Les jours qui ont suivi ont été très difficiles. Je n’avais plus envie, ni de lui faire à manger, ni de m’occuper d’elle. J’ai fait un blocage total. Alors je lui faisais juste son petit déjeuner pour qu’elle prenne ses médicaments et je mettais les assiettes à midi avec un minimum de nourriture. Le soir c’était encore plus succinct. Mais à midi, plus de café, ni de tisane à quatre heures. Je me suis repliée dans ma chambre avec mes animaux, en attendant que ça s’arrange dans ma tête.
Et ça ne s’est pas arrangé : Je sentais que je sombrais dans une grande indifférence à son égard. Plus rien ne m’intéressait. Je ne nettoyais plus rien, ni le water, ni l’évier, ni sa chambre. Je voulais seulement que ça finisse. Je voulais qu’une solution vienne mettre un terme à cet enfer.
Et la solution est venue. Ma voisine m’a dit « tu devrais voir si à la maison de retraite de La Grande Terre il y a de la place ! » J’ai appelé, on m’a répondu de venir visiter l’établissement, mais sans me dire qu’il y avait une place de libre. Josepha m’y a amené le mardi. J’ai trouvé que c’était exactement ce cadre-là qu’il lui fallait. Et jeudi dernier la direction m’a confirmée qu’elle pouvait entrer le lundi suivant. J’ai dit « oui ».
Dorian est venu. Après le repas, on est tous partis en direction de La Grande Terre et ça s’est relativement bien passé.
Voilà donc résumé ce mois passé. Je me sens soulagée car je n’étais plus capable de supporter ce quotidien de folie et de violence.
Dorian n’est pas encore convaincu que c’est la bonne solution pour elle. Il va s’en rendre compte avec le temps. Je vais retrouver ma bonne humeur et mes envies d’écrire et de terminer mon livre sur les Taïnos et ensuite je trouverai un éditeur et l’affaire sera réglée.
J’ai l’intention de repartir au printemps, en tous cas avant l’été. Je pense que, d’ici-là, ma mère aura pris ses habitudes dans la maison de retraite.
Mardi 7 décembre 2010
Je reviens de la maison de retraite, c’est toujours la même chose : dès qu’elle me voit elle veut revenir à la maison, avec moi. Elle est redevenue agressive tout de suite, donc je suis partie dès qu’elle a eu le dos tourné. C’est inutile que j’y aille : ça lui fait plus de mal que de bien, comme elle n’a pas la notion du temps, quand elle ne me voit pas, elle ne sait pas depuis combien de temps elle ne m’a pas vue. La solution c’est qu’elle s’habitue là où elle est. Mais s’ils ne font rien pour qu’elle se sente bien, c’est sûr que ça peut prendre du temps. Et moi, je ne veux pas la voir dans cet état-là d’agressivité et de colère.
Mon frère dit qu’il ne peut rien verser pour faire le complément, je me demande si l’aide sociale va aller jusqu’à 800 euros, ça me parait beaucoup ! On verra, pour l’instant je n’ai pas d’autre solution.
J’aimerai pouvoir me mettre dans sa tête, savoir exactement à quel degré elle souffre ; car elle souffre c’est certain, pour être agressive comme ça. Mais lorsqu’elle me reconnaît, elle n’a qu’une idée en tête, rester avec moi, même si c’est pour ne plus me supporter au bout d’une journée de vie commune. Alors à quoi bon ? Mais peut-on laisser souffrir comme ça une personne, alors qu’elle pourrait revenir vivre avec moi, s’il y avait quelqu’un 24 h/24 à ma place. Mais à quel prix, et combien de personnes faut-il ? Et où ? Ce ne sera pas les 500 € plus les 800 de sa retraite qui suffiront ! Alors où est la solution ? Aller à Las Galeras et louer une maison en attendant qu’on construise là-haut sur le terrain. Mais qui va surveiller les travaux de construction ? Moi je ne veux pas faire ça, je n’ai plus envie de ça ! Dorian ne pourra pas venir trois mois le temps des travaux, sauf s’il arrête de travailler. Quelle galère !!! Je n’ai plus envie de me battre, je suis épuisée moralement. Qui le comprendra ça ?
Vendredi 10 décembre 2010
La solution de revenir sur la colline avec elle me tente de plus en plus, mais est-ce que je me rends compte de toutes les difficultés ? Je ne crois pas. Je crois que je ne supporte pas de la voir souffrir alors je cherche un moyen, n’importe lequel pourvu que ça s’arrête. J’ai téléphoné tout à l’heure pour avoir des nouvelles : elle allait bien, ils l’ont amenée enfin, hier et aujourd’hui, avec les autres pensionnaires de l’autre immeuble et ça s’est bien passé. Est-ce vrai ? Comme dit mon fils : « ils te disent ça pour que tu ne fasses pas un foin, mais si ça se trouve ce n’est pas vraiment ça » Comment vérifier ? Doit-on mettre en doute toujours ce qu’ils racontent ?
Bref, je ne sais vraiment pas où je vais.
Samedi 11 décembre 2010
Je commence à tourner en rond dans ma maison. J’ai de plus en plus de mal à me lever à cause du froid. Je n’ai plus envie d’affronter cette température qui me glace les os, même si je suis chaudement habillée. Est-ce que c’est la fin de mon séjour ? Je me sens inutile ici. Cette nuit, j’ai fait un rêve bizarre où il était question d’un blessé que soignait le Dalaï-Lama. Ensuite il me l’a confié. Je me suis rendu compte qu’un os de sa jambe cassée sortait et que la blessure était ancienne. Je ne savais pas comment soigner cet homme, pourtant je m’en suis occupé tant bien que mal. Le rêve continue bizarrement. Je suis en train de téléphoner pour qu’on vienne l’évacuer, mais nous sommes apparemment dans un immeuble difficile d’accès. C’est un rêve bien brouillé et je n’en vois pas la signification.
Quand je me suis réveillée, je m’en suis souvenu et l’envie de partir m’a submergée. Aller soigner, aider, mais ne plus rester confinée là avec mon confort alors que tant d’autres vivent des heures difficiles dans des pays détruits. J’ai pensé à Haïti, mais ensuite à Las Galeras où il y a tant à faire pour éviter que la jeunesse ne sombre dans la prostitution et la drogue comme ça a l’air d’en prendre le chemin. Alors l’idée de créer une « croix rouge » pour récolter des fonds et aider lorsqu’il y a des cyclones et aider les écoles dépourvues encore de moyens sérieux.
La croix serait bleue comme la mer et le ciel : la Cruz Azul Dominicana ! C’est un joli nom. Pourquoi pas ? Mais pourquoi tout ça ? Pour se sentir utile ? Maintenir le terrain de Dorian en bon état de vente, n’est-ce-pas suffisant ? Est-ce que je suis capable d’accepter la souffrance journalière de ma mère, même si ceux qui s’en occupent me disent qu’elle va bien ? Mais si elle ne s’habitue pas à sa nouvelle vie, les choses n’auront finalement pas avancées du tout !
Dimanche 12 Décembre 2010
Je reviens de la maison de retraite avec Clothilde. Notre accueil a été des plus froids, tant par elle que par la personne qui était là. On a été très surprises ; il a du se passer quelque chose avant que l’on n’arrive.
Le quatre heures a été apporté dans sa chambre. Après on est allées se promener dans le parc et je lui ai expliqué que c’est dans ce nouveau bâtiment qu’elle va aller dans quelque temps – le nouveau bâtiment destiné aux Alzheimer. Ce à quoi elle a répondu : et toi aussi ? J’ai dit « oui ». Quand on est revenues elle a compris que j’allais repartir ; elle a commencé à s’énerver. Nous avons bavardé un peu avec ses deux voisines de palier, mais on a du partir en cachette. Elle ne s’habitue pas du tout. Ça fait 15 jours maintenant, ça n’a pas évolué d’un pouce, ce qui me fait dire que ce n’est pas gagné d’avance! Clothilde me dit que certaines personnes mettent de un à deux mois avant d’accepter leur nouvelle vie. C’est peut-être son cas. On verra. Jeudi prochain Clothilde vient me chercher pour la réunion avec la psychologue, le toubib et les membres du personnel qui s’occupent d’elle. On verra bien ce qu’il en ressortira. Sinon c’est l’expatriation !
Mercredi 15 décembre 2010
L’idée de faire de l’humanitaire poursuit son chemin, même si je sais que je ne vais pas rester ici. Après tout, que ce soit en France ou là-bas, il est inadmissible qu’un humain n’ait pas un toit sur la tête à notre époque où certaines personnes possèdent plusieurs maisons uniquement pour le plaisir ou pour la rentabilité. Alors?
Faire une association sur le modèle des restos du cœur. Procéder par commune. Voir la mairie, demander quels sont les locaux, garages, hangars, vieilles maisons désaffectés. Aller les voir et jauger de leur capacité à être utilisés sans trop de modifications. Pourvu qu’il y ait un toit en bon état, et un point d’eau ça suffit pour commencer. Ensuite voir avec les services déjà en place qui s’occupent des sans-abris. Pour ce qui est des drogués et des alcooliques, les diriger systématiquement vers les hôpitaux. Ils sont du ressort du médical et non du social dans un premier temps.
Aller proposer à ces personnes vivant dehors de les reloger, eux et leur copains dans un même endroit, d’abord pour dormir, mais s’ils veulent y rester, ce sera possible. Les services sociaux ensuite du département doivent prendre le relais pour obtenir au moins le revenu minimum.
Une loi devrait être votée pour obliger les communes à recenser les logements vacants depuis longtemps (un an ou deux ans) et obliger les propriétaires, soit à les louer à des particuliers, soit à la mairie, qui les utiliseraient alors pour les sans-abris, en versant un loyer modique mais qui couvrirait au moins les charges de l’immeuble et d’électricité.
Pour obliger les sans-abris à sauter le pas, faire le ramassage obligatoire de toute personne dans la rue sans papier ni sans domicile fixe. Ce ramassage pourrait se faire par un service de la Croix Rouge, ou autre, mais pas par la police. Les gens ainsi sortis de la rue seraient ensuite dirigés vers un centre médical pour avoir un entretien avec un docteur généraliste et ensuite la mairie de la commune prendrait en charge ses personnes jusqu’à leur installation fixe dans un logement un minimum emménagé.
Le but : ne plus voir un homme sans toit dans la rue.
Les moyens : récolter des fonds par l’association avec l’aide des médias et des personnes volontaires. Ces fonds serviraient à acheter le minimum pour meubler un logement décent : un lit, une armoire, un w.-c. un lavabo, une plaque chauffante, un frigo, une table et deux chaises, un meuble de cuisine.
Les conséquences :
- pour rénover les locaux trouvés, mettre au travail des petites entreprises avec qui un partenariat serait trouvé pour faire tous les travaux indispensables à prix coûtant ;
- si la personne sans-abri accepte un tant soit peu cette nouvelle vie, elle peut refaire surface si les services sociaux et médicaux sont bien en place près d’elle pour la soutenir ;
- Faire de la solidarité de proximité une priorité. Faire des dons à des associations humanitaires à des milliers de km de chez soi, c’est bien, mais regarder crever un voisin sans lever le petit doigt ce n’est pas admissible. La solidarité de proximité doit être organisée par des bénévoles et encadrée par les services sociaux de chaque commune.
L’association pourrait s‘appeler : « Zéro sans toit » ou bien « Toits du cœur » Est-ce-que cette idée est transposable à Las Galeras?
Mardi 28 Décembre 2010
Mon frère est venu passer la fin de l’année ici. Dimanche il y a 8 jours, on est allé la chercher pour qu’elle vienne avec nous chercher les foies gras chez un copain de Vergt. Comme elle était bien j’ai décidé qu’on pouvait faire le chemin avec elle sans trop de problèmes (il doit bien y avoir plus de 30 km). Quand on est rentré il faisait presque nuit et la maison de retraite était soi-disant très inquiète. Ne nous voyant pas sortir avec elle, ils ont pensé qu’elle s’était échappée. Je n’avais avertie personne de notre départ, bien qu’il ne soit pas passé inaperçu car mon frère avait rentré sa grosse voiture dans la cour et il y avait une réunion dans la salle à manger avec une trentaine de personnes qui nous ont vu sortir ! A notre retour, la directrice nous attendait et je me suis faite engueulée comme du poisson pourri ! Alors je l’ai ramenée dans sa chambre sans m’énerver et en revenant aux Fieux je savais que je ne la laisserais pas là ; pas seulement à cause de cette histoire, mais ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de ma patience. Alors je la sors avant le 31 décembre et advienne que pourra!
Je rentre avec elle à Las Galeras, avec ou sans le garage aménagé car je ne suis pas sûre que Dorian ait envie de faire cette dépense. Quant à moi je ne veux plus rien savoir de cette société à la con qui ne s’intéresse qu’à leur petite sécurité, leur petit chèque à la fin du mois, et aucun respect ni compassion pour personne. Ce n’est plus pour moi. Mon cœur saigne pour un rien donc je ne supporte plus la souffrance de ma mère.
Mercredi 2 février 2011
Je n’ai pas envie de résumer tout ce qui s’est passé depuis la fin Décembre. Seulement je veux écrire un bout mon rêve de cette nuit, j’ai peur qu’il ne s’efface. Ce n’est pas l’histoire qui est intéressante pour moi mais l’atmosphère qui y régnait:
Je vivais depuis peu avec un copain, dont apparemment j’étais très amoureuse. Des amis sont venus nous rendre visite. Je ne sais pas pourquoi j’ai répondu cette phrase : « en deux ans, la rouille a mangé toute la pioche, regarde ! » et j’ai cassé un bout rouillé pour le mettre sur ma bouche. La rouille a coloré mes lèvres ; j’ai compris alors que ma relation avec mon copain était finie. Je suis allée me laver les lèvres et peu à peu je me suis retrouvé entourée de beaucoup d’amis qui faisaient cercle autour de moi, tout en tournant lentement. Un de mes amis a soufflé dans ma direction, au-dessus d’une coupelle remplie d’un produit rouge. J’ai compris ce geste, il était la signification d’une phrase que nous aurions prononcée un peu plus tôt. J’ai commencé à tourner sur moi-même, entourée toujours de mes amis qui tournaient aussi, mais dans le sens inverse. A un moment, je me suis mise à émettre un cri rauque, qui avait du mal à sortir, mais c’était comme une libération. Ce cri, pourtant pratiquement inaudible, sortait de ma gorge comme des rubans de souffrance et mes oreilles étaient emplies de ce bruit assourdissant. Quand je me suis arrêtée de tourner et de crier, mes amis aussi se sont arrêtés, et ils m’ont tous dit doucement: « merci sœur Tati, merci! » Je me suis sentie enfin libérée.
De ma poitrine monte un cri me nouant la gorge
Des rubans de souffrance s’élèvent libérant ma peine
Je tourne, entourée d’amis dont je sens l’amour me submerger
Et, quand j’arrête enfin, je sais où est mon chemin.
Samedi 26 février 2011
Il pleut, je n’ai pas envie de sortir comme à chaque fois qu’il pleut maintenant. Je sens le soleil arriver. Dans un peu plus d’un mois, j’y serai. Je visualise sans arrêt notre installation dans la maison d’Anisette à Las Galeras. Par moment, je suis totalement confiante et, à d’autres, je me demande si je ne suis pas folle d’entreprendre ce voyage avec ma mère. Par précaution, bien sûr, j’ai pris rendez-vous avec un cardiologue. J’ai besoin d’entendre qu’il n’y a aucun risque pour sa santé comme me l’a affirmé mon docteur.
LE PASSE
Ni le polir, ni le laver, ni le regarder
Nul besoin de l’exposer à la lumière crue
De regards curieux et jaloux.
Le passé est à sa place : sur mes épaules.
Comme un sac à dos bien ajusté,
Il s’ouvre seulement lorsque je découvre les racines
D’un mal présent, bien cachées dans ses poches.
Il ne pèse rien, il n’emplit pas l’espace,
Il est discret et invisible mais chaleureux
Comme un ami véritable, toujours présent
Pour éclairer mon avenir lumineux.
RETOUR EN REPUBLIQUE DOMINICAINE
Lundi 27 juin 2011 à Las Galeras
Quatre mois sont passés : départ le 4 avril de Bordeaux – arrivées à Punta Cana puis 7 heures de route en taxi, de nuit, et enfin la maison d’Anisette. Clothilde nous a accompagnées car toute seule je ne me sentais pas capable d’assumer. Et heureusement !! Déjà le départ de la maison des Fieux a été une histoire pas possible. Je n’ai pas réussi à la faire habiller ; elle se cachait derrière la maison neuve entre les deux maisons et impossible de l’en faire sortir ! Nous sommes finalement parties de la maison sans elle et, en chemin, on a appelé Dorian pour qu’il vienne la chercher. On s’est rencontré à l’aéroport. Mais ce fut une autre histoire pour la faire patienter et la faire passer entre les portails de sécurité !! 20 minutes à essayer : Dorian d’un côté avec le personnel de sécurité et Clothilde et moi de l’autre côté. Dans l’avion elle n’a pas cessé de donner des coups de pieds et des coups de poing dans le siège devant elle. Elle se croyait dans un camion et quand il y avait des turbulences elle se fâchait car elle pensait que quelqu’un faisait exprès de faire bouger son camion. Le personnel de bord nous a aidées et finalement tout s’est bien passé, même le voyage aux toilettes, pourtant ce n’était pas facile parce que trop étroit pour deux personnes.
Nous sommes restées deux mois dans la maison d’Anisette, le temps de faire construire une petite maison à côté de la mienne.
Elle a vite fait de s’habituer à la maison et au jardin. Le plus dur a toujours été l’heure du coucher. Elle ne veut jamais aller au lit tranquillement. C’est toujours difficile mais les crises de violence ont pratiquement disparues depuis que je suis sur la colline. J’ai déménagé le 27 mai, comme pour me faire mon cadeau d’anniversaire.
Comme le maître d’œuvre et moi on s’est disputé, la maison où elle doit vivre n’est pas finie. On vit dans ma maison avec tous les risques que ça comporte. Mais je vois qu’elle s’habitue très vite aussi à toute nouvelle situation. Les pierres de la terrasse ne la gênent pas trop. Elle me suit quand je vais dans le terrain du bas. Elle descend le chemin bien pentu et le remonte sans trop de difficultés. Elle faisait de même quand je descendais à la fontaine des Fieux.
Longtemps elle est restée avec l’heure de France dans sa tête. Encore aujourd’hui, lorsqu’il est midi, elle pense que c’est le soir. Son comportement s’est amélioré : elle n‘est pratiquement plus incontinente. Elle n’a plus de couche depuis deux mois. Elle se lève deux ou trois fois par nuit pour faire ses besoins et elle n’en met plus partout comme elle faisait avant. C’est une grande amélioration.
Je m’aperçois que les choses nouvelles l’obligent à faire travailler sa mémoire alors je n’hésite pas à la bousculer pour l’obliger à faire un effort de mémoire. Parfois elle se met en colère et elle ne fait plus aucun effort mais souvent elle cherche la réponse aux questions que je lui pose.
Son alimentation a changé et je pense que tous les fruits et les légumes d’ici sont bons pour elle. Le corossol est un calmant comme le fruit de la passion qui en plus fait baisser la tension. La papaye est bonne pour l’estomac en plus d‘être un léger laxatif. Depuis qu’elle n’a plus aucun médicament, puisque celui du cœur est terminé aussi, je lui donne la tisane de griffe de chat qui me reste et je fais de temps en temps de la tisane de noni. On verra bien si ça continue à s’améliorer.
Par contre il me manque ma tranquillité. Malgré les deux filles du matin et de l’après-midi, je ne suis jamais seule depuis que je suis arrivée ici. Je n’ai pas encore eu envie de peindre. Ce n’est qu’aujourd’hui que je me suis forcée à écrire. Je me dis que lorsque la nouvelle maison sera habitable, je la laisserai avec sa gardienne et moi j’en profiterai pour faire ce que j’ai envie dans ma maison. Mais me laissera-t-elle tranquille ? Les deux maisons sont tout près et elle a déjà ses repères puisqu’elle y va seule parfois et elle revient sans problème, même si elle ne se rappelle pas que je suis là.
Dimanche 14 août 2011
J’ai demandé à Luisa (la fille du matin) de ne plus venir. Elle est venue à pied deux fois (ça doit faire plus de 3 km) parce que ni son fils ni son mari n’ont voulu l’amener. Ils veulent qu’elle reste à la maison, qu’elle soit disponible comme avant, alors je n’ai plus que Suzanna l’après-midi (de 13 h à 17 h) ça me permet de partir quand j’en ai besoin et elle est disponible si ne je peux pas être rentrée à l’heure. J’ai passé un accord avec le motoconcho Poncho, je le paie à la semaine et il l’amène et la ramène et il n’a fait jamais défaut depuis. Suzanna s’entend bien avec ma mère même si elles ne peuvent pas communiquer réellement.
Depuis plusieurs semaines ma mère couche seule dans sa maison. C’est souvent un bras de fer pour lui faire accepter qu’elle couche toute seule. Elle s’était habituée à dormir dans ma maison avec mon lit à côté. Les premières nuits ont été difficiles pour elle car elle n’a pas trouvé l’interrupteur pour allumer. J’ai essayé de lui laisser une lampe de chevet avec une lampe très faible mais elle la débranchait sans arrêt car elle ne supporte pas de voir un appareil quel qu’il soit branché. Elle a souvent fait ses besoins par terre, au bord de son lit, même sur le mur. A chaque fois, c’est le changement des draps et du couvre-lit car tout se salit.
Son comportement continue d’évoluer dans le bon sens. Sa mémoire semble évoluer aussi puisqu’elle mémorise non seulement les lieux où elle vit, mais aussi elle s’est habituée à Poncho et à Suzanna. Je les ai appelés des prénoms de mes voisins des Fieux parce que ses prénoms lui sont familiers. La petite histoire c’est que je crois que Suzanna et Poncho, à force de jouer le couple, se sont pris au jeu et vendredi dernier, Poncho était habillé sur son 31 pour faire une déclaration à une femme dont il est amoureux. Il ne m’a pas dit de qui il s’agissait mais je parierais que c’est une déclaration à Suzanna ! Les regards qu’ils ont échangés m’ont fait croire que ça pouvait être ça.
Dorian est venu avec Myrtille et Erel. Ils sont restés 15 jours. Pour Myrtille c’était la première fois et Erel, la deuxième fois. Il est resté dormir dans ma maison et j’ai pu le découvrir un peu. On a fait connaissance enfin ; à chaque fois que je l’avais vu aux Fieux c’était trop court pour qu’il s’ouvre vraiment et qu’il prenne confiance en moi. C’est un enfant de 6 ans mais il me parait plus mûr. Il a vécu et il vit des situations familiales peut-être pas toujours faciles et il absorbe tout. Il a pris l’habitude de se mêler de toutes les conversations. Dorian le reprend à chaque fois. La première journée, il nous a manqué de respect et j’ai eu la mauvaise idée d’en parler à Myrtille. Il s’est fait remonter plus que les bretelles. Le lendemain il est arrivé avec son père en pleurant et il nous a demandé pardon. Devant la dureté de Dorian et les larmes d’Ethan j’ai failli pleurer mais je savais que David avait raison de faire cette correction. Le manque de respect est un mal profond. La journée suivante s’est très bien passée ; il s’est intéressé aux animaux, aux plantes et on s’est raconté des histoires. J’en ai profité pour lui dire de mémoire certains des contes tropicaux que j’ai écrit pour lui. Je me suis rendu compte à cette occasion qu’il se servait d’une partie des contes pour en inventer d’autres très différents. Pour moi c’est une qualité : faire du neuf avec du vieux en ajoutant juste un peu d’imagination. Il m’a dit entre autres qu’il comprenait les animaux et il a bien retenu que les plantes et les arbres sont des êtres vivants comme le lui a expliqué son père. Il m’a dit ça lorsque j’ai coupé une petite branche de « joboban » sorte de hêtre, pour nous en faire un chapeau nous protégeant du soleil.
Le besoin d’écrire refait surface car les choses se sont calmées depuis que nous habitons la colline même s’il y a eu des jours difficiles surtout lorsqu’il a fallu que j’explique à Dorian que le maître d’œuvre nous avait mis au tribunal parce que je refusais de payer le solde de la maison à cause de toutes les malfaçons et les manques de peinture et de carrelage. Dorian a réagi bien sûr. Toute la responsabilité de cette situation me revient alors il a choisi de payer et d’arrêter ainsi la procédure. Savoir que cet homme vient de se faire payer 2788 € indûment ça a du mal à passer, mais c’était la seule solution. En tous cas, Rosario, notre avocat, n’a pas levé le petit doigt, il nous a bien laissé nous débrouiller seuls.
L’autre déception de mon fils a été la voiture. Il l’a prise pour aller à la plage de Rincon et il est revenu à 10 à l’heure à cause d’un problème d’huile. Le lendemain soir, il m’a appelée en me disant que je me suis aussi trompée sur l’achat de la voiture, ça faisait beaucoup : se tromper sur le maître d’œuvre, sur la voiture et l’année d’avant, sur l’électricien qui nous a fait payer 1000 € de plus. Là, Dorian m’a clairement dit que je ne servais pas à grand-chose. Même si le reproche est excessif, je me sens responsable de tout ce qui s’est passé et je sais que je lui ai gâché ses vacances avec Myrtille et Erel car il ne s’attendait pas à ces deux problèmes. De plus, il avait l’intention de partir faire la côte jusqu’à Puerto Plata. La voiture est restée bloquée sur le parking de l’hôtel et ensuite chez les mécaniciens en face de chez Anna-Maria. Bref, plus de voiture, plus de balade !
La voiture est réparée depuis vendredi et elle va bien.
Dorian et sa famille sont repartis mercredi.
Les journées passent de la façon suivante :
Le matin, vers les 7 h et demie, je vais voir comment s’est passée la nuit de ma mère. Souvent, elle est déjà habillée et elle vient déjeuner avec moi ou bien je vais avec les deux bols déjeuner avec elle dans sa maison. Depuis deux nuits, sa maison est propre. Elle sait allumer et elle va aux w.-c. normalement. Elle accepte depuis trois semaines de se doucher tous les matins dans sa salle de bains. Je lui savonne le gant et elle commence par le visage, ensuite je lui lave le dos et elle finit toute sa toilette sans aucune réticence. Quand je veux lui laver les cheveux, il n’y a aucun problème non plus alors elle est propre et parfumée tous les jours. Comme elle n’est plus incontinente, elle salit beaucoup moins ses vêtements. Mes efforts sont enfin récompensés. Elle s’habille toute seule mais je lui prépare encore ses vêtements : c’est un slip, une chemise de corps avec ou sans manche selon le temps et une robe-tablier c’est tout. J’ai supprimé les chemises de jour trop chaudes, les combinaisons qui ne servent à rien.
L’étonnant c’est qu’elle a compris où se trouvait l’interrupteur de la pompe à eau. Comme elle fait du bruit lorsqu’elle se met en marche, elle a fini par le trouver et elle l’éteint. Pourtant j’avais mis un meuble devant, mais elle l’a éteint quand même. Comme j’ai connecté ma maison avec la même pompe, je me suis retrouvée plusieurs fois dans ma salle de bains, mais sans pouvoir me laver, alors à partir de demain je vais remplir un seau d’eau que j’utiliserai si elle continue.
Après sa douche, je lave son carrelage et je change les draps s’ils sont trop humides de sueur car elle transpire la nuit. Aujourd’hui je lui ai mis un dessus de lit plus léger pour éviter ça. Ensuite, je vais laver le linge dans ma maison avec ma machine à laver semi-automatique toute neuve. Et ensuite seulement, je peux me laver.
Je lui demande d’éplucher ail et oignons et pommes de terre – les autres légumes sont trop difficiles à éplucher pour elle. Elle se met à faire la vaisselle de la veille, mais à sa manière, ce qui fait que Suzanna doit quand même la relaver. Avant le repas, je lui donne un jus de fruit frais ou un fruit. Depuis le dernier poulet (blanc gavé d’hormones) qui ne s’est pas conservé au frigo – c’est Rafi qui l’a presque tout mangé – nous ne mangeons que des légumes et des céréales et finalement c’est aussi bien. Le thon en boite est bon c’est la seule viande que j’accepte de manger. Après le repas je fais du café, que l’on boit avec Suzanna et Poncho.
Après le café, j’essaie de me reposer et je laisse parfois Suzanna avec elle et vais dans le hamac installé sur sa terrasse. Mais souvent je pense à faire des bricoles ou des choses plus utiles et je ne me repose pas vraiment. J’ai beaucoup de mal à accepter le fait qu’il y ait quelqu’un qui travaille près de moi alors que je ne fais rien. Cela me gêne, pourtant il faut bien que je reprenne des forces. Tous ces événements depuis mon arrivée le 4 avril m’ont pas mal bousculée et vivre en permanence avec ma mère est une épreuve physique et mentale. Ma patience a été beaucoup mise à mal en France et ici je n’ai pas beaucoup décolérée à cause de la mauvaise foi du maître d’œuvre.
Après le départ de Suzanna, si ma mère a été désagréable l’après-midi, souvent, elle se calme. Elle éprouve de la jalousie lorsque je m’occupe des autres et non d’elle alors elle est toute contente de la voir partir. Elle leur dit « à la prrrochaine ! » avec un grand sourire. Ensuite on se promène dans le terrain, on donne à manger à la jument et vers 5 h et demie, là, ça se détraque presque tous les soirs. Je lui en fais prendre conscience en lui disant qu’elle se détraque. Elle ne comprend pas toujours alors je précise que son cerveau se détraque, qu’elle doit y faire attention sinon elle va s’énerver et que c’est tous les soirs pareil. Parfois ça marche, elle redevient elle-même, parfois c’est raté, ça déraille et Rafi va se cacher ; Mimine attend dans un coin que le soir tombe pour pouvoir rentrer dans ma maison.
Le repas du soir est plus rapide car, depuis que je m’organise pour qu’il reste quelque chose du repas du midi, c’est plus facile. Je fais un peu plus à manger le midi et j’en garde. Mais ensuite, c’est le moment le plus difficile : celui d’aller au lit dans sa nouvelle maison. Je m’y reprends à plusieurs fois lorsqu’elle refuse de dormir seule. Hier soir elle a hurlé lorsque j’ai fermé la porte à clef mais je suis rentrée quand même chez moi. J’y suis revenue plus tard car je voyais de la lumière allumée et elle était toute contente de me voir jusqu’au moment où elle a compris que je ne resterais pas dormir dans sa maison. Elle a recommencé ses hurlements mais je n’ai pas cédé. J’y suis revenue plus tard et elle essayait d’éteindre la lumière. Je l’ai mise au lit sans problème, la crise était passée. Elle dort très bien et elle se réveille avec le jour.
Son réveil ne marche plus et ça me fait une contrainte de moins car elle vivait avec son réveil sous la main. Ses « tic-tac » qu’elle chante encore quelque fois viennent peut-être tout simplement du bruit de son réveil qu’elle collait à son oreille pour vérifier s’il marchait.
Elle s’est habituée à manger sur les fauteuils en bambou sur ma terrasse, comme je le fais, Je ne le lui ai pas imposé, elle singe tout simplement ma vie.
Aujourd’hui, en voyant la photo où elle est aux côtés de son fils, elle s’est parfaitement souvenu qu’il était son fils, pourtant elle l’avait pas mal oublié lui ! « Elle m’a zappé » dit-il. Celui qu’elle a zappé par contre, c’est mon père ! J’ai fait quelques tentatives pour voir si ça revenait, mais à part le couteau qu’elle avait reconnu aux Fieux dans le tiroir, elle n’y fait jamais allusion. Mais je n’insiste pas car je préfère porter mes efforts sur la vie quotidienne et sur les gens qu’elle voit maintenant. Je vais essayer de quantifier les heures où elle est normale, dans notre monde d’aujourd’hui et les heures où elle se déconnecte.
La présence des animaux a un effet certain, même si elle les chasse parfois dans ses moments de méchanceté. Rafi a sa préférence. Il en profite : elle veut toujours lui donner un peu de ce qu’elle mange. Je laisse faire jusqu’à un certain point, car il y a des jours où c’est l’assiette entière qui irait au chien !
Elle monte sur une chaise pour « voler » les bananes jaunes que je suis obligée de mettre au-dessus de ma cuisine. Aujourd’hui je l’ai surprise en train de monter, mais elle ne s’est pas démontée : du tac au tac elle m’a répondu qu’elle voulait regarder quelque chose. Quand je lui ai dit que c’était les bananes qu’elle voulait atteindre elle s’est trouvée gênée. A chaque fois je lui explique que ces bananes sont à faire cuire, mais elle me répond invariablement qu’elles sont bonnes crues aussi, ce qui est vrai d’ailleurs, mais c’est un bon laxatif aussi. Et de ça, elle n’en a pas besoin !
Ce que je voudrais arriver à faire c’est que Suzanna joue avec elle aux dominos et aux petits chevaux (le jeu que Dorian m’a laissé) mais j’ai vu que ça ennuyait Suzanna, donc ma mère n’a pas envie non plus. Avec Dorian et Erel elle a joué une bonne heure, sans se lasser. Elle a retrouvé son niveau d’attention qu’elle avait atteint avec moi en jouant au loto (je lui donnais jusqu’à six cartons à remplir et elle avait compris qu’il était plus rapide de chercher verticalement dans la colonne des dizaines correspondantes).
La prochaine étape, c’est qu’elle accepte de vivre presque toute la journée dans sa maison, surtout l’après-midi avec Suzanna pour que je puisse me consacrer à ce que j’ai envie de faire.
Lundi 15 août 2011
Il est 7 h et demie du matin. Je suis allée la voir comme tous les matins mais elle n’était pas levée. Elle était tout a fait normale et elle m’a dit qu’elle ne voulait pas se lever car elle se sentait fatiguée. « Tu as mal où ? » « Partout » a-t-elle répondu. Je l’ai faite asseoir sur le lit pour voir si elle pouvait et elle s’est assise normalement. Elle s’est mise debout mais avec un peu moins d’assurance que d’habitude, elle ne semblait pas stable. Elle s’est recouchée et je suis venue faire le petit déjeuner. Quand je suis revenue elle semblait dormir, elle respirait calmement. Je l’ai regardée un peu et j’ai vu que son visage était tranquille et reposé. Elle a ouvert les yeux : « ah ! c’est toi ? » « oui, on va déjeuner, assois-toi sur le lit » Elle a mangé son bol de semoule liquide chocolatée. Pendant ce temps une tisane de noni (morinda citrifolia) avec écorce de fruit de la passion, un jus de citron et une pincée de cannelle en poudre est en train de refroidir dans ma maison.
Je suis revenue écrire dans mon lit. Quand la tisane sera froide j’irai la lui porter. Le noni va lui enlever ses douleurs et lui redonner des forces. Ce qui est étonnant c’est le changement qui s’est opéré. Hier, pleine de force et d’énergie, avec très peu de dérapage et ce matin, calme et tranquille, mais sans forces. Elle dit qu’elle va certainement « crever ». Il est vrai qu’elle le dit depuis tellement longtemps que je ne suis pas capable de discerner si c’est effectivement le moment ou si c’est juste un moment de fatigue.
Si c’est vraiment la fin de sa vie, je serai là comme je le souhaitais. Et j’espère que je l’assisterai du mieux que je le saurai. Mon but c’est qu’elle meure en paix, sans cette hargne ni cette colère qu’elle traîne après elle depuis tellement longtemps.
Mercredi 17 août 2011
Une demi-heure après avoir bu sa tisane elle pétait le feu ! Ou bien c’est vraiment l’effet du noni qui enlève les douleurs très rapidement comme une bonne aspirine ou bien c’était de la comédie pour ne pas se lever. En tous cas elle est restée tranquille presque toute la journée. J’ai pu me reposer, lire et regarder d’où vient la fuite d’eau qui fait que ma pompe à eau se met en route régulièrement sans que personne ne tire de l’eau. Je l’ai trouvée : juste sous l’évier. Il faut donc que je casse le mur extérieur pour réparer. Entre la chasse d’eau d’occasion cassée qu’il faut que je change, le siphon du lavabo qui perd et la douche qui ne reste pas en fonction douche lorsque la pompe se remet en route, je peux dire qu’il faut que je m’installe plombier(e). En attendant, demain matin, il faut que je raccorde ma réserve d’eau que j’avais déconnectée pour avoir de l’eau le temps que je répare ma fuite. Comme dirait Dorian : « ça t’occupe ! » Mais je n’avais pas vraiment prévu de faire de la plomberie en plus du gardiennage de ma mère. Je sens que le moment est venu pour continuer à écrire, pas seulement mon journal, mais écrire tout ce qui me vient spontanément quelle que soit l’heure et l’endroit. En effet, je trouve dommage de laisser perdre ses idées, ses remarques, ses moments de pure poésie.
Mon ami Rodrigue m’a répondu à la question que je lui posais un jour : « Rodrique, à quoi va servir tout ce que je sais ? » En me regardant malicieusement : « Aux asticots !! » Mais avant que les asticots n’en profitent, peut-être quelqu’un peut-il en profiter si tant est qu’il y ait profit à en tirer. Mais qui peut savoir l’impact d’une idée, d’une pensée exprimée sur quelqu’un d’autre ? Chacun vit dans son monde mais au-dessus, tout autour de nous, partout, nous sommes reliés par je ne sais quoi, mais je sais que nous sommes tous reliés et que nos pensées peuvent faire du mal mais peuvent aussi faire beaucoup de bien.
« Laisse ta main courir sur le clavier de ton ordinateur blanc. Blanche est la page du livre de ta vie pour l’instant. Noircis-la de caractères, de signes, de points, de dessins, de photos, fais-en un chef-d’œuvre si tu le peux, mais ne reste pas les bras croisés à regarder vivre ta mère et à te regarder vivre. Nous ne sommes pas faits pour ça. Nous sommes faits pour l’action utile, l’action généreuse de donner à ceux qui demandent. »
Lorsque ces phrases surgissent de mon esprit et se concrétisent sous mes doigts, je sais que je dois continuer !
Le même jour à 20 H 30
Je me suis installée enfin dans mon lit, je suis allongée, mon ordinateur sur mon ventre, bloqué par mes jambes repliées et me voici enfin tranquille.
J’ai réussi, après une heure et demie de tractations et de répétitions sans fin, à ce qu’elle se couche dans son lit. C’’est chaque soir pareil, une négociation rythmée par ses énervements, ses faux malaises, ses coups sur les objets, ses cris rauques ressemblant à ceux d’un animal blessé, mais rien n’y fait, je ne cède pas. J’attends que la crise passe, je réponds à toutes ses questions jusqu’à ce qu’enfin, elle comprenne que je ne céderai pas, que je partirai dans mon lit dans ma maison quoiqu’elle fasse, quoiqu’elle dise. Mais quelle épreuve ! Rester stoïque devant tant d’agressivité, devant tant de paroles injustes, devant tant de souffrance, j’avoue que je ne sais pas comment je fais. Par moment je sens un tel abattement que j’ai envie de céder, de me coucher sur le second lit, toute habillée pour ne plus rien entendre. Mais je me retiens, je sais que ce n’est pas la solution : il faut que je rentre dans ma maison, dans mon lit pour me ressourcer, pour évacuer tout ce que j’ai enduré la journée.
Ma ténacité, qui m’a tant servi quand je travaillais, me sert encore ici. Ce qui me manque, c’est le sourire. Je n’arrive pas à rester souriante toute la journée. Pourtant souvent je pense « tout ce que je fais, je le fais avec plaisir » Mais mon sourire a du mal à rester sur mes lèvres. Les insultes et les phrases assassines « tu ne m’aimes pas, tu ne me supportes plus » qu’elle me lance parfois réussissent à grignoter ma bonne humeur, alors il me faut faire un réel effort lorsque quelqu’un m’appelle au téléphone ou quand quelqu’un vient me voir. Physiquement, je me sens fatiguée. J’ai mal aux talons et aux jambes. Je n’arrive pas à me débarrasser d’un peu d’œdème dû sans doute à ma station debout prolongée et peut-être à mes calculs rénaux qui passent de temps en temps. Nerveusement, je suis encore fragile. Je sens mes nerfs se tendre comme des arcs prêts à décocher des flèches empoisonnées. Et parfois, j’explose. Mais ma dernière explosion remonte à bien loin maintenant.
Je suis sur la bonne voie : je résiste de plus en plus à ses détraquements. Je lui explique souvent quand elle commence à changer d’humeur, qu’elle est en train de se dérégler ; hier, ça a coupé net sa mauvaise humeur et elle est restée calme.
Aujourd’hui, Suzanna est restée avec elle un petit moment, le temps que j’aille ramasser un peu de mes citrons dans le terrain du bas. Quand je suis remontée, elles étaient en train de rire toutes les deux mais son humeur n’était pas stable, et dès qu’elle m’a vue, elle a commencé à m’agresser, ce qui fait dire à Suzanna qu’il ne faudrait pas qu’elle me voit. Mais je n’ai pas envie de m’en aller de chez moi. Je suis allée un moment dans sa maison, la laissant faire la vaisselle avec Suzanna, mais ça n’a pas duré longtemps. Elle n’accepte plus le fait qu’il y ait quelqu’un pour faire le travail qu’elle estime être à elle et à moi. Souvent elle me dit : « mais elle n’est pas obligée de faire notre travail. On peut bien le faire nous-mêmes ! Elle a son travail à faire chez elle aussi ! » Quand je lui explique qu’on la paie pour nous aider, ça la calme un peu, mais je me rends compte que, plus elle récupère, moins elle supporte que l’on se mêle de ses affaires. Elle veut continuer à faire la vaisselle, seule, même si elle ne la lave pas correctement. En fait, elle refuse l’assistance d’une tierce personne. Il faut que je sois à son service et elle au mien, sans personne d’autre.
Ce sont des crises de jalousie, comme peut en faire un petit enfant qui ne veut pas partager l’amour de sa mère. Seulement si on l’accepte pour un enfant, il est plus dur de l’accepter pour une personne de son âge. Comme en plus elle me confond avec sa sœur lorsqu’elle part dans son monde où elle était adolescente, il m’est carrément impossible de lui faire entendre raison. Alors je laisse dire. Mais Suzanna se rend compte qu’elle ne peut plus travailler comme elle le voudrait. Je lui ai expliqué que, ce qui comptait, c’était qu’elle s’occupe en premier de ma mère et ensuite des menus travaux s’il y en a. Jouer aux dominos ou aux petits chevaux ne convient pas du tout à Suzanna. L’autre jour elle m’a répondu : « mais elle ne joue pas ! » ce qui m’a fait comprendre que Suzanna ne sait pas se comporter : faire semblant de jouer et la laisser gagner le plus souvent. J’en demande peut-être trop. Une gardienne doublée d’une psychologue ! Je me crois où ?
Samedi 20 août 2011
Il est 5 h de l’après-midi. La journée a été mitigée : le matin calme et après le repas ça c’est déréglé. Je le sentais venir car elle parlait seule depuis ce matin. Elle paraissait calme mais en fait ça couvait. Et ça a éclaté. J’ai essayé de la raisonner, mais rien n’y a fait.
Je me suis enfermée dans sa maison et j’ai démonté la chasse d’eau, puis finalement je l’ai enlevée car le système est complètement cassé. Le w.-c. est fendu sur le dessus. Je ne sais pas s’il était fendu quand ils l’ont posé ou si c’est ma mère qui l’a cassé en secouant la chasse d’eau. En tous cas, il ne reste plus que le w.-c. J’ai enlevé même le tuyau de raccord. Hier, j’ai fermé le robinet d’arrivée d’eau et depuis, la pompe à eau ne se met plus en marche toute seule comme elle le faisait. J’en conclus que le problème venait de la chasse d’eau qui fuyait. Il reste quand même cette fuite au-dessous de l’évier. Le sol de la terrasse est toujours mouillé, donc il y a une fuite. Mais si la pompe ne se met plus en route toute seule ça veut dire que cette fuite est minime par rapport à celle de la chasse d’eau. Toujours est-il qu’il me faudra quand même la réparer quand j’en aurai le courage. Il me faut un burin et un marteau, outils que je n’ai plus. Le burin bleu a disparu depuis longtemps et le marteau neuf je ne le trouve plus depuis qu’il y a eu des ouvriers ici. Le vol est un sport national dominicain. Par moment, je m’en accommode, à d’autres ça m’agace car, lorsque j’ai besoin d’un outil, il n’est plus là. Tout à l’heure je cherchais une « segueta » une scie à métaux que j’avais mise sur ma terrasse. Elle n’y ait plus non plus. Alors je m’en suis passée.
Ma mère semble calme pour l’instant, mais elle va voir la jument en train de manger l’herbe rase et ça risque fort de se détraquer à cause de ça.
Page 494 du Livre Tibétain de la vie et de la mort :
« -Que pouvons-nous faire pour un parent vieillissant, un père, par exemple, qui est devenu sénile ou a perdu la raison ?
Arrivé à ce point, il est sans doute inutile d’essayer d’expliquer les enseignements, mais le fait de pratiquer tranquillement ou de réciter des mantras ou les noms des bouddhas en sa présence sera certainement d’une grande aide. Kalou Rinpoché explique :
« Vous planterez des graines. Vos propres aspirations et votre sollicitude à son égard sont très importantes. Lorsque vous offrez ce soutien à votre père dans sa pénible situation, vous devez le faire avec des intentions les plus pures, nées d’un réel souci pour son bien-être et son bonheur. C’est un facteur très important de votre relation avec lui dans ces moments-là… Le lien karmique entre parents et enfants est très fort. Ce lien peut nous permettre d’agir de façon très bénéfique à des niveaux subtils, si nous traitons nos parents avec compassion et bienveillance et si notre engagement dans la pratique spirituelle n’est pas seulement guidé par notre intérêt propre mais également par celui des autres êtres et, en particulier dans ce cas, celui de nos parents. »
J’ai relu ce passage ce matin et je me suis dit que tout ce que je fais pour elle - et tout ce que Dorian fait pour elle et pour moi – s’éclaire d’une nouvelle lumière. La question que je me pose est : « est-ce que je fais tout ça pour elle uniquement ? » Je réponds : « Bien sûr que non ! Je la garde parce que je système français ne me convient pas, parce que je ne veux plus vivre dans mon pays »
Mais je me suis mise à son service volontairement. Personne ne m’y a obligée. Bien sûr que c’est difficile, bien sûr que c’est pure folie de vivre avec une personne qui n’a plus sa tête. Est-ce que je risque d’y laisser ma raison ? Je ne crois pas, car tout ce que je fais pour elle est sous-tendu par mon désir d’alléger sa souffrance et lui permettre de finir sa vie à mes côtés. Tous les traumatismes de sa vie, même s’ils ne s’effacent pas complètement, seront peut-être un peu gommés.
A moi de savoir me garder en bonne santé pour résister à ses assauts de déraison et de colère.
Mardi 23 août 2011
Une tempête est en train de passer « Irène ». Depuis hier, je fais la navette entre la maison de mère et la mienne. On a passé une partie de la journée d’hier dans sa maison puisqu’il y avait trop de vent sur ma terrasse. Elle est restée calme malgré tout sauf hier soir où elle a commencé son bavardage à deux voix, parfois à voix basse, parfois à voix haute. J’ai laissé faire. J’ai décidé de rester dormir la nuit entière au cas où il y aurait beaucoup de vent et de pluie. Après bien des tours et des contours elle s’est enfin mise au lit. Elle a continué de discuter et j’ai pris mon mal en patience. « Elle finira bien par s’endormir » Mais non ! Elle a continué. J’ai récité à haute voix un mantra pour la calmer. Mais elle est restée dans son monde. Au bout d’une heure j’ai allumé la lampe et lui ai dit qu’elle arrête de parler comme ça. Elle m’a regardé bizarrement : « maman ? mais ma maman est bien plus grosse que toi ! » Je n’ai pas insisté. Elle était dans son monde et peut-être bien que ce n’était pas elle qui m’a répondu. Je me suis recouchée. Une heure après, voyant qu’elle continuait, je me suis levée en utilisant juste la lampe de mon téléphone portable, j’ai pris mes clefs, ma chatte sous le bras, j’ai ouvert la porte. Rafi est parti le premier, lui, il va où je vais. J’ai refermé, elle ne s’est rendu compte de rien, elle a continué ses discussions à deux voix.
Avec soulagement j’ai retrouvé mon lit, avec le beau dessus de lit que je me suis offert et que je n’ai pas encore payé parce que je ne suis pas redescendue à Las Galeras depuis plus de huit jours, depuis que ma voiture a été réparée.
La pluie continue de tomber. Il est plus de dix heures du matin. Je suis allée vérifier si elle était restée dans son lit. Elle dort, ce qui ne lui fera pas de mal car elle a du parler une bonne partie de la nuit. Elle avait le visage fatigué ce matin quand je suis allée déjeuner avec elle.
L’électricité est coupée depuis tout à l’heure. Si elle ne revient pas je me demande avec quoi je fais faire le repas.
Dimanche, Anna-Maria et son mari sont venus. Ils m’ont apporté une poche de pains sucrés, deux avocats bien mûrs qu’on a mangés hier, des « platanos » bananes plantains, des œufs de leurs poules et deux doses de café Santo Domingo. Le pain m’a facilité mon travail pour faire le petit déjeuner car je n’ai plus de céréales pour le matin. Il reste de l’avoine en poudre, une boite de thon, une papaye mûre et deux boites de pois d’angole (qui s’appellent ici gwendoulé) au coco. Avec ça on pourra tenir jusqu’à demain, même si l’électricité ne revient pas de suite.
Puisqu’elle boit l’eau qui coule aux robinets (qui vient de la citerne sans chlore) je ne m’inquiète pas pour l’eau à boire. La bouteille est presque finie, et si l’électricité ne revient pas, je boirai moi aussi l’eau de la citerne. Celle que j’ai fait bouillir hier est presque finie. Comment faire pour qu’elle ne boive pas l’eau des robinets ? Les fermer tous ? Elle se met en colère parce qu’il n’y a pas d’eau et dit qu’elle va mourir de soif. Alors qu’elle la boive et ça ne lui fera pas grand mal. Quelques parasites ? Depuis qu’on est là, donc depuis bientôt cinq mois, on en a sûrement déjà !
L’électricité est revenue, je me dépêche de faire le repas de ce midi et de ce soir au cas où ? La pluie continue, la mer est encore démontée et le ciel est bien noir du côté Est….
Le repas (boite de gwendoulé au coco plus citrouille plus pommes de terre) est en train de finir de cuire. En dessert on aura la papaye. J’ai mis à bouillir une grosse casserole d’eau de la citerne.
Ce matin, finalement personne ne s’est lavé, ni elle ni moi. Je suis encore en pyjama – un peu humide à cause de mes allers et retours dans sa maison.
C’est vrai que les choses essentielles de la vie sont l’eau en premier, et la nourriture ensuite.
Allongée dans mon lit, ce matin, je regardais le dessin de mon toit de canne, mes nouvelles fenêtres persiennes en bois brut, la peinture de mon premier taïno sur le mur et le visage (imaginé) d’Anacaona. Depuis bien longtemps, je me suis sentie enfin bien chez moi. Les mauvais jours liés à la construction de la maison de ma mère semblent s’éloigner. Il me reste à « nettoyer » par mes pensées et la récitation de mantras cette fameuse maison car je la sens envahie par les esprits qui rodent et qui utilisent ma mère comme support pour rester coller encore un peu à la terre. Tout ceci peut n’être que pure imagination, mais je reste convaincue, grâce à la lecture des livres bouddhistes, que notre esprit est la clef de tout ce qui nous arrive.
Au lieu de penser : « tout ça ce sont des histoires pour bonnes femmes vieillissantes ! » il suffit juste d’une petite ouverture d’esprit supplémentaire pour que changent les points de vue. Vue d’en bas, ou vue d’en haut. Je préfère la vue d’en haut. Mais sans le haut, il n’y a pas de bas ! Alors rien ne sert de choisir un point de vue. Chacun a son point de vue. C’est aussi simple que ça. Mais pourquoi faut-il que l’homme civilisé se sente obligé de tout expliquer ? Pour paraître intelligent ? Ou parce qu’il est intelligent ?
Le tonnerre vient de gronder, donc la tempête ou l’ouragan s’éloigne. La pluie tombe toujours. Si Erel était là, je lui lirais le conte de Crriketou le haricot rose avec son dieu de la pluie Daguedidou pok pok (voir annexe).
J’entends ma mère faire du bruit avec la vaisselle qu’on a laissée hier soir. Il faut que j’aille voir où elle en est…
Elle était tout habillée, prête à aller se promener. Elle a refusé d’aller se doucher, je n’ai pas insisté. Je n’ai pas envie de la voir se détraquer maintenant.
Si Josepha la voyait, elle la trouverait comme elle était il y a deux ans de ça. Avec son caractère gentil quand elle est bien lunée, et avec son caractère de cochon quand on ne fait pas exactement ce qu’elle veut !
Samedi 27 août 2011
La journée s’est annoncée difficile. Il est 10 h du matin tout est rentré dans l’ordre. J’ai lavé sa salle de bains et son coin chambre.
Je suis allée faire un tour dans mon « conuco » mon verger pour voir s’il y avait au moins un ananas mûr, mais non ! Alors ni ananas, ni une goyave ni une papaye pour faire un jus de fruit. Je vais me contenter d’un jus de citron avec un peu d’avoine en poudre. Pas beaucoup d’avoine car j’ai remarqué que les deux fois où j’ai fait un jus d’avoine elle s’est détraquée, et d’une manière bien violente. Etait-ce une coïncidence ou bien est-ce vraiment l’avoine améliorée avec beaucoup de vitamine C et de fer ? Le dosage ne lui convient peut-être pas ? Cela active peut-être son agressivité, comme le sucre ?
Hier, je pensais que ces maladies dégénératives, dues certainement à l’alimentation et au mode de vie stressant des pays civilisés, permettront peut-être à l’homme d’éveiller sa compassion. En effet, qui n’a pas dans sa famille ou dans son entourage une personne touchée par l’Alzheimer, par la sénilité ou par d’autres maladies dégénératives ? Et dans ces familles apparaissent des membres qui, touchés par la détresse de leurs proches, les prennent en charge. Ce que je vis aujourd’hui, bien d’autres l’ont vécu et en ont retiré certainement beaucoup d’enseignements et d’humilité. J’entends dire que ce sont des maladies de ce siècle, comme si chaque siècle avait ses propres maladies. A l’aune du temps, que veut dire un siècle ? Que veulent dire toutes ces « mal-a-dit ». Elles disent le mal de vivre en tant qu’humain, la difficulté de trouver le bon chemin de la sérénité, le bon chemin de la joie, le bon chemin du don de soi pour que l’autre vive mieux.
Si toutes les personnes touchées de près ou de loin par ces maladies s’ouvrent à la compassion, cela ne pourra qu’être bénéfique à son prochain. Nul n’est besoin d’entrer dans une église ou dans un monastère pour comprendre ça. Par contre, y entrer après avoir ouvert son cœur un peu à la compassion est sûrement un bon moyen de poursuivre son chemin vers le bonheur : le sien et celui des autres.
Il n’y a pas d’instruments de mesure pour savoir le degré de compassion que l’on a atteint, mais il y a la vie de tous les jours qui nous donne cette mesure. Quel regard jetons-nous sur une détresse qui passe devant nos yeux ? Sentons-nous notre cœur se déchirer devant les larmes d’un enfant qui sanglote ? Quel jugement portons-nous en voyant deux personnes se battre ? Quel soudain besoin de venir en aide à un plus démuni nous envahit-il ? La compassion a de quoi se développer si l’on prend la peine de regarder réellement ce qui nous entoure : une couleuvre verte qui essaie de sortir de ma citerne, un lézard qui lutte pour sortir d’un seau d’eau où il est tombé, un bébé-« cacata » mygale qui s’enfuit devant ma truelle à la recherche d’un autre refuge, ma jument qui m’appelle en voyant les seaux d’eau vides, un grillon avec une seule patte qui essaie de sauter comme avant, un colibri qui vole malgré ses ailes et sa queue endommagées en faisant un bruit incroyable à la recherche de son sucre quotidien. Chaque détresse même muette, quelle soit humaine ou non, nous interpelle et nous ouvre un peu plus à notre humanité.
Regarder la télévision et assister les bras croisés et le cul bien calé dans des fauteuils confortables ne me semble pas le bon chemin pour ouvrir son cœur à la compassion. Regarder de bien loin, compatir sans lever le petit doigt, parler avec de beaux mots bien savants à d’autres qui font semblant d’écouter, Les médias pourtant sont une opportunité pour le monde puisqu’ils amènent à notre porte, à notre cœur, des millions de détresse.
Mais la peine et la douleur d’autres inconnus ont du mal à nous faire réagir. Nous sommes touchés souvent uniquement par la peine et la douleur de ceux que l’on aime. Notre ouverture de cœur est bien petite et elle a bien vite tendance à se refermer lorsque tout rentre dans l’ordre autour de nous.
Prêcher dans le désert, c’est ce que j’ai l’impression de faire. Et encore, le désert n’est pas toujours désert. Il y a des petites bestioles qui y vivent et le sable, et le vent, et le soleil. Prêcher sous le soleil, voila ce que je fais. Je prêche.
Je prêche pour que d’autres prennent conscience de la douleur qu’ils côtoient. S’occuper à plein temps de ma mère me permet de mettre en pratique ce que j’ai lu. Lorsque la colère et la fatigue m’envahissent, je ne sombre pas dans le découragement. Je sais que l’effort quotidien que je fais me permet de grignoter ma personnalité. D’égocentrique, je finirai sans doute compatissante et emplie d’humilité envers les autres êtres, qu’ils soient de ma famille ou étrangers. Le chemin est long sans doute, mais je sais que j’ai commencé à le gravir.
LES RENNES DE LA COMPASSION
De quel cuir êtes-vous faites ?
Bonté et générosité sont-elles votre monture ?
Les mains du cavalier vous tiennent-elles fermement ?
Sur quels chemins tortueux vous mènent-elles ?
Nous sommes faites de cuir souple et solide ;
Nos chevaux aiment les chemins difficiles
Pour donner toute leur mesure
Et mener à bien l’avenir du cavalier.
Le même jour, mais à 21 h 30
La journée a été difficile finalement. Chaque fois que j’ai voulu travailler elle est devenue de plus en plus agressive. Je suis devenue sa sœur et apparemment elle ne s’entendait pas bien avec sa sœur lorsqu’elles étaient adolescentes. J’en ai pris pour mon grade ! Les insultes et les reproches sont tombés comme des giboulées. Puis, elle a cassé le tuyau d’arrivée d’eau de ma maison parce qu’elle a trébuché dessus. L’eau a giclé et elle s’est rendu compte qu’elle avait fait une grosse bêtise : elle a presque pleuré en disant qu’elle ne l’avait pas fait exprès. Moi je n’ai pas pu résister à la colère qui m’a envahie car je n’avais pas du tout envie de réparer aujourd’hui. Mais, sans eau aux robinets dans ma maison, ça me rend les jours encore plus difficiles. Alors, j’ai réparé et j’ai enterré le tuyau comme je voulais le faire depuis quelques jours en pensant que la jument ou son petit pouvait me le casser. Bref, c’est réparé et j’en ai profité pour fermer la fuite d’eau au tuyau d’arrivée d’eau de son évier. J’avais fini de casser un peu plus le ciment du mur pour pouvoir y accéder plus facilement. Et j’ai essayé un autre moyen : j’ai mis de la colle-ciment-pvc sur les deux petits trous de la fuite, je les ai recouverts d’un plastique fin que j’ai trouvé à mes pieds. C’est le bout de plastique bleu qui protège la grille d’évacuation d’eau que l’on met dans les douches. En tous cas, ça a l’air de s’être bien collé. Par précaution, j’ai fermé l’eau pour que les deux réparations soient bien collées et demain sera un autre jour ! Pour me défatiguer de ma journée je n’ai même pas pu prendre une bonne douche !
Des mots sur des maux, comme des émaux précieux que l’on collectionne ! Tout ça me parait bien dérisoire.
DES EMAUX PRECIEUX
Tels des émaux précieux
Nous mettons des mots
Sur nos maux les plus douloureux
A la place des mots,
Jetons-y un regard souriant.
Peut-être les maux s’envoleront-ils ?
Légers comme des ailes de papillon chatoyantes
Telles des émaux précieux dans un ciel toujours bleu !
Une fois la colère passée (je me suis plongée dans le livre de Sogyal Rinpoché ouvert au hasard) j’ai préparé le repas – les restes de ce midi – mais je n’ai pas pu la faire aller dans sa maison. Un combat de plus m’attendait au tournant ! Je lui ai donné la clef de sa maison puisque son reproche c’était que je l’enfermais dans sa maison pendant 8 jours. Ça a marché, elle est entrée, avec sa clef, je me suis allongée sur le deuxième lit et j’ai attendu qu’elle aille se coucher. Mais que nenni ! Finalement, je suis partie en lui laissant fermer la porte derrière mol avec sa clef. Elle était d’accord et avait l’air calme mais ce n’était qu’une accalmie : il est 10 h et elle vagabonde toujours dans sa maison allumée. J’ai pourtant essayé deux fois de la mettre au lit sans succès, alors je laisse faire pour cette nuit. Elle ira au lit quand elle voudra. Demain elle sera peut-être fatiguée et elle sera plus calme. Je serai peut-être sa mère, ou sa sœur, ou sa fille mais je serai encore là pour entendre ses insultes et ses reproches si elle est mal lunée comme elle l’était ce matin en se levant.
Est-ce que ça sert à quelque chose d’écrire tout ça ? Est-ce que ça m’aide à supporter ces orages de folie presque furieuse par moment ? Sans doute, sinon je n’aurai pas envie d’écrire.
Vide est sa tête, et trop pleine est la mienne ! Il va bien falloir pourtant que ce stress s’arrête un jour ! Elle dans sa maison, et moi dans la mienne comme je l’avais souhaité mais avec quelqu’un qui lui tienne compagnie.
Le problème c’est qu’elle ne supporte pas que Suzanna vienne tous les jours et qu’elle nettoie ce qu’elle pense pouvoir nettoyer. Elle n’arrête pas de dire qu’elle fouille partout et qu’elle emporte des choses, heureusement que Suzanna ne comprend pas ce qu’elle dit : c’est vexant à la fin de se faire traiter de voleuse, même si ça peut être vrai. En tous cas elle ne comprend pas qu’elle puisse venir tous les jours, alors j’ai supprimé le vendredi. Suzanna viendra tous les après-midis du lundi au jeudi à partir de lundi prochain. Est-ce que ça va changer quelque chose dans son comportement, j’en doute, mais il faut bien essayer. Plus il y a de gens qui viennent plus elle se détraque puisqu’elle est jalouse de tout le monde en plus de ne pas comprendre nos conversations. Elle se rend bien compte qu’on ne parle pas français. Elle s’est bien rendu compte aussi que Suzanna, n’est pas la voisine des Fieux qu’elle garde encore un peu en mémoire. Lundi je vais lui dire que ce n’est pas notre voisine et qu’elle s’appelle Suzanna et on verra bien si ça ira !
Vendredi 2 septembre 2011
Hier soir j’ai lu un extrait du livre de M. Coué que j’avais enregistré quand j’étais en France. Alors j’ai eu envie de l’autosuggestionner avec ses deux phrases : « ma mémoire revient – je suis en bonne santé » de toutes façons ça ne peut que lui faire du bien.
Depuis ce matin, tout est normal. A aucun moment elle ne s’est déréglée. J’en ai profité pour lui faire faire un exercice de mémoire : j’ai écrit sur une page blanche : « ma mémoire revient – je suis en bonne santé » je lui ai demandé de l’apprendre par cœur et de me le réciter chaque fois que je le lui demanderai. Au début, elle a bien mémorisé mais au bout d’une heure je devais lui donner le début de chaque phrase. Elle était très contente de le réciter.
Notre connaissance du cerveau et de tout ce qui s’y passe est tellement minime qu’il me semble idiot de rejeter tout ce qui n’est pas approuvé scientifiquement par le monde occidental civilisé.
Ici, il est évident, pour certains Dominicains que je côtoie, que les gens que l’on classe « déments » sont en fait la plupart du temps, envahis par des esprits qui sont restés accrochés à la terre. Quelle que soit la raison de cet accrochement, le résultat est qu’un esprit, voire plusieurs, profite de la présence d’un corps humain dont le cerveau présente une faille et ils s’y engouffrent par moment. Hier, par exemple, c’était évident que ce n’était pas elle : son visage même a changé : il a vieilli, les joues se sont creusées, sans parler de son regard étrange. Suzanna s’en est rendu compte aussi. En plus, elle m’a dit qu’il fallait qu’elle se rase les avant-bras ! Je me souviens que c’étaient les paysans de mon enfance qui faisaient ça. C’était par hygiène. Le père de Josepha l’avait fait juste avant de nous accompagner en excursion scolaire.
Le changement de personnalité et le changement de goûts alimentaires peuvent aussi s’expliquer de cette façon : si c’est une autre personne qui s’infiltre dans son cerveau il est normal que la personnalité soit différente. En tous cas, pour moi, ça ne fait plus aucun doute. On peut penser effectivement que c’est une façon pour moi d’accepter la dégénérescence de ma mère. Chacun, selon son éducation et sa culture, trouve l’explication qui lui correspond.
Pourquoi la médecine d’aujourd’hui ne peut-elle pas accepter qu’elle ne sache pas tout ? Même si le monde occidental ne veut pas remettre en cause tout le savoir qu’il détient, et dont il est si fier, il pourrait avoir l’intelligence d’enlever ses œillères. Accepter de fusionner le savoir d’autres civilisations ne peut être qu’un enrichissement et non une régression.
Pour moi, c’est plus facile, je ne suis ni instruite, ni savante, ni professeur de médecine, alors je n’ai pas ces œillères. J’en ai sûrement d’autres, mais pas celles-ci.
En relisant un document sur la maladie d’Alzheimer, il est fait mention aussi d’une carence en vitamine B12 qui peut provoquer une démence. La vitamine B12 se trouve dans l’aloès-vera et depuis qu’on est arrivées ici je lui en donne à manger, mais en petite quantité car je crois me souvenir qu’il ne faut pas en donner aux personnes âgées. Je ne sais pas pourquoi, peut-être à cause de la cellulose que le corps humain doit rejeter. Ça pourrait provoquer une constipation sévère. Mais, comme dans le même temps, je lui donne des aliments laxatifs, ce risque n’existe pas.
Serait-ce par orgueil que je m’évertue à trouver des explications qui collent avec mon mode de vie ? L’orgueil mal placé qui me ferait penser que toutes les améliorations qui se sont produites seraient dues à ce mode de vie, avec son alimentation particulière ? Mais, après tout, les plantes existent ici, pourquoi ne pas s’en servir ? Hier, j’ai préparé du « cristal de sabila » l’intérieur des feuilles de l’aloès-vera. La peau de la feuille, je ne l’ai pas jetée : je l’ai mixée et je m’en suis servie pour faire un shampooing. J’ai fait aussi une décoction avec les feuilles de la « palcha » sorte de fruit de la passion dont la peau est orange et ovale. L’intérieur est rempli de graines translucides. Ce fruit sauvage est encore plus sucré que le fruit de la passion. Les feuilles serviraient pour les maux d’estomac et pour les reins et les problèmes de vessie. Du coup, ma mère a voulu en boire et Poncho aussi. Pourtant, lorsque j’étais en train de préparer les feuilles, elle me les a presque arrachées des mains.
Elle vient de cracher, je sais que c’est un des signes avant-coureurs d’un changement de comportement. Je lui ai donné une décoction froide de griffes de chat, de racine de noni et de citron vert. J’en bois aussi car la griffe de chat me semble bonne pour mon système urinaire. Quant à la racine de noni, j’espère qu’elle va avoir un effet anti-œdème, en plus de son effet anti douleur. Hier, j’ai forcé un peu sur la machette pour terminer de nettoyer les 500 m2.de la parcelle vendue.
Elle vient de somnoler et à son réveil, elle est différente. J’essaie de la remettre dans le monde d’aujourd’hui. Elle replonge dans sa somnolence. Moi aussi j’ai bien envie de faire pareil.
Dimanche 4 septembre 2011
La journée commence mieux qu’elle ne s’est terminée. Maintenant elle est calme mais elle est au moins 50 ans en arrière car elle pense que je suis sa sœur. Elle commence à cracher par terre. Elle fait des allers et retours dans le temps sans vaisseau spatial. C’est pratique mais pour celui qui est à côté, il faut suivre !
Mes souvenirs font mes sous venir ! Voici ce qui m’est venu ce matin dans mon lit. Serait-ce vrai ? Je doute encore que mon histoire personnelle puisse intéresser qui que ce soit malgré ce que m’affirme Souricette.
« On est où on doit être, c’est le principal ! » voici ce que ma mère vient de dire entre autres phrases leitmotive. Je me rends compte que cette phrase je l’ai dite ou je l’ai écrite à Souricette justement il n’y a pas longtemps. « Je suis où je dois être ! » Pure coïncidence ? Ou bien la preuve que la connexion est bien réelle ? N’y a-t-il pas de frontière entre le toi et le moi, entre les autres et nous ? Sans doute pas. Ne sait-on pas que, lorsque quelqu’un invente quelque chose à un bout de la planète, à l’autre bout il y a quelqu’un d’autre qui a eu la même idée ? Pure coïncidence ?
J’en profite pour faire travailler sa mémoire avec les deux phrases d’hier : « ma mémoire revient – je suis en bonne santé ». Elle a retrouvé le nom de Las Galeras juste en lui disant « las ? » et Bordeaux en disant que la ville commence par un « b ».
Elle repart dans ses questions concernant la maison des Fieux : « qui y habite-t-il maintenant qu’on n’y est plus ? » « Dorian y va de temps en temps, quand il a besoin d’aller chercher quelque chose ? »
Ses mains pianotent sur les accoudoirs de sa chaise en plastique, elle bouge ses jambes comme font les enfants. Elle frotte ses avant-bras sur les accoudoirs en les faisant crisser. Elle pète et elle dit : « on est très bien ici, y a pas de vent, on est à l’ombre, ha ! si ! ko buffo un piti pao ! (ça souffle un peu). Elle se gratte les poignets avec les accoudoirs. Depuis deux jours ça la gratte car elle met ses mains dans n’importe quelle plante et bien sûr, les pica-picas (orties tropicales) ne l’ont pas épargnée.
Elle se lève vérifier si le chien est toujours sous le lit et revient s’intéresser aux bouteilles d’eau ; une est vide et me demande pourquoi ? Elle lit l’étiquette « Jordan, buena, limpia y sana » Elle se rassoie sur le fauteuil et lève très haut ses deux jambes. Heureusement qu’il n’y a personne en face !
Un rossignol se met à chanter, le colibri à la queue esquintée volette autour des hibiscus. Il n’a pas fait son bruit extraordinaire, ce qui veut dire que ses plumes ont du repousser ou bien qu’il a développé d’autres muscles pour compenser cette perte.
Il est plus de 11 h, elle commence à avoir faim ; moi aussi. Ce matin il n’y avait pas assez de semoule dans le chocolat au lait. Les cornflakes sans sucre sont finis depuis longtemps et je refuse d’acheter ceux qui se vendent sucrés. Ça me complique un peu la préparation du petit déjeuner mais bon… ce n’est pas une catastrophe. Il y a autre chose à manger.
Une jeune couleuvre verte vient de tomber derrière nous dans la végétation, elle ne s’en est pas aperçue. Elle venait du toit ; il doit y avoir une famille là-haut. Il faut que j’aille préparer le repas : poivrons, citrouille, thon en boite, riz. Pas de dessert aujourd’hui. L’ananas qu’on est allé cueillir ce matin n’est pas encore assez mûr, mais je n’ai pas résisté au plaisir de le cueillir. Il y a bien des goyaves, mais ça constipe alors il ne faut pas en manger beaucoup. Hier, j’ai refait une décoction de feuilles de palcha. Je l’ai trouvée amère, mais je vais en refaire aujourd’hui car j’ai l’impression que ça m’a fait du bien ; malgré les goyaves que j’ai mangées mes reins ont très bien fonctionné.
Il est presque 13 h, elle range les assiettes sales dans l’évier et comme elle se trompe, je lui dis : « ma mémoire re.. ? » elle termine ; « Je suis en… ? » et elle termine correctement. A chaque fois qu’elle ne se souvient pas de quelque chose d’important je le lui fais dire. On verra bien à la longue ce que ça donne. Maintenant je vais faire le café, puisque le café est bon aussi pour la mémoire. Bien sûr, je n’aurai peut-être pas cette patience à tout moment, mais aujourd’hui je l’ai.
Dans mes moments de repos, allongée sur mon lit, appliquant la méthode Coué, je pense : « tout va de mieux en mieux dans ma vie »
J’ai mis la « greka » cafetière italienne sur la plaque électrique et comme je sais qu’elle cherche le sucre, j’ai posé nos deux tasses vides avec un peu de sucre au fond à côté. Elle a trouvé un prétexte pour aller dans la pièce : comme elle a deux mouchoirs dans ses poches, elle me dit : « j’ai deux mouchoirs, tu en veux un ? » « Non, j’en ai un aussi » « Alors je vais le mettre dans l’armoire » Elle se lève, pose son mouchoir à côté des deux tasses. J’interviens doucement pour vérifier si le café est monté dans la « greka ». Je mets ma main sur les deux tasses et lui enlève la cuillère des mains. Je vide le café et elle n’a pas eu le temps de manger du sucre. Ce qui m’épate c’est cette capacité à préméditer un acte (lié à la nourriture) et de l’accomplir. Si la mémoire est défaillante, cette fonction ne l’est pas, pourtant n’y a-t-il pas de la mémoire dans cet acte ? Les deux tasses, elle m’a vue les emporter, donc elle a voulu les suivre pour pouvoir manger le sucre. Le mouchoir dans sa poche, il a bien fallu qu’elle se souvienne que sa place était dans l’armoire ? Seulement elle ne l’a pas mis dans l’armoire, mais s’est dirigée directement près des tasses.
Est-ce moi qui me fais du cinéma avec rien ? Est-ce que je vois des comportements exceptionnels là où il n’y rien que de très normal ?
En tous cas, le café est bu, elle est assise sur un des fauteuils et observe les grands vautours noirs qui planent. Elle n’a pas retrouvé le mot « vautour » malgré mon aide. Je ne le lui ai pas enseigné assez souvent encore. Elle va mettre les deux tasses vides, encore chaudes, dans l’évier. Je m’attends à ce qu’elle veuille faire la vaisselle, mais non, elle dit : « c’est bien, tout est en ordre ! » s’enquiert du chien, le cherche dans la maison, et enfin regarde sous le lit : « ah non, je le vois pas, d’habitude il y est ! » elle s’agenouille pour mieux regarder : « ah ! Siiii ! il y est ! » elle revient en pétant : « ça crrraque ! » elle roule les « r » comme le font encore les paysans de sa génération. Elle revient et recherche le chien et dit : « il doit être dans la chambre » Elle s’assoie. Si elle redemande où est le chien, j’appelle ces passages, « la boucle ». En effet, j’ai l’impression que son cerveau revient en arrière encore et encore, jusqu’à ce que son attention soit attirée par autre chose. Là c’est une feuille jaune qui a fait arrêter la boucle. Elle l’a arrachée et jetée puis compte les fleurs d’hibiscus fleuries. J’arrête mon observation, je vais aller faire un tour pour voir où est la jument.
Vendredi 9 septembre 2011
Hier, après-midi difficile avec Suzanna. Elle voulait absolument s’occuper de ma maison et non de ma mère. Elle a même pris l’initiative d’apporter un « galon » de chlore et de la lessive en plus du sucre dont j’avais besoin sans que je ne le lui commande ; c’est la première fois qu’elle ose faire ça. L’autre jour, c’est Poncho qui est arrivé avec le triple de gâteaux commandés. Voyant que je les ai tous acceptés avec plaisir, elle a fait de même.
Pourtant, je n’ai pas voulu qu’elle lave le linge qui restait ni qu’elle nettoie le sol de ma maison. Je lui ai demandé de « jouer aux dominos » sur la terrasse de la maison neuve pour que ma mère s’habitue, non seulement à y rester, mais aussi s’habitue à elle. J’ai bien compris depuis quelques semaines que ça ne l’intéresse pas du tout de faire semblant de jouer aux dominos, ni de se promener alors qu’il fait un grand soleil et qu’elle veut rester à l’ombre. Pourtant, c’est pour ma mère qu’elle est là, alors je le lui rappelle gentiment. Mais le cœur n’y est plus. Je le vois bien. Elle se rend compte également que ma mère est bien différente de ce qu’elle était quand elle est arrivée. L’autre jour Suzanna m’a raconté qu’elle voulait arrêter son travail du matin en décembre, après le paiement du mois double. Elle va demander sa « liquidation » c’est-à-dire son indemnité de départ, même si c’est le travailleur qui s’en va de son plein gré. C’est devenu un peu la coutume ici de réclamer cette indemnité. Je lui ai fait remarquer que ça ne va pas faire beaucoup d’argent puisqu’il n’y a qu’un an qu’elle y travaille. Mais ça lui est égal, « algo es algo ! » « quelque chose est quand même quelque chose ! »
Est-ce vrai ? Ou bien est-ce pour savoir si je peux l’employer à plein temps ? On verra bien ce qui se passera ; d’ici-là, tant de choses peuvent arriver ! En tous cas, je ne vais pas l’employer à plein temps, au contraire, puisque ma mère ne supporte pas qu’il y ait quelqu’un tous les jours avec elle, autre que moi bien sûr !
La partie de dominos a duré plus d’une heure ; Suzanna faisait tourner les pions sur la table, mais ma mère s’est lassée aussi. Je me suis quand même reposée un peu, mais je suis intervenue car ça tournait plus rond. J’ai proposé une promenade pour la remettre sur les rails car elle était déjà bien en colère. Rien n’y a fait. J’ai décidé d’aller ramasser des citrons mais sa colère n’a pas disparue, au contraire car elle voulait que Suzanna s’en aille. Lorsque nous sommes descendues vers le terrain du bas, elle s’est mise à courir en espérant tomber, et bien sûr, elle est tombée. Elle s’est fait un petit trou dans la partie charnue de sa main gauche. Voyant le sang couler, j’ai pensé qu’elle allait se calmer et accepter l’aide de Suzanna. Du tout ! On l’a relevé et j’ai demandé à Suzanna de la ramener à la maison. Je suivais derrière. Ma mère a refusé son aide et j’ai bien été obligée de revenir à la maison. Je n’ai même pas pu la soigner : elle a jeté le désinfectant et la petite bande que j’avais préparés. Ce matin, en la lavant j’ai vérifié si elle n’avait pas de bleus. Elle en a un petit sur le coude et le trou d’hier est déjà guéri.
Il est vrai que si elle prend en grippe Suzanna, comme elle l’a fait avec Luisa, ça complique beaucoup mon travail avec elle et ça me pourrit la vie pour quelques heures, quand ce n’est pas quelques jours. De plus, je m’aperçois que, non seulement, ça use mes nerfs, mais, du coup, ça m’use tout simplement. Je me sens vidée certains soirs, comme si je ne pouvais plus avancer. Pourtant ma douleur aux talons a presque disparu et j’ai retrouvé mes forces. J’ai terminé de nettoyer la parcelle vendue, celle achetée et le bout réservé aussi. J’ai attaqué le nettoyage de l’autre partie qui est à vendre. La jument et son petit m’aident. Il ne reste qu’à couper tout ce qu’ils ne mangent pas : la menthe sauvage, les balais de 11 heures et la guayigua (plante ancienne dont la racine est encore utilisée par les Dominicains pour faire de la farine). Je nettoierai les citronniers et les guazumas (ormes d’Amérique) en même temps.
Ce matin, après le petit déjeuner et le nettoyage de sa maison, je me suis reposée et j’ai écrit le poème : « derrière la souffrance ».
Qu’y-a-t-il donc de si merveilleux
Derrière notre souffrance
Pour que nous la provoquions ?
La souffrance humaine serait-elle
L’ultime marche d’escalier à gravir
Avant de toucher notre soleil ?
Si de marbre cette marche est faite,
Froide et caressante doit-elle être ?
De braise et de feu sommes-nous faits
Pour rechercher tant de glace ?
Derrière la porte de la souffrance
Y-a-t-il de quoi éteindre tous ces incendies meurtriers ?
A quels lendemains sereins aspirons-nous
Si nous ne sommes pas capables d’embrasser le présent ?
Faut-il tant de souffrances pour qu’enfin éclate,
Comme un fruit mûr tout de sucre pétri, l’ultime vérité
Dans laquelle nous poserons notre âme joue contre joue.
Est-ce le repos ou bien est-ce la compréhension de quelque chose qui m’a redonné du courage pour me relever et aller me promener avec elle, chercher les goyaves mûres et aller voir la jument et son petit ? Toujours est-il que, dans ma tête, tournait une phrase : « fais confiance à la vie, elle sait où elle te mène ! »
Je me suis sentie comme soulagée d’une douleur diffuse en même temps qu’un sentiment de plénitude m’envahissait. J’ai besoin de ressentir plus souvent ce sentiment car, lorsque je le ressens, je sais que je suis dans le vrai, que c’est comme ça qu’il faut vivre quelles que soient les difficultés. Tout devient relatif : même la maladie de ma mère me devient supportable. Je me dis qu’elle est là pour une raison quelconque. A moi de savoir vivre avec puisque j’ai choisi ce chemin.
Dimanche 11 septembre 2011
Finalement ce week-end se sera bien passé, mise à part une partie de la journée d’hier, où elle a été franchement mauvaise avec moi. Cet après-midi, j’ai tenté de jouer aux cartes avec elle, à la bataille. J’ai été très surprise de voir qu’elle connaissait encore presque toute la valeur des cartes. Seuls le valet, la dame et le roi lui donnent encore un peu de fil à retordre. Elle a gardé des réflexes de joueur : taper la carte sur la table ou mettre les cartes gagnées au bon endroit dans sa main par exemple. La règle du jeu par contre elle ne s’en souvenait plus du tout. Nous avons joué plus d’une heure, sans qu’elle ne se lasse. C’est moi qui en ai eu marre avant elle. Elle était très contente, pourtant elle était dans une autre époque qu’aujourd’hui.
Elle m’a laissé travailler également : ce matin, j’ai commencé le nettoyage de la parcelle numéro 7 réservée ; j’ai nettoyé un peu ma terrasse et j’ai continué à étendre de la grave sur la sienne. Quand j’ai voulu boucher mon ancien jardin de terrasse avec des pierres, là, par contre, elle a commencé à changer d’humeur alors j’ai laissé tomber. Tout est rentré dans l’ordre.
Ce soir, allongée sur mon lit, avant de me mettre à écrire ça, j’avais le sentiment du devoir accompli. Pourtant je me sens encore un peu mal à l’aise quand je referme sa porte alors qu’elle n’est pas d’accord, qu’elle veut que je reste dormir dans sa maison.
Plus le temps passe et plus elle s’habitue à sa maison, si ça continue comme ça, je vais lui installer une petite cuisine. Le grand frigo resterait dans ma maison et je lui mettrais un petit ; pour la gazinière, j’attendrai encore car dans ses moments de colère elle pourrait valser ; un minimum de vaisselle et un galon d’eau. Il restera à emménager le coin où il y a la pierre. Elle ne s’y habitue pas du tout car elle ne comprend pas ce que fait cette pierre derrière la porte d’entrée. Une pierre dans une maison ! Pourtant elle est jolie avec tous ses petits cratères. On pourrait y mettre un peu de terre dans les plus gros et y mettre de la jolie misère. Mais je sais que ce n’est pas ça qu’il faut. Je trouverai bien un jour comment elle doit s’intégrer dans la maison.
J’ai eu envie de recommencer à dessiner mais il était l’heure de faire le repas du soir. Dans les jours qui suivent je pense que je vais m’y remettre.
J’ai fait un rêve désagréable dont je me souviens à peine. Il y avait Souricette et ses enfants, ma mère et moi. Souricette m’a demandé de venir à l’hôtel terminer la journée avec ses enfants. J’y suis allée. Je ne me souviens plus très bien de la suite sauf que j’ai reçu comme un clou dans mon dos. La douleur était assez forte mais soutenable. Pendant cet épisode il semblerait que Dorian ait été là aussi.
Cette chose enfoncée dans mon dos l’aurait été dans le but de me tuer car, après extraction, il s’agissait d’un objet indiquant le nombre de mois qui restaient à vivre à la personne qui recevait ça. Il était noté six mois.
Très bizarre comme rêve. J’ai du mal à l’interpréter. Le dos représente la famille en général. Quand on a mal au dos on a mal à la famille. Bien sûr, je peux imaginer que le clou enfoncé dans mon dos représente ma mère et que la douleur représente les difficultés à vivre quotidiennement avec elle. Les six mois inscrits sur l’objet peuvent être les mois qui lui restent à vivre, à elle, ou à moi. C’est l’avenir qui le dira. Demain sera un autre jour, si Dios quiere !
Vendredi 16 septembre 2011
Cette semaine a été intéressante : mardi j’ai voulu descendre en voiture pour aller faire mes courses et la laisser seule dans sa maison fermée. Il ne faisait pas beau et je n’allais être absente qu’une heure environ. Lorsque je vais travailler sur le terrain, je la laisse parfois plus d’une heure et elle ne bouge pas : elle regarde les livres et attend sagement. Seulement ce mardi, lorsqu’elle m’a vue, changée et prête à partir, elle a voulu venir. Comme elle avait été difficile au réveil, je ne lui avais pas proposé de la laver. Mais comme elle insistait pour venir, en se mettant en colère si je ne l’amenais pas, j’ai tenté l’aventure. Qu’elle soit ni peignée ni lavée finalement importe peu. Savoir si je peux descendre avec elle faire mes courses est plus important.
Nous voila donc parties et elle a supporté les secousses du chemin ; j’ai roulé encore plus lentement que d’habitude. Je suis allée payer mon dessus de lit. Elle est restée dans la voiture et de là, je suis allée chercher mes courses ; j’avais pris la précaution de dire que je descendais et qu’ils me les préparent car je descendais avec ma mère. Finalement je suis restée un bon moment et elle est restée dans la voiture. Je lui ai donné un gâteau et quand elle l’a eu fini, elle a commencé à s’impatienter. Au lieu de revenir directement à la maison comme j’en avais l’intention, je suis allée chez le « frutero » chercher des bananes. Elle a été tout de suite d’accord. Seulement le « frutero » était fermé. Comme ce n’est pas très loin de chez Anna-Marie, j’ai continué ma route et nous avons atterries par surprise. Anna-Maria était juste levée car il était 9 h et demi du matin. Elle est descendue de voiture, avec l’aide de Anna-Maria, mais elle peut descendre sans aide. Nous sommes restées à peine une heure et sommes reparties. Entre temps, le « frutero » avait ouvert et j’ai acheté des bananes, des sapotes et des avocats. Avec les platanos et les bananes qu’Anna-Maria m’a donnés, j’ai une bonne réserve. Et à peine arrivées à la maison, Feliz est venu me vendre un petit régime de bananes. De chez Anna-Maria, je me suis arrêtée à la « ferreteria » pourtant je ne voulais pas y remettre les pieds (ils n’ont aucun sens du service au client mais c’est l’unique ferreteria!) : « ne jamais dire fontaine….. » J’ai acheté deux petits robinets et deux coudes pour connecter ma réserve d’eau de telle sorte que, s’il y a une panne d’électricité, je puisse quand même la laver. Je vais essayer aussi de le connecter à ma tuyauterie de maison pour que moi aussi je puisse avoir de l’eau. L’autre jour, l’électricité est restée coupée plus d’une heure et lorsque j’ai décidé d’aller chercher un seau d’eau à la citerne, elle est revenue. Mais ça a été suffisant pour m’obliger à acheter les deux robinets et les coudes pour que je fasse cet aménagement.
La journée de mardi s’est poursuivie parfaite, et le lendemain matin aussi. Ce n’est que mercredi après-midi qu’elle a commencé à se détraquer.
Hier matin elle avait sa tête des mauvais jours « la tête de la vieille » dirait Suzanna. C’est vrai que lorsqu’elle est normale son visage est plein, comme si elle avait moins de rides, mais lorsqu’elle se détraque son visage change d’aspect. Elle est plus ridée et ses joues se creusent presque instantanément. Sa mâchoire inférieure s’avance un peu et sa façon de parler est bien différente. Elle donne des ordres comme si elle avait commandé toute sa vie un régiment ! Le changement de personnalité est flagrant.
Hier j’ai enfin compris pourquoi elle dit souvent, lorsque Suzanna est là - en train de travailler, faire la vaisselle, entrer et sortir de la maison – qu’il faut qu’on rentre à la maison. Elle pense être chez Suzanna. Lorsqu’elle est partie mercredi soir elle m’a fait cette réflexion : « où va cette dame ? » J’ai répondu : « chez elle ». Elle a été très surprise : « Mais c’est pas chez elle ici ? » Bien sûr c’est pas suffisant pour en tirer des conclusions mais ça me parait logique, si elle croit Suzanna chez elle, qu’elle veuille revenir dans sa maison à elle. Alors j’ai expliqué à Suzanna qu’il faut qu’elle se comporte comme une invitée et non comme une employée. Ce qui veut dire : s’asseoir avec nous pour boire le café, jouer aux cartes, se promener avec elle. C’est du reste ce qu’elle fait depuis quelques jours.
En tous cas, passer plus de temps dans sa maison a permis de voir un changement dans son comportement : elle s’approprie sa maison de plus en plus. Hier, on est allé manger sur sa terrasse. Aujourd’hui, je n’y ai pas pensé, mais maintenant on va aller faire une sieste chez elle.
En nettoyant le terrain ce matin, je pensais que les êtres humains doivent sortir de leurs gonds pour évoluer. Je faisais le rapprochement avec une porte que l’on sort de ses gonds. Une porte qui reste à sa place toute sa vie, que voit-elle ? Le même paysage, changeant avec les saisons, les mêmes gens, changeant quand même avec les événements de la vie, mais les gonds sont toujours les mêmes : c’est-à-dire ses attaches qui ont été posées depuis l’installation - comme l’homme sa famille depuis sa naissance. Lorsque la porte sort de ses gonds, elle ne les emporte pas avec elle. L’homme sort de ses gonds chaque fois qu’il change de vie, qu’il change de cadre. A chaque changement, une évolution doit se faire jusqu’à ce que tout attachement s’efface. Le but c’est de se détacher de ses liens qui nous serrent, nous enserrent, nous resserrent, nous servent et nous desservent.
De même, toutes ses maladies dégénératives, si on les regarde d’un autre point de vue que celui classique des médecins ou des familles, peuvent nous apprendre à nous détacher. En effet, un malade d’Alzheimer, par exemple, se lève tous les matins sans aucun attachement puisqu’il n’a pas de mémoire. Tout est neuf, tout est inconnu. Il n’y a aucun gond qui le retient.
L’humanité, malade de ces maladies dites de ce siècle, a tout simplement besoin d’évoluer vers moins d’attachement, vers moins de liens qui la retiennent, vers un détachement – qui ne veut pas dire indifférence – pour lui permettre d’aller vers une spiritualité qui fait défaut dans nos civilisations dites évoluées. Ces maladies surviennent justement maintenant pour permettre peut-être cette fameuse évolution. Un mal dur pour un avenir différent. Plus l’avenir sera heureux plus l’épreuve parait douloureuse.
Samedi 17 septembre 2011
La journée s’annonçait mal puisqu’elle a fait semblant de dormir quand je suis allée lui porter son petit déjeuner. J’ai posé le bol et j’ai ramené le mien dans ma maison pour déjeuner seule. Elle a du dormir tout habillée sous son couvre-lit. Alors une heure après j’y suis revenue, elle était dans son autre monde avec l’autre personne qui dit sans arrêt : « je dis la vérité, c’est pas pour rire que je le dis, c’est la vraie vérité »
Je suis allée finir de couper un guazuma trop grand, je l’avais commencé hier. Ce soir il est coupé, la jument et son petit mangent allègrement tous les bouts des branches puisque les feuilles sont très nutritives. Ensuite je suis revenue bien fatiguée pour faire deux lessives. A 11 heures j’ai fini et j’ai commencé à préparer le repas mais elle n’était pas complètement normale. Je savais qu’à tout moment ça pouvait se dérégler.
Cet après-midi c’est vers 4 h et demie qu’elle a commencé à s’énerver, mais avec des plages de calme qui faisait penser qu’elle était elle-même mais pas du tout. Au moment du repas du soir, elle a refusé de manger. J’ai enlevé nos deux assiettes pleines et je me suis allongée sur mon lit en attendant que ça passe. Effectivement, elle s’est calmée. On a mangé et on s’est promené un peu. Elle a recommencé son foin pour aller au lit dans sa maison. Elle dit toujours qu’elle a peur dans cette maison. Je veux bien la croire, car la personne qui l’envahit le fait plus facilement quand elle est seule dans sa maison. Je pensais que je ne devrais pas la laisser seule, mais je sais aussi que ce n’est pas possible de vivre 24 h sur 24 avec elle. C’est moi qui péterais les plombs encore plus vite qu’elle. Quoiqu’aujourd’hui, en faisant une lessive, j’ai bien failli envoyer tout valser uniquement parce que je n’arrivais pas à retirer un drap qui s’était entortillé avec l’autre. J’ai sorti les deux draps et les ai balancés dans le lavabo plein d’eau. Je me suis littéralement trempé, ça m’a calmé et j’en ai même ri. Mais je me rends bien compte qu’il faut pas grand-chose pour que mes nerfs prennent le dessus. Dorian s’en était rendu compte aussi mais je crois bien que c’est normal.
J’ai essayé de continuer le dessin aquarelle que j’avais commencé mercredi ou jeudi. Le papillon machaon que j’essaie de faire par-dessus la végétation a du mal à surgir, mais ce qui compte c’est que je puisse recommencer.
J’ai connecté hier après-midi ma réserve d’eau à la fois à la maison neuve et à la mienne. Apparemment ça ne marche pas. L’eau n’arrive pas à ma maison. De plus, une connexion, à l’endroit du T, fuit. A refaire. Quand j’ai rebranché la pompe, sans fermer la sortie de la réserve, l’eau arrivait mais la pompe ne se remettait pas en route. Je n’ai rien compris. Demain sera un autre jour. La fuite fuit peu et je sais qu’au moins la connexion pour sa maison marche. La mienne peut attendre.
Un fait significatif au sujet de la méthode Coué. Lorsqu’elle oublie le nom de Las Galeras ou de Rafi, j’ai fait plusieurs fois l’expérience, je lui dis de répéter « ma mémoire revient et je suis en bonne santé » et à chaque fois, effectivement le mot oublié revient tout seul. Je l’avais testé pour les cigales, mot qu’elle avait pratiquement oublié car les cigales aux Fieux, y en a pas beaucoup. En tous cas, je sais qu’à chaque fois qu’elle va chercher un mot ou un nom je vais employer cette méthode et je suis convaincue que sa mémoire effectivement s’est vraiment améliorée.
Cet après-midi, pendant que je nettoyais le terrain, elle a fait la vaisselle, pas encore tout à fait comme il faut, puisqu’elle n’utilise pas de produit vaisselle, ni d’éponge, mais elle l’a lavée avec ses mains, essuyée et rangée de telle sorte que lorsque je suis revenue, elle m’a demandé où il fallait ranger toute cette vaisselle. Je pense que, bientôt, elle la fera normalement. Je vais lui dire deux ou trois fois sans doute qu’il faut mettre du produit à vaisselle sur le tampon à récurer – j’ai supprimé les éponges, car elle ne veut pas qu’elles soient mouillées ! Si ça continue, elle va remplacer Suzanna.
Le même soir mais quelques heures plus tard :
J’ai relu une partie de ce que j’avais écrit lorsque j’étais aux Fieux. Je m’aperçois que le comportement de ma mère reste le même. Ce qui a changé effectivement, c’est qu’elle est de plus en plus présente dans notre monde. Elle fait encore beaucoup d’allers et retours dans son monde à elle mais ça s’améliore. L’autre changement c’est que les moments de violence ont pratiquement disparus. Ils n’apparaissent que lorsqu’elle refuse (comme ce soir) de dormir seule dans sa maison. Et encore, ça n’a pas duré très longtemps.
Le véritable changement aussi est qu’elle accepte de se laver la plupart du temps, que les couches ont disparu et qu’elle ne salit qu’accidentellement ses draps. Elle ne fait plus pipi près de son lit depuis quelque temps déjà, ça me facilite le nettoyage de sa maison.
A la lumière de cette lecture, je dois en conclure que son état va s’améliorant et que moi, même si je suis fatiguée, je continue à nettoyer le terrain comme avant, que j’ai recommencé à écrire des poèmes et que je recommence à peindre.
Alors pourquoi ne suis-je plus capable de sourire ? Pourquoi mes nerfs sont-ils encore à fleur de peau trop souvent ? Est-ce que mes méditations ne sont pas suffisantes ? Je dois me reprendre. Je dois contrôler mes énervements et sourire plus souvent avec elle. Lorsque j’ai joué à la bataille avec elle l’autre jour, finalement, elle, elle était très contente et plaisantait. Moi, je jouais, je souriais quelque fois mais finalement j’étais triste. Je dois remédier à ça, il me semble que ça l’aiderait aussi.
Dimanche 18 septembre 2011
J’ai essayé de mettre en pratique ma conclusion d’hier soir : sourire plus souvent même si le cœur n’y est pas toujours. J’ai essayé jusqu’au moment où j’ai du nettoyer sa maison. Elle avait fait pipi sur le bord de son lit donc j’ai du changer toute sa literie. Au moment où j’écrivais hier au soir qu’elle ne faisait plus pipi par terre, justement elle l’a refait. Conclusion : je ne dois plus ni l’écrire, ni le dire, ni même le penser. Je dois juste dire : sa maison est propre tous les matins. Mes nerfs ont presque craqué lorsque je l’ai vue rentrer avec ses chaussures (je n’avais pas fermé la porte car la matinée s’annonçait calme) et salir tout ce que je venais de laver. Elle s’est rendu compte que ses chaussures laissaient des traces alors elle est ressortie toute penaude. J’ai fermé la porte à clef, j’ai nettoyé avec une ardeur qui n’avait rien de normal. Je me suis déchaînée sur le « swappe » le balai espagnol et sur la bassine verte. J’ai crié et j’ai jeté le pauvre swappe qui pourtant venait de bien faire son travail ! J’ai mis un bon moment avant de me calmer seule en nettoyant et en me raisonnant. Comme quoi les bonnes résolutions ont du mal à se mettre en place parfois.
Lorsque j’ai eu fini, j’ai ouvert la porte. Elle était toute contente d’elle et moi j’ai eu un pauvre sourire. J’ai emporté toute sa literie à laver dans ma maison, mais je n’ai pas eu le courage de me mettre à faire une ou deux lessives. On verra ça demain. Je me suis assise en buvant un grand verre de jus de fruit, je me suis douchée, je suis allée voir la jument et son petit et comme ma mère était très calme et contente, j’en ai profité pour aiguiser ma machette et aller continuer le nettoyage du terrain. J’en ai fait un bon morceau et ce n’était pas facile car c’est là où il y a le plus de citronniers envahis par les liserons de toutes sortes – les bejucos comme on dit ici.
Puis la journée s’est poursuivie sans heurt. Je me sens un peu fatiguée, et un peu mal au ventre après avoir fait un gros effort. Ça doit être des calculs qui passent. Mais la douleur aussi passe, alors ce soir j’ai recommencé à « machetter » mais son humeur a changé de bonne heure encore aujourd’hui.
Hier, il était 4 h et demie de l’après-midi, et aujourd’hui, il était presque 5 h. J’en ai profité pour vérifier certains détails : lorsqu’elle passe dans l’autre personnalité, ou quand l’autre personnalité se réveille, elle ne reconnaît vraiment plus personne : ni Dorian et Erel sur les photos qui sont dans les livres qu’elle regarde ou sur mon ordinateur, ni son fils alors qu’elle le reconnaît depuis déjà quelque temps. Quant au nom du chien, même en l’aidant, elle a du mal à retrouver « Rafi ». Donc l’autre personne l’handicape vraiment. Il faut que je m’en débarrasse. Je ne sais pas encore comment je vais faire, mais je vais le faire. Il y a un an, elles étaient trois, maintenant elles ne sont que deux, il n’y a pas de raison pour que ça dure encore. Je dois trouver un moyen de la faire sortir. Je pensais qu’en occupant ma mère toute la journée, en restant auprès d’elle tout le temps, ça empêcherait l’autre d’arriver, mais ce n’est pas le cas, donc il faut que je trouve un autre moyen.
L’indifférence qu’elle montre quand elle est l’autre est tellement importante que la différence entre les deux personnalités est vraiment flagrante. Ma mère est de nature gentille, quand elle mange, elle veut savoir si j’ai aussi à manger. Quand je dis que je veux me reposer, elle le comprend. Quand je travaille un bon moment avec ma machette et que je viens m’asseoir pour souffler un peu ou boire, elle me dit que je me fatigue trop. Par contre, l’autre, elle s’en fout complètement, la seule chose qui l’intéresse c’est de pouvoir marcher, bouger les jambes, chanter et parler. Si c’est un esprit qui l’a réellement envahi, il doit se régaler effectivement. Il peut se croire encore vivant grâce à elle et comme elle est seule en plus la nuit il peut mener un semblant de vie. C’est pour cette raison que je dois m’en débarrasser.
Il est 7 h et demie du soir, je l’entends parler d’ici. Je ne cherche plus à savoir ce qu’elle dit car je sais que c’est l’autre qui est en route pour une bonne partie de la soirée. Je vais essayer de visualiser un flot de lumière tombant du ciel sur sa maison et de demander à l’autre de rentrer chez elle ou chez lui. On verra bien si ça donne des résultats un jour. Je ne m’attends pas à le voir disparaître du jour au lendemain, mais si je visualise ça pendant quelques semaines tous les soirs ça devrait faire quelque chose.
Dimanche 23 octobre 2011
Je m’aperçois que ça fait presque un mois que je n’ai rien raconté. Fatigue, pas envie, ça sert à rien d’écrire… souvent c’est ce que j’ai pensé alors j’ai laissé passer presque un mois.
Depuis quelques changements ont eu lieu. Le premier c’est que systématiquement on mange maintenant sur la table de la terrasse de la nouvelle maison. Je fais les allers et retours qu’on peut imaginer puisque la vaisselle est là et la gazinière est chez elle. Gazinière est un grand mot puisqu’il s’agit juste d’une plaque avec deux feux. Mais au gaz puisque l’autre électrique a rendu l’âme. Je lui demande souvent maintenant de surveiller la cuisson, d’éplucher et de couper l’ail et l’oignon. Avant je lui demandais juste de les éplucher. L’autre changement c’est que Suzanna ne travaille plus depuis jeudi dernier. Le départ s’est fait en douceur comme je le souhaitais. J’avais déjà pris la décision. En fait, la vraie motivation c’est qu’elle m’a volée depuis le début de son travail, même lorsque nous habitions dans la maison d’Anisette. Mais comme il y avait aussi Luisa (et parfois ses enfants) je ne pouvais pas être sûre que ce soit elle. Lorsque quelque chose disparaissait, je ne disais pas qu’on me l’avait volé, je disais que c’était ma mère qui l’avait sûrement caché dans un placard ou dans les armoires. Et, comme par miracle certaines choses réapparaissaient le lendemain ou plusieurs jours après. Il y a eu effectivement certaines choses qui ont disparu et réapparu du fait de ma mère, mais l’histoire des petits ciseaux inoxydables pour couper les ongles durs des pieds de ma mère est sans doute la plus rigolote. J’avais demandé à Myrtille de me laisser sa paire de ciseaux puisque j’étais convaincue que je n’avais plus les miens. En fait, je les avais rangés dans d’autres bricoles dans un sac en plastique où je ne regardais pas souvent. Résultat c’est que je me suis retrouvée avec deux paires. Puis une paire a disparu. Je ne dis rien et je me sers de la deuxième paire. Puis elle disparaît aussi. Là, je sais que ce n’est pas ma mère. Je me lamente auprès de Suzanna en lui disant que sans ciseaux à ongles, je ne peux plus couper les ongles des pieds de ma mère et qu’ici, on n’en vend pas, et que cette disparition me gêne vraiment. Miracle ! les ciseaux ont réapparu sur la tablette qui se trouve au-dessus des w.-c. de la nouvelle maison. Et pour que je les trouve sans doute du premier coup, il y avait devant, un litre de lait. Voyant le lait au-dessus des w.-c. je ne pouvais pas ne pas les trouver puisqu’en attrapant le lait, mes mains ont rencontré les ciseaux. Suzanna était près de moi, j’ai failli lui dire « merci de me les avoir rendus ! » J’ai simplement dit : « gracias ». Le lendemain de cette trouvaille, je retrouvais la première paire dans ma salle de bains dans un sac en plastique rempli de lacets et de petites cordes. Peut-être était-ce moi qui les avais mis là un jour ? Je ne m’en souviens pas.
L’autre raison qui a fait que je ne voulais plus qu’elle travaille pour moi c’est qu’un jour difficile, je l’ai laissée seule avec ma mère et moi je suis partie me calmer en marchant. Je suis allée me coucher sur le deuxième lit de la nouvelle maison et j’ai fermé la porte. Suzanna ne savait pas où j’étais exactement. Elle a pensé que j’étais dans mon conuco en bas. Elle parlait au téléphone avec un de ses fils je crois et elle est venue autour de la maison. Elle a parlé de nous d’une façon irrespectueuse. Lorsque ma mère est venue près d’elle elle lui a parlé un peu en français en lui disant qu’elle allait tomber, ça m’a surprise car le ton était joyeux. En tous cas, elle n’a pas arrêté sa conversation au téléphone, elle l’a poursuivie tout en revenant dans ma maison. Ma mère est venue secouer la porte de sa maison, alors j’en ai profité pour ouvrir et revenir chez moi en prenant bien soin de dire que je m’étais endormie un peu.
Quelques jours après, lorsque le menuisier était en train de poser le rebord du toit qui va servir de gouttière, je suis montée sur l’échelle en bois pour vérifier le travail et lorsque j’étais sur un des barreaux du haut, ma mère a secoué l’échelle en me demandant de redescendre. Suzanna était assise tranquillement sur la grosse pierre et elle n’a pas bougé le petit doigt pourtant ma mère continuait de secouer l’échelle. J’ai du dire plusieurs fois, « sort toi de là maman! » pour qu’enfin ma mère arrête. La réaction normale de Suzanna aurait du être de s’approcher de ma mère et de l’éloigner de l’échelle de gré ou de force pour éviter un accident.
A ce moment-là j’ai compris vraiment que Suzanna n’en avait rien à faire de nous. Vivantes ou mortes, ce n’est pas ça qui changera sa vie. Lorsque je lui ai annoncé que je ne pouvais plus la garder à cause du manque d’argent, elle s’est sentie trahie mais a continué à faire son travail.
Lorsqu’il pleuvait trop ou lorsqu’une tempête était annoncée, je lui disais souvent de rester chez elle pour ne pas qu’elle se mouille et que Poncho aussi ne se mouille pas. Lundi dernier le temps s’annonçait mauvais. Poncho m’a appelée en me demandant s’il devait aller la chercher. J’ai trouvé ça un peu gonflé. J’avais besoin d’eux. Dans la nuit de vendredi à samedi dernier, j’ai eu un problème de santé. Je ne savais pas si c’était un problème de hausse de tension ou de baisse de tension ou de crise de foie. D’abord, je n’ai pas pu dormir de la nuit, ce qui est rare, sauf lorsque j’avais mes problèmes de calculs qui passaient. Le soir j’avais mangé des pommes de terre sautées dans de l’huile d’olive. J’ai pensé que j’en avais mangé trop et qu’il y avait trop d’huile surtout. Vers les trois heures et demie du matin, la jument et son petit sont arrivés autour de la maison et ont fait un bruit infernal (j’avais laissé la vieille bassine en inox entre les deux maisons). Comme ils n’avaient pas l’air de vouloir s’en aller de sitôt, j’ai pris la décision de me lever et d’attacher la jument loin de la maison pour que nous puissions dormir tranquille. Première sortie ratée, la jument est partie exactement tout près de la fenêtre où se trouve le lit de ma mère. Je suis revenue me coucher bien en colère. Le bruit a continué et la jument est sortie de dessous la terrasse alors je me suis relevée pour l’attacher au tronc du goyavier à l’entrée du terrain. La paix est revenue : je me suis recouchée toute contente. Mais j’ai eu faim tout d’un coup. Dans le frigo il y avait du lait et des gâteaux du boulanger. C’est avec plaisir que j’ai bu le lait froid. J’ai trouvé le gâteau trop sucré mais je l’ai fini quand même. « golozona » m’auraient dit Eliana et Angel, mes amis Italiens !
Quelques minutes après, j’ai eu envie d’aller aux waters et ça pressait ! Une diarrhée. L’huile d’olive fait son effet, j’ai pensé. Je me suis recouchée. Je ne me sentais pas bien du tout. Comme l’huile d’olive permet aussi à la tuyauterie des reins de se déboucher j’en ai conclu que mon repas avait provoqué une descente de quelques pierres et que j’en payais les conséquences maintenant. Quelque minutes plus tard, j’ai du me lever vite pour aller vomir tout le lait et le gâteau. Quand je vomis, j’ai tendance à m’évanouir alors, je me suis agenouillée devant les w.-c. J’ai pensé que je raconterai ça à Anna-Maria : « me arrodille adelante del inodoro como para hacer una oracion ! » « Je me suis agenouillée devant le w.-c. comme pour faire ma prière » Mais l’humour de la situation n’a pas empêché que je m’évanouisse. Très peu, mais suffisamment pour que je fasse dans ma culotte de pyjama ! Heureusement que je me suis agrippée à l’échelle en bois, ça m’a empêché de me cogner quelque part. Je me suis lavée et tant bien que mal je suis revenue au lit. Ma tête tournait, je n’avais plus de force. Je n’ai pas dormi pour autant le reste de la nuit. Sans équilibre, sans force, je me demandais comment j’allais pouvoir faire face à la nouvelle journée si ma mère était en plus dans un de ses jours difficiles.
Le matin est arrivé et mon équilibre n’était toujours pas revenu. J’ai pensé que c’était une baisse de tension due à trop de travail et de stress quotidiens.
Heureusement ma mère s’est comportée normalement, comme si elle comprenait que quelque chose dans mon comportement ne tournait pas rond, mais elle ne savait pas quoi. Je n’ai pas pu la laver ni m’occupait des repas. On a mangé froid ce jour-là. Un moment, j’ai eu envie d’appeler Anna-Maria pour lui demander de l’aide, mais je n’ai pas osé parce qu’elle a souvent du monde chez elle ce jour-là et qu’en plus, elle aussi, elle a besoin de se reposer.
Lorsque Poncho m’a appelée pour me demander si Suzanna venait travailler, je n’ai pas dit que j’avais un problème de santé, mais seulement que j’avais besoin des deux, sans donner d’explications. J’ai appelé Karmen la doctoresse pour lui demander conseil. Elle m’a dit que mon manque d’équilibre était du à un manque de liquide, car j’avais vomi et eu la diarrhée. J’ai envoyé Poncho acheter des sels réhydratants (il a mis un sacré moment pour revenir et a prétexté que personne n’avait la monnaie de 500 pesos, qu’il avait du aller dans plusieurs endroits pour la faire, etc.… je n’en ai rien cru). Toute la journée je n’ai rien pu faire et j’ai bu petit à petit mon litre d’eau avec mes sels. Le lendemain, ça allait un peu mieux. Mercredi j’ai pu marcher normalement et non comme « una bourrachonna » poivrote. Poncho a terminé de poser le fil de fer barbelé pour empêcher les chevaux de passer. Je suis allée choisir un petit copalier presque droit pour faire un semblant de portail. Pour être naturel, il l’est naturel le portail ! Mais efficace. Le portail était terminé et j’ai voulu tester si la jument ou le petit pouvait passer. Avec des peaux de bananes je savais que la jument me suivrait. Evidemment, j’avais compté sans ma mère qui s’est déréglée à ce moment-là. Elle poussait les chevaux pour qu’ils s’en aillent et moi j’étais devant avec mes peaux de bananes. Enfin, je me suis mise de l’autre côté de la nouvelle porte et j’ai pu me rendre compte que la jument ne passerait pas, donc le petit peut-être pas non plus, mais pour en être sûre, je les attirais avec mes peaux de bananes tout en restant de l’autre côté. Ma mère les empêchait de passer et les faisait fuir. A ce moment-là, je me suis rendue compte du comportement de Suzanna. Elle éclatait de rire à chaque fois que ma mère me compliquait mon travail, à tel point que Poncho lui a demandé de ne pas rire comme ça. Enervée comme je l’étais, je n’y avais pas fait attention. J’ai jeté les peaux de bananes en direction de la jument et je suis partie m’asseoir sur la chaise dans la nouvelle maison en les laissant se débrouiller avec ma mère. Ni l’un ni l’autre n’ont bougé. Dans ma tête, la décision de ne plus garder Suzanna était prise. Au bout d’à peine 5 minutes, je suis revenue terminer le travail de la porte avec Poncho sans prêter attention, ni à ma mère, ni à Suzanna. Elle s’est mise à chanter un chant qui ressemblait à un chant d’église mais j’ai fait comme si je n’entendais rien. Je n’ai fait aucune remarque, ni aucun compliment non plus.
Jeudi, Poncho a terminé le nettoyage de l’angle du terrain à gauche de la nouvelle porte. Suzanna, après avoir bu le café, m’a annoncé qu’elle attendait un coup de fil important de la maison de crédit pour obtenir un prêt pour son fils qui tient le point internet, qu’elle était obligée d’y aller elle-même et que c’était à Samana, qu’elle devait faire très rapidement son travail avant qu’ils ne l’appellent, mais que ce n’était pas sûr. Ma réponse, elle la savait d’avance : « pas de problème, tu pars dès qu’on t’appelle, et Poncho te redescend ». « Non, j’ai demandé à mon fils de venir me chercher car je ne veux pas déranger Poncho dans son travail. » m’a-t-elle répondu. « Je vais vite faire la vaisselle et laver le linge ». Là, je l’ai arrêtée. Je lui ai demandé de nettoyer plutôt la maison de ma mère car je n’avais pas pu le faire correctement. Lorsqu’elle a eu fini, on est allé ensemble dans ma maison pour qu’elle fasse la vaisselle. Comme j’avais fini la poudre à laver le matin, elle a du faire la vaisselle avec le savon, ce qu’elle n’aime pas car ça ne dégraisse pas comme la lessive. Là, je lui ai dit que j’allais lui donner 5000 pesos mais qu’il valait mieux qu’elle ne revienne pas car ma mère devenait de plus en plus désagréable avec elle et que le travail que je faisais pour la calmer était défait uniquement parce qu’elle la voyait faire la vaisselle, laver le linge ou balayer la terrasse. Tout en lui parlant, je la regardais ; lorsque j’ai promis 5000 pesos qui s’ajoutaient aux 10 000 de prime de licenciement, elle n’a pu retenir un sourire. Comme ça, avec la prime de licenciement qu’elle a reçu de son précédent travail, elle peut faire ses travaux d’agrandissement dans sa maison.
Je l’ai accompagnée au portail avec le cœur un peu serré car je lui avais promis qu’elle pouvait travailler chez moi tant que ma mère serait vivante. Mais la santé de ma mère s’est améliorée et Suzanna me compliquait la vie plus qu’elle ne m’aidait, sans parler des apparitions-disparitions des choses qui m’ont fait perdre confiance en elle.
Il est vrai que le vol de mon essence dans mon réservoir de voiture a été pour beaucoup aussi dans ma décision. Je ne crois que ce soit elle, mais je trouve que ça fait beaucoup de choses en peu de temps. J’aurais pu avoir un bel accident dans la côte avec ce manque d’essence puisque la voiture s’est arrêtée juste en haut. J’ai freiné et j’ai tourné les roues pour qu’elle ne redescende pas. Heureusement que j’avais pris la côte de gauche, celle qui est moins dangereuse. C’était vendredi de la semaine passée, je suis allée faire les courses seule en laissant ma mère dans sa maison car elle était bien calme. J’ai bien vu que l’aiguille du réservoir était sur la réserve alors que lors de ma dernière sortie j’avais mis deux galons d’essence. Mais comme cette aiguille ne marchait pas lorsque j’ai acheté la voiture, j’ai pensé que la réparation du garagiste n’avait pas tenue. A aucun moment, je n’ai imaginé qu’on ait pu aspirer l’essence du réservoir avec un tuyau en caoutchouc presque sous mon nez. J’ai appelé le mécanicien qui travaille en face de chez Anna-Maria, et il est venu me dépanner avec deux galons d’essence. Il a regardé si le réservoir ne perdait pas. Je suis rentrée chez moi à 11 h passées alors que j’étais partie avant 9 h. Ma mère ne s’est pas rendu compte de l’heure.
En me disant au-revoir, Suzanna m’a quand même glissé dans la conversation que je l’avais trahie. J’ai accepté ce reproche en lui disant que je me comportais en égoïste, que ma mère ne l’avait pas acceptée comme on aurait pu le penser et que j’avais besoin de calme pour que ma santé revienne.
Hier je suis allée voir Karmen pour qu’elle prenne ma tension. Ma mère est restée dans sa maison sans poser de problème. C’est une hausse de tension et non une baisse qui provoque mon manque d’équilibre. Je suis allée à la pharmacie acheter juste les médicaments pour les parasites et demain matin, je vais chez elle pour faire une prise de sang pour un contrôle complet car elle pense que la douleur aux talons vient certainement de l’acide urique.
Il est presque 10 h du soir, j’ai oublié mon téléphone portable dans le hamac mais je n’ai pas le courage d’y aller, il fait trop nuit dehors et je n’ai pas de lampe puisque je me sers tout le temps de la lanterne de mon téléphone. Je vais laisser mon ordinateur en veille pour avoir l’heure. Et en fait, au moment où j’écris ça, je pense en même temps : « pourquoi faire j’ai besoin de l’heure ? » Quand il fera jour, je le verrai.
Vendredi 28 octobre 2011
Pour la première fois depuis que je vis ici, je viens d’appeler le mari d’Anna-Maria pour qu’il vienne avec la police car je sens un danger autour. Deux coups de feu un peu bizarres du côté de chez mes voisins, ma citerne où quelqu’un a mis un produit qui a rendu très très claire l’eau et a nettoyé les côtés comme si on avait mis trois ou quatre galons d’eau de javel ou de l’acide chloridrique. J’ai déjà mis de l’eau de Javel dans ma citerne mais jamais les parois ne s’étaient nettoyées comme ça. De plus, la chatte et Rafi et même la jument ne veulent plus boire l’eau, et pourtant il fait chaud. De plus, Poncho a nettoyé un endroit du terrain en faisant comme un chemin. J’ai essayé de l’arrêter car je ne voyais pas l’intérêt de faire un nettoyage de ce côté. C’est vraiment de mauvais gré qu’il s’est mis un peu plus loin. Depuis quelques jours je le vois très différent. Son visage a changé, j’ai mis ça sur le compte de la fatigue, mais je crois bien qu’il se shoote lui aussi. Quand il s’est assis pour boire le café, il faisait sans arrêt des « hummm » involontaires. Quand il s’est levé, il ne marchait pas vraiment droit. La dernière fois qu’il est venu travailler il faisait ça aussi et lorsque je lui ai demandé s’il voulait de l’eau ou un café, très énervé, il m’a répondu « Je ne peux pas boire de café quand mon sang est bouillant ! » Je n’ai pas insisté.
Cela fait deux fois qu’il « oublie » une corde tout près de ma maison. La première fois c’était une corde appartenant au menuisier qu’il avait mis bien en vue sur une branche de l’arbre orchidée tout près de ma maison. Ce soir, j’ai enlevé un fil de tondeuse à gazon vert assez gros qui a été posé à droite de mon portail. Cette corde et ce fil « oubliés » sont très utiles pour les bandits qui veulent ligoter quelqu’un. Un autre soir, c’était une cartouche de silicone vide qui avait été déposée tout près de l’arrivée de l’électricité, comme pour indiquer à quelqu’un où se trouvait l’arrivée de l’électricité dans ma maison. Le fil peut être destiné à Poncho pour son usage personnel, mais la cartouche de silicone vide ?
Suzanna, un jour, m’a dit que sa fille utilisait les graines du faux flamboyant en tisane pour je ne sais quelle maladie. Je lui ai traduit les effets dangereux de ces graines sur les humains et même sur certains animaux. Ensuite, lorsque j’ai trouvé que mon café n’avait pas le même goût, j’ai commencé à me méfier. Je suis quand même restée dans un état d’hébétude pendant une semaine en plus de mon manque d’équilibre !
Si j’accumule toutes les odeurs qui m’ont réveillée en pleine nuit (cigarette, salami), tous les bruits suspects sur la terrasse – comme si quelqu’un s’asseyait sur mes fauteuils en bambou (ça craque un peu et la chatte était dans mon lit donc ça ne pouvait pas être elle) – toutes les disparitions-réapparitions d’objets utiles, les petits ciseaux pour les ongles, les couteaux (il ne m’en reste que deux sur les quatre) la tasse à thé en plastique, le sécateur plus la disparition des épingles à linge, plus le comportement de Suzanna, qui veut toujours laver ou faire quelque chose dans ma maison lorsque je suis dans la maison de ma mère, bref….
Ou bien je suis complètement parano ou bien il y a vraiment quelque chose qui se passe. Depuis que je sais que Suzanna est copine avec le fameux Jordan de Las Galeras, un bandit notoire, qui vient de se faire blesser par la police puisqu’elle a l’autorisation de le tuer, et que, de plus, sa sœur vit avec un Haïtien qui a travaillé ici en 2000 et ce n’est pas un enfant de chœur non plus, ça fait beaucoup de petits faits malsains qui ont mis ma vigilance en éveil.
Anna-Maria m’a appelée un matin, très tôt, ce qui n’est pas dans ses habitudes, pour me dire qu’elle avait fait un rêve tellement bizarre qu’elle en a eu peur. Deux hommes étaient à ma recherche dans une voiture rouge et marron et m’ont tiré deux balles. Comme la veille, il y avait eu cette attaque du propriétaire de la « ferreteria », je lui ai répondu que son rêve venait de là bien sûr.
Mais le rêve du clou dans mon dos peut être aussi une poupée qu’on a pu faire pour me faire tomber malade. C’est très courant ici. Le vaudou est pratiqué par les Haïtiens et la sorcellerie par les « brujos » sorciers Dominicains.
Un très étrange comportement de mon chien, qui est peut-être uniquement un fait naturel, m’a surprise avant-hier soir : il était couché sur le sable rouge devant la maison de ma mère et il me regardait dans les yeux, comme il le fait souvent. Et puis, soudain, il a fait un signe de la tête, comme lorsqu’on indique, du menton, à quelqu’un la direction à suivre. Il l’a fait deux fois comme s’il voulait me dire : « va dans la maison ». Comme c’était le moment où je ferme la porte de ma mère, ce signe, à ce moment-là, avait sa signification. Mais ça peut être tout simplement qu’il avait senti une odeur et qu’il reniflait d’une façon un peu bizarre.
Qui aurait intérêt à me faire disparaître ? Poncho et Suzanna ! C’est facile à comprendre : n’étant plus là, il faudrait deux personnes 24 h/24 ici pour s’occuper de ma mère. Suzanna habiterait ici et Poncho ferait les courses et les menus travaux. Mon fils, n’étant pas au courant de leurs comportements leur aurait fait confiance à tous les deux jusqu’à ce qu’il puisse venir chercher ma mère. En attendant, ils auraient mené la belle vie. Une maison, une voiture, de l’argent que mon fils aurait du envoyer car personne n’a accès à mon compte en banque ici. Bref, c’était le jackpot pour quelques semaines, voire quelques mois. Pour l’heure, je suis dans la chambre de ma mère où je vais dormir exceptionnellement car je ne me sens pas en sécurité.
J’ai mordu la poussière
Mais la poussière n’a pas voulu de moi !
J’ai griffé la terre
Mais la terre n’a pas voulu de moi !
J’ai insulté le ciel
Mais le ciel n’a pas voulu de moi !
J’ai hurlé dans le vent
Mais le vent n’a pas voulu de moi !
J’ai coulé dans l’eau
Mais l’eau n’a pas voulu de moi !
Je me suis brûlée
Mais le feu n’a pas voulu de moi !
La terre, le ciel, le vent, l’eau et le feu
Sont mes amis pourtant,
Ils auraient du comprendre ma détresse
Et m’accepter telle que je suis.
Ils savent que je ne suis pas encore arrivée
Là où il faut que j’aille.
A moi de savoir caresser la poussière,
Adorer le ciel, sentir le vent, nager et me réchauffer
Au soleil étincelant de mon diamant bleu.
Samedi 29 octobre 2011
Installée dans mon hamac, j’écris la suite d’hier. La nuit s’est déroulée sans encombre. Bien sûr, j’ai entendu trois fois du bruit suspect comme si on avait tiré sur le tuyau du gaz ou si on avait essayé d’emporter l’ancienne plaque électrique que j’ai laissée dehors. J’ai allumé dehors seulement, je n’ai rien vu mais je ne suis pas sortie. La chatte était sagement couchée sur la table de la terrasse et a regardé dans ma direction. Elle a du sentir que j’étais derrière la porte.
Ce matin, il a beaucoup plu, j’ai pu vérifier que du côté où j’ai installé ma petite réserve d’eau, le niveau a bien monté puisqu’elle est à moitié. Ma citerne n’a pas beaucoup bougé de niveau, et l’eau y est toujours aussi claire malgré quelques feuilles en plus. Lorsque le policier hier soir a regardé avec une lampe de poche il a dit : « il y a une grosse grenouille qui nage dans l’eau » comme pour dire : s’il y avait eu du poison ou de l’eau de javel elle n’y serait pas. J’ai entendu effectivement une grenouille coassait cette nuit, mais pas longtemps et ce matin je suis allée voir s’il y avait des têtards, il n‘y en avait pas un seul.
Je ne peux pas expliquer pourquoi quelqu’un aurait mis de l’eau de javel en grande quantité dans ma citerne. Je garde quand même le petit flacon d’eau prélevée hier même si je sais que personne ne fera l’analyse puisqu’il faut aller à la capitale pour ça. En plus, je crois me souvenir qu’une analyse d’eau doit se faire rapidement. J’ai demandé à Karmen hier comment on faisait pour analyser l’eau. Il faut aller le faire à la capitale.
En tous cas, le comportement de ma mère est exceptionnellement calme. Anna-Maria m’a dit qu’elle avait fait une prière spéciale lors d’un rassemblement religieux et qu’elle était sûre qu’elle irait mieux.
Dimanche 30 octobre 2011
Le mari d’Anna-Maria vient de partir, il est venu voir comment nous allions et m’a expliqué pour la énième fois que la police quand on l’appelle il ne faut pas la payer, mais lui donner un « régalito » un pourboire sinon la prochaine fois, elle ne se déplacera pas. Mon histoire de citerne où on a mis un produit ne les a pas convaincus. Ils pensent que c’est uniquement le soleil qui a tué tous les têtards. Comment les parois sont-elles devenues si propres, sans limon, sans trace d’aucune sorte ? Comme lorsque l’on nettoie avec un produit très fort. J’ai bien regardé si personne n’a jeté une bête ou un mort dedans, mais sans lampe forte je ne peux rien voir. Et pourquoi aurait-on jeté quelqu’un ou une bête dans ma citerne ?
Petit à petit, certains détails insignifiants se mettent à surgir dans ma tête : par exemple, l’aiguille à bâtir que ma mère a trouvée sur le couvre-lit que j’ai acheté pour me faire mon cadeau d’anniversaire. Comment cette aiguille, avec une jolie tête de nacre assez grosse, a-t-elle pu se retrouver ainsi piquée légèrement dans l’étoffe ? La couturière qui a fait ce dessus de lit est une personne particulièrement soigneuse, elle n’aurait pas laissé traîner une aiguille ainsi dans son ouvrage.
La bouteille d’eau a été comme coupée avec une lame de rasoir. Elle se pose tête-bêche sur la fontaine. De plus, au sujet de cette même bouteille, un matin, en me versant un verre d’eau, je l’ai trouvé pas si nette que ça, il y avait même un petit carré gris clair qui flottait (j‘ai pensé que c‘était un petit bout de feuille de mon toit, mais comment se serait-il retrouvé dans la bouteille d‘eau ? J’ai tout jeté, mais je me suis resservie un autre verre. Toujours au sujet de l’eau, il y a déjà quelques mois, la bouteille avait sa capsule bleue trouée au centre. Avant de renverser ma bouteille sur la fontaine, je nettoie toujours le dessus car ces bouteilles restent souvent à la poussière dans les « colmados » épiceries. Je passe un peu d’eau de javel.
Poncho a perdu les 1700 pesos donnés pour acheter le fil de fer barbelé en sortant son téléphone de sa poche de pantalon. Ce fameux pantalon qui lui a fait déjà perdre 250 pesos. Il a pourtant dit à sa femme de ne plus le laver, qu’il le garderait uniquement pour travailler dans les jardins. Lorsqu’il m’a appelée pour me dire qu’il les avait perdus, ma réaction a été : « laisse-tomber ». Fatiguée, j’étais prête à perdre 1700 pesos, mais il les a empruntés au boulanger pour qui il travaille. Aussi ai-je eu mon fil de fer barbelé mais Suzanna a fait la remarque suivante : « rembourser de l’argent dont on n’a même pas profité !! » en espérant que j’offre à Poncho de lui en donner la moitié comme je l’avais fait pour les deux bouteilles pleines d’eau qu’il avait laissé tomber de sa moto car il ne les avait pas attachées. Je lui en avais payé une sur les deux, à lui de rembourser l’autre car c’était bien de sa faute. Même si on est un bon motoconcho il faut bien assurer un minimum la charge que l’on porte.
Suzanna voulait être licenciée pour toucher son indemnité. Souvent elle me racontait que ça l’arrangerait qu’on soit mécontente de son travail et qu’on lui dise de partir. C’est ce qui s’est passé. Le motif invoqué par sa patronne où elle travaille le matin a été le manque d’argent car il n’y avait pas de touriste dans l’hôtel, donc elle n’avait pas besoin d’elle pour le moment. Mais, elle le lui aurait dit du jour au lendemain. Mais est-ce vrai ?
J’ai chargé Poncho, accompagné de Suzanna d’aller m’acheter mon réchaud à gaz et une bonbonne de gaz neuve. Ils sont revenus avec le réchaud neuf mais une bouteille d’occasion en me disant qu’elle paraissait vieille mais qu’elle était neuve ! J’ai fait semblant de gober le mensonge.
Mes doutes d’honnêteté se sont accumulés. Ils se sont peut-être mis d’accord pour que je me dégoûte du pays et que je m’en aille en leur laissant la charge de garder le terrain et les maisons de Dorian. Ils s’entendent comme larrons en foire, maintenant j’en suis sûre.
Toujours est-il que son travail de nettoyage n’a pas été concluant. Il a accepté de faire deux après-midis par semaine, mais au rythme où il allait, c’est pendant deux ans que j’aurais du le garder. Il n’a jamais apporté un seul outil, sauf une fois sa machette, et au lieu de travailler avec la tranche que j’ai pour aller plus vite, ou avec une machette large comme il me l’avait dit, il a continué à utiliser ma machette. Maintenant si Poncho se drogue aussi comme je le pense, je ne le garderai même pas comme motoconcho.
Petits faits insignifiants qui, accumulés avec d’autres, m’ont poussé finalement à me séparer à la fois de Suzanna et de Poncho. N’est-ce-pas ce qu’ils voulaient finalement ?
Pfff ! dirait Dorian ! que d’histoires qui n’en sont pas !
Le point positif de ces dernières semaines, c’est que lorsque j’étais malade, sans équilibre, sans force et dans un état d‘hébétude, ça m’a éclairé la maladie de ma mère sous un angle plus acceptable.
En effet, malade et faible, on se retrouve à la merci de n’importe qui. Ma mère a de la chance de se retrouver avec moi. Si je me trouvais à sa place, sans mémoire, ou sans force, je serais bien heureuse d’avoir près de moi quelqu’un d’honnête et suffisamment concerné pour se comporter avec assez de gentillesse à mon égard. Voir la maladie de ma mère m’a fait avancer un peu, mais me voir malade à mon tour m’a fait toucher du doigt que ma santé n’était peut-être pas éternelle.
Dire et écrire que le plus beau cadeau que l’on peut faire à ses enfants, c’est de se garder en bonne santé est une chose, mais être en bonne santé malgré tous les ennuis, déceptions et autres, est une autre chose. Alors pour que ma santé reste le plus longtemps possible bonne, il faut que je me nettoie de tout ce qui s’est passé et il faut que je garde un rythme de travail raisonnable.
J’ai bien vu hier après-midi : j’ai juste utilisé un peu ma machette pour nettoyer autour de la citerne, mais j’ai ressenti tout de suite une douleur dans le dos et dans la poitrine, alors j’ai arrêté. Je ne sais pas si c’est le cœur ou les reins, mais je n’ai pas continué.
On oublie vite lorsqu’on est guéri, dans quel état d’esprit on est quand on est malade. Pourtant, j’ai fait ma crise de calculs et c’était particulièrement douloureux et angoissant puisque je ne savais pas ce que c’était : crise cardiaque ou crise de calculs. La différence sans doute vient du fait que je vivais seule et que mon état d’esprit était bien plus calme que ces mois derniers.
Se sentir dépendante du premier voisin ou ami est une sensation désagréable. Elle m’a laissé un souvenir pénible et comme une dette envers Pierrot qui m’avait transportée d’urgence à Nagua à l’hôpital.
J’ai couché cette nuit encore dans la maison de ma mère. Je l’ai écouté parler. C’est évident que c’est l’esprit de sa mère qui parle. Sa conversation n’est pas si décousue qu’il y a un an. Elle dit souvent que ses enfants « sa famille » ne veulent plus la voir, qu’ils ne l’aiment plus, que ça ne vaut pas la peine qu’elle aille les voir et que d’ailleurs elle ne retrouverait pas le chemin, qu’ils ne sont plus dans la maison où elle était.
J’imagine l’esprit comme une eau savonneuse, avec plein de bulles qui se touchent, éclatent. L’air contenu dans une bulle peut se retrouver dans une bulle différente lorsque la paroi d’eau se rompt. L’eau des deux parois se mélange, ainsi que l’air des deux bulles pour n’en faire qu’une mais il y a en réalité deux parois d’eau et deux bulles d’air mélangées. C’est ce qui doit se passer pour ma mère et sa mère. Ce qui m’a fait douter au début que ce soit elle, c’est qu’elle parle patois dans ses moments-là, mais l’esprit c’est une chose et le langage c’est autre chose. L’esprit a la capacité d’utiliser le corps comme il le veut donc la barrière du langage n’existe plus. Sa mère est morte autour des 50 ans et il serait normal de penser qu’elle reste en esprit près de sa fille, la plus grande. Les parois de l’esprit de ma mère ont été abîmées par tous les médicaments anxiolytiques et calmants de tous ordres pris pendant trop d’années. Si elle est proche de sa fin de vie, l’esprit de sa mère l’attend pour se rapprocher d’elle et pour l’aider à passer de l’autre côté. J’espère que l’odeur de mort que j’ai sentie hier (la même odeur que celle sentie lors de la mort de mon chat Mimi) n’est pas le signe avant-coureur de sa mort prochaine.
Je vais aller voir si elle veut se lever aujourd’hui car je ne peux pas la laisser dormir toute la journée, même si c’était l’esprit de sa mère qui était présent ce matin.
Le même jour mais il est 7 h du soir passées
Je me suis réinstallée dans ma maison avec mon ordinateur sur mon ventre. Le chien est couché mais la chatte n’a pas voulu rentrer encore. Rafi, depuis hier, je lui ai mis sa chaîne. Plusieurs fois il est revenu en se léchant les babines et avec des odeurs de viande ou de poissons, donc j’en ai conclu que quelqu’un lui donne à manger, ce que je ne veux pas, car c’est ainsi qu’on empoisonne les chiens. Je l’empêche d’aller courir.
J’ai joué à la bataille, cet après-midi. En gagnant une bataille, elle a dit : « Je ne croyais pas avoir forcé autant ! » L’expression « mettre à la force » était utilisée dans un ancien jeu de cartes : l’aluette. Avec qui j’ai joué aux cartes ? Ma mère n’a jamais su jouer à autre chose qu’à la bataille, elle ne jouait pas à la belote non plus. Pour moi c’est une preuve que je joue physiquement avec ma mère, mais l’esprit qui la contrôle est sûrement sa mère. Elle est restée attentive tout le long du jeu, à part un ou deux moments d’hésitation, et elle ne se trompait que rarement pour savoir qui devait ramasser les cartes gagnées. Il ne lui reste plus qu’à mémoriser le « D » de dame et le « V » de valet. Ce sont les deux seules figures du jeu qui lui posent problème.
Là, je viens de vérifier qu’elle a bien éteint ses lampes. La chatte n’est pas venue elle a sans doute trop mangé du poulet de Rafi que je lui ai donné ce matin.
Il faut que je remette une ampoule sur le mur extérieur entre les deux maisons, je n’y pense jamais lorsque je descends à Las Galeras pourtant c’est bien un élément de sécurité. Ma chatte vient de rentrer. Il faut que je lui mette son petit pois de pommade dans les oreilles pour continuer le traitement de ses écorchures qu’elle a autour des yeux et sur la joue gauche.
Je viens d’entendre un cri bref mais je ne sais pas d’où ça vient. Mon comportement prouve que je sens encore une menace, même si ce n’est pas pour moi. Ou bien mes sens sont aiguisés au maximum, ou bien je suis réellement parano. Ne pas dormir pendant des heures entières n’est pas une habitude chez moi. Est-ce que le stress de ma vie ici depuis le mois de mai a détruit mon bienheureux sommeil ? Ou bien il se passe toujours quelque chose et ça perturbe mon sommeil ? Ça finira bien par se tasser tout ça. Maintenant je vais dormir.
Vendredi 11 novembre 2011
Depuis que j’ai licencié Suzanna et Poncho, les choses se sont calmées. Ma mère a un comportement presque normal maintenant. Bien sûr sa mémoire n’est pas intacte, mais ses moments d’énervement sont devenus rares. Son changement de personnalité se fait toujours aux alentours de midi et parfois l’après-midi. En quinze jours, elle s’est vraiment énervée deux ou trois fois, c’est peu mais ça doit pouvoir s’améliorer encore. Comme dit Anna-Maria qui fait des prières spéciales pour elle, « elle va continuer à s’améliorer jusqu’à redevenir normale, tu vas voir ! » Je n’en demande pas tant, mais j’ai besoin de calme pour continuer à m’occuper d’elle et maintenir un terrain à peu près propre autour des maisons.
Mais ma résistance faiblit. Lorsque le géomètre m’a annoncé aujourd’hui qu’il avait du finalement redéposer tous les papiers au Tribunal des Terres pour obtenir ces fameux titres individuels de chaque parcelle du terrain, j’ai eu envie de tout plaquer. J’ai du le dire à Dorian. Dans quel état il doit être maintenant ? Savoir que le titre des deux acheteurs des parcelles ne va pas sortir de sitôt, ça remet en question la date de la construction de la maison de l’un d’eux, donc une rentrée d’argent de moins pour Dorian, et peut-être une perte totale de confiance vis-à-vis de nous puisqu’on n’a pas réussi à avoir le titre comme c’était prévu dans les délais.
Comme pour me faire perdre totalement pied, c’est à ce moment-là que ma mère s’est détraquée. Elle n’était pas très stable ce matin, mais je pensais que ça s’était bien rétabli dans sa tête. A-t-elle ressentie mon découragement et ma colère ? Toujours est-il que j’ai laissé tomber la vaisselle que j’étais en train de faire et je me suis réfugiée dans mon lit en fermant la porte. Je me suis calmée et je suis revenue continuer ma vaisselle. Elle aussi était normale et j’ai pu finir en paix. Mais ce soir, lorsque je lui ai fait remarquer que les bananes jaunes ne se mangeaient pas comme ça, que ça donnait la diarrhée si on en mangeait trop, que si elle faisait caca partout, il faudrait bien le nettoyer, elle ne s’est pas démontée et m’a répondu du tac au tac qu’elle le nettoierait. Mais son humeur a changé à cause de ça.
Ce soir, en préparant le repas dans sa maison, je n’ai pas supporté de la voir énervée. J’ai récupéré mon chien et je suis rentrée chez moi et me suis couchée sur mon lit pour me calmer, en ayant bien la ferme intention de ne pas faire à manger. Je me suis relevée pour lui apporter quatre bananes en lui disant que j’allais au lit. Elle a compris que quelque chose ne tournait pas rond, elle s’est mise en colère bien sûr, mais je suis restée dans ma maison jusqu’à la nuit. Et elle, faisant les cent pas de sa maison à la mienne, et vice-versa. Je me suis sentie coupable de ne pas lui faire à manger, alors je me suis relevée et je suis allée faire cuire des pâtes dans sa maison que j’ai mangées avec elle, mais en faisant une gueule pas possible, que même moi en me regardant dans la glace ça me faisait peur ! Quand on a eu fini de manger, sans problème, j’ai pu m’en aller, elle était tout à fait calme et m’a souhaité une bonne nuit.
Je suis revenue dans ma maison, ai mangé trois chocolats en me disant « tant pis pour mes calculs ! » et j’ai ressenti le besoin d’écrire pour vider tout ce que j’encaisse.
J’encaisse ! Jusqu’à quand je vais encaisser comme ça ? Quel est le but de tout ça ? Y-a-il un but ? Ne suis-je pas malade moi-même d’avoir choisi de garder ma mère alors que l’on sait que ces malades épuisent ceux qui les gardent ? S’il y a un but, je récolterai les fruits de cette souffrance. Si je meure avant ma mère d’épuisement tous les efforts que j’ai faits ne serviront à rien puisqu’elle finira sa vie dans une maison de retraite ou dans un asile de fous. Justement ce que ni David ni moi ne voulions. Alors ? Où est la solution ? Y-a-t-il une solution ? Toute situation doit pouvoir se dénouer pourtant.
Pourtant, elle a vraiment changé, donc c’est moi qui ai trop encaissé depuis un an et demi pour que je sois dans cet état-là. Mes nerfs sont épuisés. Il suffit d’un rien pour que je sente encore ces bouffées d’exaspération m’envahir. Je me contrôle. Je sais que c’est passager, qu’il suffit que je prenne conscience de ce changement d’humeur pour qu’il s’évanouisse comme il est venu. Parfois, j’y réussi, parfois la colère est plus forte que mon contrôle, comme aujourd’hui.
J’ai constaté par contre que vis-à-vis de Capricio la jument, je ne me mets pas en colère, pourtant il y aurait de quoi. J’ai fermé autour des maisons pour qu’elle ne vienne plus manger l’herbe la nuit. Elle faisait trop de bruit. Mais elle a trouvé un autre passage. Alors, aujourd’hui j’ai fermé le premier passage mais elle en a trouvé un autre. J’ai fermé le deuxième passage. Tout ça, sans énervement, calmement, en la remettant dehors du terrain à chaque fois. Pauvre Capricio ! Elle est devenue toute maigre. Je pensais que c’était parce qu’elle allaitait le petit Mango, mais non, elle n’a pas assez d’herbe à manger apparemment, donc il me faudra bien me résoudre à lui acheter les sacs d’aliments à plus de mille pesos le sac, plus le maïs pour qu’elle reprenne des forces, ça va pesait sur le budget. Mais, c’est ça, ou bien je la redonne à son ancien propriétaire et elle va se retrouver encore enceinte, encore à travailler avec des charges pas possible. Elle a droit elle aussi à une retraite heureuse. Comme moi d’ailleurs !
Suis-je heureuse ? En ce moment non ! J’encaisse trop ! Je me bats contre trop de choses à la fois ! Il va falloir que ça s’arrête. Aujourd’hui, lorsque Dorian m’a envoyé un message en me disant qu’il était en train de traiter avec la mère de son fils pour le garder un mois en Février, j’étais très contente et je me suis dit que, peut-être, Dorian pourrait passer la moitié de l’année ici avec lui, et l’autre moitié la passer en France. Mais c’est sans doute un rêve. Que dirait Myrtille ? Dorian a-t-il vraiment envie de vivre ici ? Erel pourrait aller à l’école française privée de Las Galeras ou prendre ces cours par correspondance qui sont d’un bon niveau. J’ai pensé ça parce que je ne me sens plus capable de me battre sur tous les fronts comme je le lui ai dit l’autre jour dans un message.
Chaque pensée mène à l’action ;
L’action ne se perd jamais, son résultat non plus ;
Tout s’accumule quelque part en nous
Et nous survit bien après notre mort physique.
Comment expliquer cette alchimie des pensées ?
Est-ce une graine spirituelle que l’on sème ?
Ne demandant qu’à germer puisque c’est sa nature ;
Mais d’où vient la pluie qui lui donne la force de grandir ?
Nos larmes, notre sueur, notre salive, notre urine ?
Où donc sont stockées toutes ces graines ?
Dans le canal central, dans notre cerveau, dans notre sang ?
Ou bien en dehors de notre corps physique ?
Qui répondra à toutes mes questions ?
Est-ce utile de savoir tout cela ?
Serais-je différente si je savais ?
Dimanche 13 novembre 2011
C’est l’anniversaire de Dorian aujourd’hui – 42 ans ! - je viens de lui envoyer un message, mais s’il ne m’en avait pas envoyé un avant, est-ce-que j’y aurais pensé ? J’en oublie même la date du jour que l’on est ! Et la date de naissance de son fils, ça ne peut pas s’oublier, sauf si le cerveau est fatigué ou tellement obstrué par autre chose que rien n’est à sa place. Quelle est la norme du cerveau ? De se rappeler tout ce qui s’est passé depuis qu’on est sur terre ?
Ma mère est dans son autre monde. Elle parle avec l’autre personne et n’est pas sûre que je sois sa fille. J’en ai marre je n’ai pas envie de faire la vaisselle, pourtant ce n’est pas sans besoin. Il y a le linge à laver sur la machine à laver mais c’est trop tard pour s’y mettre. Je sais qu’elle peut se détraquer encore un peu, elle cherche sa famille. Je me réfugie dans ma maison et je la laisse seule dehors jusqu’à ce qu’elle retrouve son calme si elle le retrouve aujourd’hui. Mais je n’ai pas la force d’essayer de la calmer.
Même jour à la nuit tombée
Quand j’étais dans mon lit, j’ai pris le livre de Sogyal Rinpoché en lui demandant mentalement que le livre s’ouvre à la bonne page pour m’aider à continuer à affronter ma vie de tous les jours. Voici le résultat :
J’ai ouvert le livre à la page 136-137 et j’ai lu la fin du paragraphe intitulé « le karma » et celui traitant de la bienveillance. Ces quelques lignes, que je me dois de recopier, ont eu un effet immédiat sur moi : « Ce que vous êtes est ce que vous avez été » disait le Bouddha ; « ce que vous serez est ce que vous faites maintenant »…..
J’ai continué ma lecture jusqu’à la fin du paragraphe sur la bienveillance avec l’exemple de cette vieille mendiante qui a offert une lampe à huile au Bouddha avec une telle ferveur que l’huile a continué de brûler alors que les autres lampes s’éteignaient. Un assistant du Bouddha tenta de l’éteindre mais en vain. Le Bouddha lui expliqua que le cœur et l’esprit purs ajoutés à la ferveur avec laquelle cette lampe avait été offerte l’avait rendu extrêmement bénéfique.
« C’est donc notre motivation, bonne ou mauvaise, qui détermine le fruit de nos actions ». Shantideva disait :
L’origine de toute joie en ce monde
Est la quête du bonheur d’autrui ;
L’origine de toute souffrance en ce monde
Est la quête de mon propre bonheur. »
La loi du karma est inéluctable et infaillible, c’est à nous-mêmes que nous nuisons lorsque nous faisons du mal aux autres, et c’est à nous-mêmes que nous assurons un bonheur futur lorsque nous donnons aux autres du bonheur. Le Dalaï-Lama dit :
« Si vous essayez de réfréner vos motivations égoïstes – colère et autres – et développez davantage de bienveillance et de compassion envers autrui, c’est vous en définitive qui en bénéficierez. Je dis parfois que telle devrait être la pratique d’un égoïste sage. Un égoïste stupide ne pense qu’à lui-même, et cela ne lui est d’aucun profit. L’égoïste sage pense aux autres, les aide autant qu’il le peut et, en conséquence, reçoit lui aussi des bienfaits. »
La croyance en la réincarnation nous montre qu’il existe bien dans l’univers une certaine forme de justice ou de bonté ultime. C’est cette bonté que nous nous efforçons tous de découvrir et de libérer en nous. Chaque acte positif nous en rapproche, chaque acte négatif la masque et l’entrave. Chaque fois que nous ne parvenons pas à l’exprimer dans notre vie et dans nos actes, nous nous sentons malheureux et frustrés…… Pratiquez la bonté, maintenez-la vivante. « Il n’est nul besoin de temples dit le Dalaï-Lama ; nul besoin d’une philosophie compliquée. Notre cerveau, notre cœur sont notre temple ; ma philosophie, c’est la bonté. »…..
Toute chose étant par nature impermanente, fluide et interdépendante, notre mode de pensée et nos actions modifient inévitablement l’avenir. Toute situation, aussi désespérée ou insupportable soit-elle – comme par exemple une maladie incurable – peut être utilisée pour progresser.
Lorsque je suis arrivée à cette dernière phrase, toute mon énergie et mon calme étaient revenus. J’ai compris le besoin qu’ont les personnes croyantes d’ouvrir leur bible ou leur coran pour y puiser force et sérénité. Je crois qu’à force de lire et de m’imprégner de ce livre « Le livre tibétain de la vie et de la mort » il s’est produit un changement en profondeur dans mon esprit. Comment expliquer sinon ce retournement de situation quasi instantané ? Un quart d’heure de lecture qui colle comme par magie à la situation présente, et voilà tous mes doutes, mes douleurs et ma mauvaise humeur balayés ! Ce n’est pas la première fois que ce fait se produit, mais aujourd’hui il m’a touché plus que d’habitude.
Je me suis relevée, je suis allée voir ma mère, lui ai demandé si elle voulait bien m’aider à faire la vaisselle et la journée a repris un cours quasi normal. Elle n’est pas restée longtemps tranquille, mais moi j’ai continué sans stress, sans lassitude mon travail et elle n’a pas fait de difficultés pour rester seule dans sa maison.
Sagesse et sérénité seront sans doute au rendez-vous si je continue sur ce chemin. Ce seront peut-être les fruits de mes actions présentes. En tous cas, mes faiblesses de ces dernières semaines me paraissent bien terminées.
Un détail qu’il me faut noter : lorsque le matin ma mère se peigne devant sa glace, je m’aperçois que le visage que je vois dans la glace est différent de son visage. Je m’explique : le reflet dans la glace ne ressemble pas tout à fait à ma mère. Ou bien la glace est déformante, ou bien l’esprit de sa mère est tellement présent qu’il déforme son visage. Comment savoir si c’est pure imagination de ma part ? Je vais prendre en photo son reflet et son visage. Demain sera un autre jour ! Si Dios quiere !
Jeudi 17 novembre 2011
Aujourd’hui, journée difficile mais pas à cause de ma mère. Elle est tranquille, même si elle part dans son monde une partie de la journée. La surprise est venue du dernier acheteur. Il a signé un contrat de construction avec Dorian, et avant de repartir du pays, il a signé avec un constructeur ici, avec le maître d’œuvre avec qui nous avons eu les problèmes, sans rien dire, ni à mon fils, ni à moi.
Ce matin je vois débarquer un gars, que je connais, venu nettoyer le terrain en question pour qu’ils puissent y déposer les matériaux pour la construction de la maison. Je demande qui est le maître d’œuvre ? Il me dit « N…» avec un peu d’hésitation et quand je lui redemande qui ? Il me dit enfin, Norberto et Bibo. Là j’ai compris.
Lorsque je suis allée retirer de l’argent à la banque lundi matin, j’ai vu l’acheteur en grande discussion avec le banquier. J’ai vu Bibo tout content, accompagné par un autre gars que je n’ai pas reconnu mais qui semblait me connaître. Bref, tout ce petit monde était en train de signer avec l’acheteur de Dorian.
J’ai appelé l’acheteur, et il ne m’a rien expliqué du tout, seulement qu’il devait parler à mon fils. J’ai compris qu’il était en train de lui faire un petit dans le dos. J’appelle Dorian pour qu’il éclaircisse ça au plus vite car ça ne sert à rien d’attendre. Je refuse que le gars nettoie le terrain et il s’en va. Je m’attends à voir débarquer Bibo. Et il débarque avec le constructeur, accompagné du gars que j’ai vu lundi. Ils viennent pour faire le relevé du terrain pour implanter la future maison de leur client !
Je refuse bien sûr en expliquant que leur client a déjà signé une construction avec mon fils, et que cette signature doit s’annuler avant de permettre quoi que ce soit sur le terrain. Je glisse également que Dorian n’a pas encaissé tout l’argent du terrain, qu’il y en a une partie chez l’avocat et qu’en plus, comme il change d’avis au sujet de la construction, il doit un dédommagement à mon fils.
Dorian est déçu et certainement découragé de voir disparaître ainsi une rentrée d’argent. Mais moi je suis soulagée de savoir que ce n’est pas lui qui va avoir les ennuis de la construction. Mieux vaut perdre de l’argent que sa santé.
C’est quoi ce bruit ? Un bruit d’une barre de fer qu’on lance quelque part. J’y vais voir….Ce doit être chez les voisins. Du moins je l’espère; car je sais que Bibo est capable de venir sur le terrain sans ma permission pour venir implanter la future maison. Mais de nuit ! Ça serait quand même étonnant ! Pourtant je me souviens que la première année que j’étais là, il y a eu un camion qui est arrivé à 5 h du matin pour me voler mes pierres à l’entrée du terrain ! Je suis allée, en chemise de nuit, leur dire de déguerpir; ils ont été très surpris, mais ils sont partis sans demander leurs restes !
Vers la fin de l’après-midi, voilà Poncho qui débarque pour nettoyer lui aussi le terrain ! Je le mets dehors gentiment en le remerciant de son travail auprès de l’acheteur, car grâce à lui, je suis soulagée de savoir que ce n’est pas Dorian qui va faire la construction. Il se défend bien sûr d’y être pour quelque chose ! Il a une allure et une tête bizarre, je suis sûre qu’il se shoote.
Je me demande si on ne ferait pas mieux d’annuler la vente purement et simplement. Avoir un voisin d’aussi mauvaise foi, c’est pas encourageant !
Dorian s’inquiète pour notre tranquillité. Mais, de toute façon, Bibo ou pas, qui dit construction, dit au-revoir la tranquillité !
Je reconnais que mon sang n’a fait qu’un tour lorsque j’ai vu à ma porte le constructeur, mais je me suis vite reprise. Quand j’ai vu Poncho, j’ai failli m’énerver aussi, mais finalement j’ai discuté normalement.
J’en conclus que mon état nerveux s’est amélioré et ce matin, lorsque je suis allée ouvrir la porte de ma mère pour faire le petit-déjeuner, elle a fait semblant de dormir, puis s’est levée, m’a regardée d’un air très fâché et j’ai éclaté de rire car j’avais l’impression que c’était du théâtre ! Mais elle n’a pas ri, elle m’a dit : « qui c’est qui vient faire du bruit et réveiller les gens qui dorment ? » Ce soir, lorsqu’elle m’a dit que j’étais sa mère, j’ai aussi ri et lui a expliqué, que si j’étais sa mère, je devais avoir plus de 100 ans, puisqu’elle avait 85 ans. Mais elle est restée dans son monde ; je n’ai pas insisté. Finalement ça fait une journée bien remplie, entrecoupée de quelques nettoyages par-ci par-là, en plus du linge et de la vaisselle.
L’univers s’organise selon nos pensées. Je ne voulais pas que Dorian vive une construction ici à cause de tous les problèmes qu’il aurait forcément rencontrés. C’est chose faite. Il faut que l’univers s’organise maintenant pour que ma mère garde la tranquillité qu’elle montre en ce moment. Cela me permet de vivre quasi normalement. Il faut que l’univers s’organise pour que Dorian vienne vivre ici une partie de l’année avec sa femme et son fils. Il faut que l’univers s’organise pour que mon frère vienne ici en début d’année pour acheter une parcelle du terrain et y faire une petite maison (que Dorian fera) et comme ça, les ventes pourront continuer. Mon frère se plaira ici, il pourra s’amuser avec ses copines et vivre une retraite comme un riche. Une partie de l’année en Corse et l’autre partie ici pour s’amuser et profiter du climat et du pays.
Voila ce que je dois demander à l’univers, il m’a déjà exaucée en partie, je dois continuer de visualiser tout ce que je demande. Pour l’instant, je demande le sommeil.
Vendredi 18 novembre 2011
Journée tranquille bien qu’à 8 heures du matin le constructeur de l’acheteur m’ait appelée pour me dire que les matériaux étaient achetés et qu’il allait venir me rendre visite. J’ai refusé poliment sa visite et j’ai confirmé que tant que tout n’est pas clair entre Dorian et son client et l’avocat, je ne permettrai à personne de franchir la porte pour faire quoi que ce soit. Il n’a pas insisté. Je me suis sentie très fatiguée toute la journée. Je pense que j’ai le contrecoup de la journée d’hier. Pas à cause du travail que j’ai fait, mais certainement de la trahison de l’acheteur qui n’a pas respecté son engagement vis-à-vis de Dorian et des visites énervantes.
En tous cas, je ne me suis énervée à aucun moment. Ma mère s’est un peu déréglée juste avant le repas du soir. Mais c’est rentré dans l’ordre. L’électricité s’est coupée deux fois, puis est revenue. J’étais en train de me doucher quand la troisième coupure est arrivée. Là, je savais qu’il fallait que je retourne dans sa maison pour la tranquilliser. J’en reviens. J’ai réussi à la faire déshabiller avec la lanterne de mon téléphone. Mais quand j’ai refermé la porte elle était dans tous ses états. Elle a fait un peu de bruit et puis s’est calmée. Elle doit être dans son lit maintenant puisque je n’entends plus rien.
C’est vrai que les coupures d’électricité, même s’il n’y en a pas beaucoup, c’est quelque chose qu’elle ne peut pas comprendre. Elle pense que c’est quelqu’un qui a éteint. J’ai eu beau lui expliquer que c’était une coupure, que dans ma maison non plus, il n’y en avait pas, chez les voisins non plus, mais ça ne passe la barrière de son entendement. Ce qui me conforte dans le fait qu’il faut vivre avec le rythme du soleil : il fait jour, on se lève, il fait nuit on va au lit. Point barre ! Donc comme le soleil se couche en ce moment à six heures et demie, il faut qu’à six heures on ait fini de manger pour qu’elle soit dans sa maison fermée avant la nuit.
C’est un peu ce qu’on fait, mais c’est vrai qu’avec l’électricité, il m’est arrivé souvent de rentrer dans ma maison la nuit tombée. J’ai pris l’habitude d’allumer ma maison avant qu’il ne fasse nuit pour y voir un peu puisque je n’ai pas encore réparé la lumière de ma terrasse. Il faudra bien que je le fasse, comme l’interrupteur double que je n’ai pas su installer ce qui empêche d’utiliser le chauffe-eau. Donc je fais chauffer de l’eau parfois pour la rincer, sinon je lui rince le bas avec l’eau froide et je l’essuie en haut sans la rincer. Le savon Dermofull liquide s’utilise aussi comme ça, sans avoir besoin de rincer puisqu’il est antibactérien.
Bref, cassée je suis, mais les nerfs en meilleure santé et le moral qui remonte à vitesse grand V.
L’univers va me préparer le terrain comme je le souhaite : Dorian ici, ma mère calme, mon frère qui achète une parcelle ; Dorian lui fait une petite maison et les ventes qui continuent.
J’ai mal au dos. Je vais éteindre mon ordinateur et dormir.
MA VIE PLEURE
Comme une entaille dans un résineux,
Chaude et salée coule ma sève :
Ma vie pleure à chaudes larmes invisibles.
« Pourquoi pleures-tu ? demande le résineux
Rien ne sert de pleurer, colle ta joue contre mon écorce
Ecoute ma sève : c’est un doux saignement.
Ma vie coule : c’est la saveur du don de soi »
Une éraflure sur le satin de ma peau fait perler
Trois gouttes de sang chaudes et veloutées :
La compassion, la patience et le don de mes jours.
Ma vie pleure pour qu’une autre rie.
Si le don s’accompagne de larmes,
Si le dévouement chevauche la douleur,
Si la compassion rencontre l’indifférence,
Si ma vie ne sert qu’à combler le vide de la sienne,
Ai-je raison de continuer à souffrir ?
Samedi 19 novembre 2011
Dorian m’a appelée et j’ai vidé mon sac au sujet non seulement de l’acheteur indélicat et du maître d’œuvre charlatan, mais aussi de Suzanna et de Poncho. Je ne sais pas si j’ai bien fait. Dorian finalement doit savoir les risques qu’il y a ici. Le risque de perdre son terrain même s’il a les papiers en règle, le risque de se faire tuer proprement, sans trace, le risque de se faire voler sans arrêt, uniquement parce que certaines personnes sont accrocs à la drogue. Donc à chaque fois qu’on a besoin de quelqu’un pour faire un travail ça devient un casse-tête pour trouver quelqu’un de sain qui veut bien travailler.
Il y a quelques années déjà les Dominicains me disaient qu’un jour, il n’y aurait plus aucun dominicain pour travailler avec une machette parce que le niveau de vie change, même si ce niveau change à cause de l’argent de la drogue, il change et comme il est plus facile de vendre de la merde que de passer un mois à travailler sous le soleil ou sous la pluie, il devient très difficile de trouver un travailleur normal. Il reste les Haïtiens qui, eux, se font exploiter par les Dominicains. Le Dominicain cherche un Haïtien, il lui donne trois francs six sous et le reste est pour lui. Il n’aura pas levé le petit doigt, sauf pour avoir trouver l’étranger qui a besoin d’un travailleur et le tour est joué ! Ça m’est arrivé plusieurs fois déjà.
C’est une nouvelle donne. Ce n’est plus le Las Galeras d’il y a une dizaine d’années : il y a de plus en plus d’étrangers qui sont arrivés, il y a de plus en plus de prostitution et de drogue. Dans chaque famille dominicaine il y a quelqu’un qui touche de près ou de loin à ce monde. Soit, il vend, soit il consomme, soit les deux à la fois, mais la réalité c’est que l’argent sale circule et monte des hôtels et des commerces. Ceux qui trouvent du travail dans ces endroits sont bien contents de travailler et s’en foutent royalement de savoir que c’est la drogue qui leur permet de survivre.
Suzanna m’a dit un jour très sérieusement : « quand on est pauvre, il n’y a que deux façons de s’en sortir : la prostitution ou la drogue ! » Voilà, ni plus ni moins. Ce monde, les étrangers sains le découvrent seulement lorsqu’ils vivent ici suffisamment longtemps. De prime abord, c’est la beauté des paysages, le climat, la gentillesse des gens que l’on reçoit. Tout ça cohabite et selon le caractère que l’on a, ou on l’accepte, ou l’on s’en va.
L’accepter, ça veut dire continuer à respecter tout le monde, drogué, prostitué ou pas. Respecter, ça veut dire comprendre que la façon de vivre d’un drogué ou d’un prostitué est forcément différente de la sienne et que toutes leurs actions bonnes ou mauvaises sont sous-tendues par leurs vices et leur éducation.
Dorian me parlait de vite vendre et de changer de pays, par exemple, aller à la Dominique où je suis restée trois semaines avant de venir ici en 2000. Mais le problème est le même, la drogue est même plus présente qu’ici ! Je crois que changer de pays n’est pas la solution. On peut vivre ici tranquille, il suffit de s’éloigner des gens dangereux. L’équilibre est difficile à trouver bien sûr, car, comment entretenir une propriété sans aide extérieure ? La seule façon, ce serait que nous-mêmes nous puissions faire l’entretien du terrain, tout en y habitant, et attendre que les acheteurs achètent. C’est pourquoi je pense que Dorian doit venir ici car moi toute seule, je ne peux pas faire face au nettoyage du terrain. Je vieillis, même si mes forces sont encore bonnes et le temps que je passe avec ma mère et sa maison, je ne le passe plus dehors comme avant.
En tous cas, de lui avoir dit ce que j’avais sur le cœur m’a fait du bien. J’ai bien senti qu’il avait été déstabilisé lorsque je lui ai avoué que mon problème de santé n’était pas une histoire de tension, mais un empoisonnement. Mais la vérité vaut mieux qu’un mensonge, même si ce mensonge doit ménager le confort de l’autre. Mon fils a 42 ans, c’est un homme, il est capable de supporter ce genre de vérités L’histoire de cet acheteur est arrivée à point nommé pour que Dorian prenne conscience de ce qui se passe réellement ici. La mauvaise foi de ce client m’a permis de lâcher le morceau à Dorian
.
Je verrai bien quelle sera la prochaine étape. A chaque jour suffit sa peine !
Mercredi 23 novembre 2011
Il est presque 10 h du matin. Je viens de finir de nettoyer sa maison. Elle avait fait ses besoins au pied de son lit et avait utilisé le drap de dessus pour essayer de nettoyer. Le matelas en a pris un peu aussi. Hier soir, quand j’ai fermé sa porte elle était encore dans son monde, elle ne s’est même pas rendu compte une bonne partie de la journée que j’étais là. Depuis trois jours elle a mal au dos quand elle essaie de se lever d’une chaise. Elle a du se faire mal il y a quatre jours quand elle était en colère et qu’elle sautait les marches d’escalier de l’entrée de ma maison. A 85 ans, sauter et courir comme elle le fait dans ces moments-là met à rude épreuve son corps.
Depuis elle marche moins vite, se plie un peu en deux et je lui demande de se redresser sans arrêt, mais rien n’y fait. J’ai eu du mal à la reconnecter à notre monde toute la journée depuis deux jours. Aujourd’hui, elle est encore dans son monde, et elle a refusé de manger sa banane, ce qui est un signe que ça ne va vraiment pas, car c’est certainement la chose qu’elle aime le plus, avec le sucre. Mais j’ai supprimé le sucre depuis plusieurs semaines maintenant. On boit le café avec un peu de chocolat en poudre ou avec un peu de lait en poudre et ça remplace le sucre. Quand je fais un dessert, j’utilise le chocolat et le lait. Si sa fonction olfactive est revenue, je pense qu’elle a perdu un peu du goût. Elle a pris l’habitude de dire depuis très longtemps que tout est bon, « tout ce qu’on mange, tout est bon ! ». Malgré ça, un jour, elle a trouvé la nourriture fade, et c’était vrai, ça n’avait pas grand goût ce jour-là, ce qui me fait dire qu’elle a encore la notion du goût.
Enfermée dans son monde, moi dans le mien, on cohabite cahin-caha. Je n’ai pas le courage de me mettre à laver car j’ai mal à mon bras gauche au niveau de l’épaule lorsque je lève le bras depuis hier. J’ai du trop forcé sur ce bras en étendant un peu de grave ou en coupant quelques branches. Pourtant hier, j’ai travaillé plus d’une heure et je n’avais pas mal. Je me repose donc, je ne suis même pas encore habillée ni lavée. J’ai bien envie de continuer le nettoyage dans le terrain du bas, mais je sais que ce n’est pas une bonne idée. J’ai appris avec le temps qu’il ne faut pas insister quand on a mal quelque part, il faut savoir s’arrêter sinon c’est provoquer volontairement un problème de santé pour se donner une bonne raison d’être malade pour sortir d’une situation difficile ou insupportable.
Insupportable je pensais, hier, que ma situation l’était. Pourtant qu’est-ce-que je fais ? Je supporte. Alors ce n’est pas si insupportable que ça, sinon il y a longtemps que j’aurais tout envoyé valsé ! Le terrain, ma mère, la jument, les gens de mauvaise foi ! Et je suis toujours là, avec des hauts et des bas.
Ces derniers mois, il semble qu’il y ait plus de bas que de hauts, mais ce n’est que passager. Je sais bien que l’esprit se remet à un son niveau normal, quoi qu’il nous arrive. Et ce qui semble anormal, devient la norme finalement avec le temps. Il m’apparaît normal maintenant de m’occuper de ma mère, de m’occuper du terrain avec les forces que j’ai, même si elles ont décliné un peu, de m’occuper de suivre le travail du géomètre et de notre avocat par téléphone. Eux aussi ils m’usent ! Je devrais leur décompter l’argent que j’ai dépensé au téléphone pour les relancer sans arrêt.
Maintenant si ma mère continue à avoir mal au dos et à rester enfermée dans son monde, sans savoir qui je suis et à refuser de manger, là j’aurai un autre problème. Je le gérerai sans doute aussi et son nouveau comportement modifiera encore une fois mon mode de vie. A chaque jour suffit sa peine !
Même jour mais le soir
Une journée un peu trop remplie je crois. Heureusement ma mère s’est reconnectée à notre monde juste un peu avant que Fele ne m’apporte des bananes jaunes. Il était 11 h et demie. Ensuite j’ai fait le repas (pommes de terre sautées avec deux bananes jaunes frites) et une banane comme dessert ; ensuite un café sucré avec un peu de lait en poudre et un peu de chocolat en poudre (j’avais envie de sucre).
Le géomètre m’a appelée pour me dire qu’on aurait la réponse du cadastre pour le travail qu’il a déposé, qu’en principe c’est bon, mais qu’on ne sait jamais ! Je voulais envoyer un message à Dorian pour le mettre au courant, mais j’attendrai vendredi (si j’ai la réponse ce jour-là). Savoir qu’il faut tout recommencer, déjà c’est dur à avaler, mais si par malheur les mesures ne sont pas bonnes, qu’il faille tout remesurer, là je crois que tout le monde va péter les plombs ! Mais ça n’arrivera pas !
J’ai voulu me reposer dans le deuxième lit de sa maison, mais elle n’arrêtait pas de parler et de bouger, donc je suis allée terminer les lessives qui m’attendaient sagement dans ma salle de bains. Les draps de ce matin plus le dessus de lit, plus le reste de linge que j’avais laissé dans la machine. Finalement je n’ai pas arrêté avant trois heures et demie. Enfin, je me suis donnée un peu de repos dans le hamac et on a mangé le reste du petit déjeuner que j’avais fait en trop grande quantité : riz au lait mélangé avec un reste de semoule au chocolat.
Je suis descendue voir le terrain du bas. Le travail qui reste à faire est impressionnant si on regarde vite fait, mais il y a des endroits faciles à nettoyer surtout après une bonne pluie, ce sont des herbes qu’il suffit d’arracher. D’accord, y en a beaucoup ! Le gros morceau sera le rocher et les arbres (les fameux faux flamboyants aux graines toxiques) qui ont poussé et que j’ai commencé à couper, mais il reste les souches. Il faudra que je les tue avec le produit toxique sinon tout repousse encore plus ! Et puis il a fallu bien sûr rentrer tout le linge, le sec et le pas sec ! Là, j’ai commencé à sentir un énervement arriver. Je suis allée faire son lit et j’ai entendu qu’elle commençait à partir dans son monde. J’ai dit très fort « Non ! » ça lui a fait peur : ça l’a reconnectée et elle est venue me proposer son aide pour finir le lit. J’ai refusé car ça me donne deux fois plus de travail. Ensuite, je me suis sentie épuisée, je me suis presque jetée sur le deuxième lit et elle m’a dit : « t’as raison, à force de marcher tu peux être fatiguée ! »
La jument est remontée du terrain du bas, je suis allée arracher quelques herbes qu’elle aime qui poussent dans la partie du garage où je brûle mes poubelles maintenant. Elle a eu l’air d’apprécier, mais depuis que je lui donne les aliments (destinés aux poules pondeuses !) elle ne veut presque plus manger les peaux des fruits et des légumes que je lui donne. Pourtant, les peaux des bananes fruits et des bananes jaunes, elle adore ça ! Les aliments doivent comporter beaucoup trop de sucre, alors elle devient accroc au sucre. Il faut que je regarde la composition de ces granulés. Je ne rachèterai pas d’autre sac, c’est de l’argent perdu. Il vaut mieux faire l’effort de l’acheter à Samana où ils vendent vraiment des produits pour les chevaux. Mais comment je peux aller à Samana ? Je n’ai pas confiance dans ma voiture et si j’y vais, ça veut dire que je dois laisser ma mère enfermée dans sa maison combien d’heures ? Comme je n’ai pas envie d’appeler qui que ce soit pour venir la garder, je trouverai bien une autre solution : soit je demande au nouveau commerce de la voisine d’Anna-Maria de m’acheter un vrai sac d’aliments pour chevaux, ou bien le mari d’Anna-Maria ira me l’acheter à Samana (s’il y en a !)
Il est 7 h et demie et je l’entends parler. Elle a du basculer dans son monde avec l’autre personne. Pourvu que ça ne dure pas trop longtemps. Elle a encore du mal à se lever de sa chaise. Elle a mal à la base de la colonne vertébrale, comme une sciatique sans doute. Ça ne l’a pas empêchée aujourd’hui pourtant de ramasser une bonne partie des feuilles du gri-gri, comme elle le faisait aux Fieux. Mais quand elle se relevait, elle faisait la grimace. Elle a marché doucement et a fait très attention où elle mettait les pieds. Je vais appeler Karmen demain, peut-être qu’avec des « patchs » comme se pose Anna-Maria ça passera.
Lorsque Feliz a été parti j’ai envoyé un message à Dorian pour lui dire que la maison des deux Italiennes (dont Feliz est le gardien) est en vente. Il pourrait l’acheter, trouver un travail à l’hôtel en face pour lui ou pour Myrtille, ou pour les deux et faire sa vie ici. Il ne m’a pas répondu. Ça doit lui paraître irréalisable.
Et puis, la maison, je ne sais pas combien elles en veulent. Je devrais dire combien elle en veut, car il ne reste plus qu’une propriétaire, l’autre Italienne est morte il y a peu. Je ne connais pas l’intérieur de la maison, mais Feliz m’a dit que c’était deux maisons en une. Genre studio jumelé, car de l’extérieur, ça ne parait pas très grand. Mais chaque pièce a deux lits, donc ce n’est peut-être pas si petit que ça.
L’univers doit s’organiser pour que Dorian arrive ici.
Fin de la journée la nuit m’attend. Mon chien dort déjà, Mimine est partie chasser et la couleuvre verte doit être fâchée après moi car je l’ai empêché de manger une grosse grenouille qu’elle tenait dans sa gueule. J’ai eu le temps de prendre une photo. C’est le cri de la grenouille qui m’a alertée. La couleuvre avait sa gueule entre la patte arrière gauche et le petit cul de la grenouille. Pauvre grenouille ! Je l’ai attrapée, l’ai mise là où je fais mes semis sur ma terrasse. Elle a gonflé son ventre, elle fermait les yeux, j’ai bien cru qu’elle allait mourir. J’ai récité doucement « Om mani pemé houng » et j’ai attendu. Comme elle était sur une feuille d’ananas, je lui ai mis une feuille douce d’un des arbustes sous son ventre et ses pattes. Puis elle a bougé, elle a dégonflé son ventre. J’ai empêché Rafi de la déranger et lorsque je me suis absentée un petit moment, elle est partie. J’espère que sa patte va guérir car elle saignait un peu.
Vendredi 25 novembre 2011
Il est 4 h et demie de l’après-midi. La matinée a été chargée, c’est le moins qu’on puisse dire !
Cinq gars sont entrés sur la parcelle vendue en passant par le terrain de mes voisins et en enjambant les fils de fer barbelés, équipés tous d’une machette. Je les ai stoppés net bien sûr. Encore une fois il m’a fallu les mettre dehors. Je me suis énervée un peu, suffisamment pour que mes mains tremblent. J’en ai pris conscience, je me suis calmée et j’ai demandé que le constructeur m’envoie ou vienne m’apporter l’ordre écrit du propriétaire du terrain. Le constructeur m’a fait parvenir un courrier écrit de sa main me disant qu’il avait l’accord téléphonique. J’ai laissé nettoyé le terrain en leur disant quand même que cinq hommes pour nettoyer moins d’une « tarea » 623 m2, c’est du vol ! Ils m’ont répondu que le propriétaire avait de l’argent alors que c’était normal de le faire payer ce prix-là !
Feliz est venu m’apporter un petit régime de bananes en même temps, ça tombait bien car on avait fini l’autre régime.
Eliana et Angel sont montés me voir, je me suis assise et j’ai apprécié leur compagnie. A 11 h je me suis mise à faire le repas, entrecoupé par les coups de fil de Dorian qui m’a appris que son acheteur sans parole avait changé d’avis au sujet de la construction de la maison. Il a décidé de ne rien faire sur le terrain, qu’il avait l’intention d’en acheter un autre.
C’est une très bonne nouvelle et par précaution, j’ai appelé le constructeur pour savoir s’il était au courant. Oui m’a-t-il répondu et il ne comprenait pas pourquoi. Le résultat, c’est que le terrain est nettoyé, ils ont coupé trois citronniers, et tous les calebassiers, même celui de l’entrée qui était sur la bordure, ils ont déterré le gros aloès-vera en m’appelant et me demandant où il fallait le replanter. J’ai répondu qu’ils devaient demander au propriétaire !
Ils sont partis et rien ne se passera sur ce terrain. Je souhaite qu’ils demandent à Dorian d’annuler la vente, ça permettrait de vendre à quelqu’un d’autre. Il n’y a pas que des gens de mauvaise foi dans le monde quand même !
L’univers s’organise. Dorian n’aura pas ce souci avec eux. Il a perdu de l’argent bien sûr mais c’est un moindre mal.
Ma mère est dans son monde depuis ce matin, je n’ai pas réussi à la remettre à l’endroit. Elle est restée calme pendant les événements de la matinée, mais là, elle marche sans arrêt depuis qu’elle a fini de manger. Je suis allée m’allonger dans le deuxième lit et je me suis endormie. A deux heures et quelques je me suis réveillée et j’ai attaqué la vaisselle qui s’est accumulée. Il n’y a plus personne pour la faire maintenant. Mais bon, je trouve que ça ne va pas si mal que ça : le linge est lavé à temps, la vaisselle traîne un peu et les deux maisons sont dans un état quasi normal.
Je vais finir de récurer les casseroles et après je fais des beignets de bananes jaunes mais cuits dans l’eau et non dans l’huile, sinon ce serait trop gras.
Même jour mais à 18 H 30
J’avais déjà fermé sa porte. Elle était en train de manger dans sa maison car elle a refusé de manger en même temps que moi, prétextant que je n’étais pas sa famille. Je suis revenue dans ma maison, me suis servie un verre de lait avec un peu de chocolat en poudre. Je n’avais pas l’intention de revenir dans sa maison car elle n’était pas calme du tout quand j’ai fermé sa porte.
Et cette phrase est venue : ne pas subir, mais l’accompagner.
J’ai compris que je devais encore faire un effort : lui amener le même verre de lait au chocolat que je venais de boire « en suisse », seule. Mauvaise conscience encore une fois de manger ou de boire quelque chose et elle pas.
Mais cette phrase a son importance : subir c’est de la souffrance augmentée car subir c’est ne pas accepter ce qui nous arrive mais pensant que l’on ne peut pas faire autrement, on dit qu’on subit ; l’accompagner c’est se mettre à ses côtés et lui donner la main pour qu’elle fasse encore un bout du chemin, comme on le ferait pour un enfant même s’il a mauvais caractère. Et dans l’accompagnement, il n’y a pas de souffrance augmentée. C’est une souffrance compatissante. On sait que la personne à côté de soi souffre, l’accompagner c’est prendre un peu de sa souffrance.
NE PAS SUBIR
Accompagner pour ne pas subir
A chaque jour suffit sa ride
A chaque phrase suffit sa rime.
J’ai donc amené un verre de lait au chocolat à ma mère. Elle avait fini de manger ses beignets de bananes jaunes et son riz. Elle était encore bien excitée mais contente de voir que je lui apportais quelque chose de plus. Elle m’a remerciée chaleureusement, j’ai pu lui dire que je revenais demain matin pour le petit déjeuner, elle a glissé entre deux de ses sempiternelles phrases « alors tu me laisses seule » mais je n’ai pas répondu. Lui ai dit « à demain, bonne nuit » Ouf ! pas de scandale, pas de cri, pas de cinéma. Rafi m’attendait dehors tout content de rentrer à la maison pour dormir avec le ventre plein puisqu’il avait déjà mangé ses croquettes.
Et voilà comment je me retrouve encore sur mon lit, le dos calé contre le mur, bien à l’abri sous ma moustiquaire géante, avec mon ordinateur sur mes cuisses.
Quelqu’un m’a dit – je crois que c’est mon voisin architecte – que c’était important que je tienne un journal. Je ne sais pas si ça m’aide, mais je crois bien que oui car je vide mon sac et je creuse un peu plus les situations pour les comprendre : ne pas les subir, mais les accompagner. Voilà pourquoi ce doit être important d’écrire ce que l’on a sur le cœur.
Ne pas subir, mais accompagner
Ne pas rejeter, mais comprendre avant de tout jeter en bloc
Ne pas nier, mais avoir le courage de regarder la situation en face
Ne pas s’énerver, mais avoir la force d’écouter l’autre
Ne pas critiquer, mais se mettre à la place de l’autre
Ne pas, ne pas…. La liste pourrait être longue
En changeant la tournure des phrases :
Accompagner pour ne pas subir,
Comprendre pour ne pas rejeter,
Regarder en face pour ne pas nier,
Ecouter l’autre pour ne pas s’énerver,
Se mettre à la place de l’autre pour ne pas critiquer
Cela donne plus de force.
Quand je disais à Eliana et Angel ce matin que ma mère m’apprenait beaucoup, que toute situation a été provoquée par nous-mêmes dans un but bien précis : de nous apprendre quelque chose, de nous rendre plus fort. J’ai ajouté qu’il fallait que le corps puisse suivre car certaines situations mettent à rude épreuve les nerfs, le cœur, les muscles. Angel et Eliana comprennent ce genre de langage car ce sont des gens généreux mais ils ont un peu peur pour ma santé car ils m’ont dit que mon visage avait beaucoup changé. C’est vrai, le manque de rire et de sourire est en train de modifier un peu mon visage qui risque de se durcir et de prendre quelques rides supplémentaires en plus de quelques cheveux blancs. Mais est-ce important ? S’il faut en passer par là pour atteindre la sérénité, ce n’est pas cher payé.
OU SONT PASSEES MES JOIES SIMPLES ?
Où sont passées mes joies simples ?
Où sont passées mes contemplations ?
Où sont partis mes sourires ?
Toute mon énergie est tournée vers ma mère ;
Tout mon univers s’est rapetissé ;
Pourtant, je sais que j’ai raison de continuer.
Mes doutes ne font que renforcer mon dévouement ;
Mes douleurs m’aiguillonnent pour que j’avance
Malgré les difficultés quotidiennes.
A chaque jour suffit sa ride !
A chaque phrase suffit sa rime !
Lundi 28 novembre 2011
Que dire de plus que je n’ai déjà dit ? Que penser de plus que je n’ai déjà pensé ?
Pourtant à chaque jour vient sa peine ou vient sa joie ou les deux à la fois.
Quand il m’a fallu appeler le géomètre pour savoir à la fin si oui ou non ses mesures sont acceptées, j’ai fait un effort supplémentaire. Lorsqu’il m’a laissé entendre qu’un inspecteur du cadastre viendrait vérifier sur place peut-être ses mesures, je ne me suis pas énervée. Il me rappellera demain pour me le confirmer. Mais je connais déjà la réponse. Bien sûr que ses mesures ne sont pas bonnes. Il n’a pas fait son travail correctement et il essaie par tous les moyens de nous le cacher. Maintenant ce n’est pas un inspecteur qui viendra, mais tout simplement un autre géomètre, un copain à lui sans doute, pour refaire ses mesures qu’il n’a pas su faire. Je doute réellement qu’un inspecteur du cadastre se déplace pour vérifier sur place sur le terrain. Ces gens-là ont d’autres moyens aujourd’hui pour vérifier les bornes. Mais de tout ça, je n’ai dit mot, j’ai seulement répondu « O.K. » en attendant demain. Je n’ai pas envoyé de message à Dorian, ce n’est pas la peine puisque ce n’est pas sûr.
J’ai reçu un message de Souricette qui le termine par « tu me manques ». Je ne peux même pas lui répondre « moi aussi » car ce que je ressens en pensant à elle n’est pas un manque. Elle ne me manque pas au sens où on l’entend généralement. La distance entre nous, je ne la sens pas. Le fait de ne pas la voir physiquement ne me manque pas puisque je l’ai tellement présente à l’esprit que j’ai l’impression de la voir. Mais comment expliquer ça ? Ce fait, pour moi, n’est pas nouveau. Lorsque je restais des années sans voir mes amies, lorsque je les retrouvais, c’est comme si je ne les avais pas quittées d’une seconde. Mais Souricette a besoin d’une présence physique amie, la présence spirituelle ne lui suffit pas. Si ma vie était vide, ou triste, peut-être que je réagirais pareil ? Est-ce que la vie de Souricette est vide ? ou bien triste ? Je ne crois pas pourtant, elle est bien remplie, mais elle n’est pas heureuse.
Ma chatte vient de me rejoindre dans mon lit. Elle fait ses griffes sur les muscles de mon bras gauche. Ça pique un peu de temps en temps, mais je suis si contente qu’elle soit là que je la laisse faire.
Ce qui me fait prendre conscience que mes animaux, lorsque j’étais aux Fieux m’ont manqué eux !! Est-ce qu’ils m’ont réellement manqué ? Ou bien le fait de les savoir entre des mains inconnues me faisait sentir leur absence ? Lorsque Rafi est resté chez Dorian, il ne me manquait pas. Je savais qu’il était entre de bonnes mains. Le manque s’expliquerait dans ce cas par le fait que la personne ou bien l’animal qui nous manque, nous manque parce qu’on le sait malheureux. Si on sait quelqu’un de très cher, heureux et sans souci, il ne doit pas nous manquer. Bon, je laisse ces interrogations à leur place. J’y reviendrai une autre fois peut-être.
Ce soir, je suis fatiguée. Je paie certainement la rançon des deux derniers jours. J’ai arrangé la palissade du terrain, j’ai fait tomber tous les piquets qui ne tenaient que par une liane. Les termites avaient fait leur travail. Il reste en place heureusement tous les « palos vivos » qu’on appelle ici « pignons ». Ce sont des gliricidias qui fleurissent rose. Ils ont la bonne idée de s’enraciner très vite, même avec très peu de terre. Les fils de fer barbelés ont tenu ce qui m’a permis de rajouter autant que nécessaire de jeunes branches de pignons qui deviendront des arbres qu’il faudra élaguer à leur tour dans un an ou deux.
Ma mère a déjà éteint ses lumières. Hier, lorsqu’elle m’a vue sur la citerne, elle s’est énervée et a voulu casser mes tuyaux qui m’amènent l’eau à la fois à ma maison et à la sienne. Je l’ai engueulée. Et lorsque je suis descendue pour l’éloigner des fameux tuyaux, elle a attrapé un tuyau que j’avais mis de côté pour m’en servir de borne sur le terrain du bas. Ce tuyau d’eau est rempli de ciment puisqu’il m’a déjà servi comme manche de je ne sais plus quel instrument de culture, donc il pèse un peu. Mais elle ne m’a pas frappée, elle l’a reposé tranquillement et puis est partie. Je suis remontée sur ma citerne et lorsque je suis redescendue peu de temps après, elle était normale et elle m’a dit comme si elle avait besoin de justifier sont énervement : « j’ai eu peur que tu tombes tout à l’heure ! ».
Sa violence a comme source la peur encore la peur, toujours la peur. Quoiqu’on fasse, quoiqu’on dise, il y a souvent la peur comme explication aux comportements humains violents et destructeurs. En tout cas, elle l’a dit, donc elle en a eu conscience. Son cerveau est le siège d’une belle confusion, mais ça n’empêche pas des comportements cohérents et des réflexions étonnamment justes et bien à propos.
Si ce n’était ses dérèglements quasi journaliers, au moment des repas, où elle demande inévitablement où est sa famille, on pourrait penser qu’elle n’est pas malade du tout.
Comprendre pour ne pas rejeter. Il est vrai que si l’on se met dans la tête que l’autre est malade, que son cerveau est en pleine confusion, on a tendance à moins écouter ce qu’il dit puisqu’on a décrété que ça ne peut pas être quelque chose de sensé ! Alors on n’écoute pas ! Ou on n’entend pas, même si on écoute ! Pourtant, ce qui me rend la vie difficile, c’est justement parce que je l’écoute, que je ne peux pas ne pas l’entendre. Tout ce qu’elle dit me rentre dans la tête et j’ai tendance à l’analyser. Je me rends certainement la vie encore plus difficile de cette façon. Si j’étais capable de boucher mes oreilles ou de faire comme font beaucoup de gens de faire semblant d’écouter, mais en fait, ils n’écoutent pas, ils restent branchés sur leur monde intérieur et les paroles de l’autre n’entrent pas, sauf peut-être si l’autre se met à crier. Mais je ne peux pas faire ça, je dois avoir les oreilles trop bien ouvertes pour ça.
Stop, je suis fatiguée, je dois me reposer, je baille à m’en décrocher la mâchoire, ma chatte est roulée en boule et semble dormir à côté de moi, je vais faire comme elle.
Mardi 29 novembre 2011
La réponse du géomètre vient d’arriver : le terrain du bas chevauche le terrain qui est devant le nôtre en regardant vers la mer. Il paraîtrait qu’il chevauche de beaucoup l’autre terrain. Comment cela est-il possible ai-je demandé, puisque nous avons obtenu le papier officiel du cadastre pour le terrain entier ? Le problème aurait du sortir à ce moment-là ? Non, m’a-t-il répondu car les lois ont changé. En fait, la carte du cadastre a été faite avec à l’origine les mesures faites sur le terrain avec des appareils plus ou moins fiables alors que maintenant ce sont des mesures fiables grâce au satellite. Je lui ai demandé s’il n’y avait pas une autre solution que de demander un inspecteur du cadastre pour vérifier ça, par exemple, perdre un peu de terrain et continuer le travail de cadastrage des parcelles. Là, la surprise : le chevauchement en question porterait sur à peu près mille m2 ! Mais il n’en est pas sûr, il faut attendre deux jours pour savoir si un inspecteur vient, etc.….
Je doute quand même de lui puisque ça fait un an qu’il a notre titre original et ça fait un an qu’il dépose et redépose nos papiers pour obtenir ces titres de propriété individuels des sept parcelles. Ce problème était peut-être déjà sorti et il ne savait pas comment le résoudre. Ça me rappelle notre première géomètre, qui a laissé passer le temps en inventant combien d’histoires pour finalement ne rien faire car elle ne savait pas comment faire dans le cas d’une société. Ce géomètre n’a peut-être jamais eu ce genre de problème.
J’ai envoyé un message à Dorian pour lui expliquer tout ça et qu’en plus ça va prendre un mois de plus que prévu. Il ne m’a pas répondu.
Ce matin, le mari d’Anna-Maria est venu, chargé de légumes et de fruits. J’en ai été gênée car y en a vraiment beaucoup (poivrons, céleris branche, concombres, salade, betteraves rouges, carottes, chou-fleur, brocoli, tomate, pommes de terre, ail, oignon, bananes fruit et platanos, avocats, oranges amères). Tout ça vient de la cousine d’Anna-Maria qui est venue passé le week-end chez eux et elle a laissé toute cette nourriture. Et elle m’en a donné une bonne partie ! J’avais fait ma liste pour aller faire les courses et je me retrouve avec une grande partie des légumes que je voulais. Je n’ai pas voulu descendre aujourd’hui car il a plu une bonne partie de la journée. On ne se mouille pas en voiture, mais comme je n’ai pas confiance en elle, il suffirait qu’il y ait encore un os et je me retrouverais sous la pluie. Je n’ai pas envie de ça. Je veux toujours du soleil maintenant quand je descends. C’est certainement un signe de vieillesse ! Je ne veux pas me mouiller. Pourtant quand je suis sur le terrain et que la pluie arrive, ça m’est égal, car je peux me changer si je suis trop mouillée, mais à Las Galeras, je serai obligée de garder mes vêtements sur moi. Oui, j’ai changé, c’est un signe de vieillissement.
Ma mère a été normale toute la journée. Je n’ai eu droit que ce soir, juste avant le souper à son éternelle question : « Et ma famille, où elle est ? » mais je l’ai remise dans notre monde et elle y est restée.
Un peu de difficultés pour aller dans sa maison dormir car il faisait encore jour et que je ne dormais pas avec elle. Je me suis allongée sur le hamac un peu et quelques minutes ont suffi pour qu’elle accepte de rentrer chez elle et que je ferme la porte jusqu’à demain matin. A chaque fois que je ferme la porte ainsi, sans difficulté, je ressens un tel soulagement que c’est là que je constate le changement incroyable qui s’est produit en elle depuis notre arrivée. J’ai dit au mari d’Anna-Maria de dire à sa femme que ces « oracions » ont du porter leur fruit car elle n’a plus de violence et elle est de plus en plus présente dans notre monde.
Parfois, je me demande si je suis tout à fait objective : est-ce que je ne colore pas trop de rose quand tout va bien avec elle ? Est-ce-que vraiment le changement est si grand que ça ? Quand je nettoie son carrelage parce qu’elle a pissé sur le rebord de son lit et que son oreiller a servi à éponger cette pisse ; lorsque je dois désinfecter le matelas parce qu’il a été aussi aspergé, est-ce-que c’est une amélioration ? Je crois que oui par rapport à l’année dernière à la même époque. D’ailleurs, elle était à La Grande Terre à cette époque. Bof ! Est-ce important amélioration ou pas ?
Elle continue à me faire progresser, c’est ça le plus important.
POURQUOI JE VIS ?
Pourquoi je vis ?
Tout m’est étrange, étranger, inconnu ;
Je n’ai plus de sentiment humain,
Je ne suis qu’indifférence lointaine
Alors…. Pourquoi je vis ?
Demande la mère malade.
« Pour que ta vie défroisse la mienne, maman !
Pour que s’éveille ma compassion,
Que ma patience devienne ma seconde nature,
Que ta déchéance me montre la mienne future,
Que tes colères inutiles me servent de miroir,
Pour que tes questions posées mille fois par jour
Trouvent des réponses, heurtant ton front
Sans jamais pénétrer ta mémoire
Mais craquellent mon cuir durci par l’égoïsme. »
Pourquoi je vis ?
Continue de demander la mère.
« Je ne sais pas, maman, demande au ciel ! »
Si elle pouvait savoir et comprendre que sa maladie sert à ma progression spirituelle, elle se sentirait encore plus utile. Car, elle se sent utile quand je lui demande de faire des menus travaux. De plus en plus, je la charge d’aller porter telle ou telle chose dans l’une ou l’autre des maisons pour qu’elle enregistre bien qu’il y en a deux, comme aux Fieux, que je vis dans l’une et elle dans l’autre. Ça a l’air de marcher. Elle est capable d’aller chercher quelque chose de facile à trouver dans l’une ou l’autre des maisons. Elle dit toujours en partant le faire qu’elle ne sait pas si elle le trouvera, mais elle revient avec presque à chaque fois. Ce qui veut dire que sa mémoire a fait double travail : celui de mémoriser la chose à aller chercher et celui de savoir où était l’autre maison. Parfois, je lui demande d’aller voir si la jument a encore de la nourriture ou de l’eau. C’est un peu plus difficile mais elle y arrivera aussi.
J’ai remarqué un changement dans le comportement de Mimine par rapport à elle : comme elle ne la chasse plus du tout, Mimine vient près de nous sans problème. Je la monte dans mon hamac et elle n’a plus peur de ma mère. Rafi, lui, continue de s’enfuir quand il sent le changement de personnalité. Mais il y a bien longtemps maintenant qu’elle ne l’a pas chassé non plus. Elle le caresse de plus en plus souvent et c’est un sujet de discussion pour elle inépuisable : « il a mangé, le chien ? Comment il s’appelle déjà ? » Je réponds : « Ra » et elle continue : « Rafi ?, c’est ça ? C’est un beau nom Rafi ! » Et les sempiternelles questions - son oreille cassée recousue, sa boule du côté de l’épaule droite, son âge - auxquelles il me faut répondre sans me lasser. Par moment, je me demande, quand je lui réponds pour la énième fois : « il a 11 ans », comment je fais pour répondre ainsi. C’est un mystère pour moi. Est-ce ça la compassion ? Est-ce de l’amour filial ? Les deux à la fois ?
Eliana, l’autre jour, m’a dit que j’irai sûrement au paradis parce que je me sacrifiais pour ma mère, je lui ai répondu que j’espérais bien que non, qu’il y avait trop de gens malheureux et tristes sur la terre et qu’il fallait les aider du mieux que l’on pouvait, que sans ma mère, je n’existerais pas, donc il était naturel de lui porter secours. Quand j’ai eu répondu ça, en filigrane dans mon esprit, m’est revenue des bribes de lecture du livre de Sogyal Rinpoché où il raconte qu’un maître avait eu les signes d’une renaissance future dans le royaume d’un bouddha (je ne sais plus lequel). Ce maître en question a demandé à ses disciples de prier pour que cela n’arrive pas, qu’il voulait revenir aider son prochain sur la terre. Je m’aperçois que ce livre imprègne non seulement ma façon de vivre, mais ma façon de parler aussi et de penser bien sûr. L’éveil d’une compassion véritable s’est peut-être fait petit à petit. Il y a maintenant plus de dix ans que je vis avec ce livre, même si par moment, je l’ai un peu oublié, surtout lors de mon installation ici les premières années. Mais j’avais déjà commencé à m’en imprégner avant de venir ici.
Un guide, une source inépuisable de paroles justes qui touchent au plus profond de moi une corde qui ne demandait qu’à se tendre vers des latitudes où la bonté, la générosité et la compassion sont reines.
Ne suis-je pas en train de me comparer à un maître ? Est-ce que mon égo est si dégonflé que je veux bien le croire ? N’est-ce pas un des pièges de l’égo que de se servir de ce livre pour en profiter de grossir encore un peu ? Lorsque les gens me disent qu’ils m’admirent pour avoir le courage de garder ma mère, mon égo se trouve flatté : je suis admirable ! Où est la frontière entre un égo démesuré et une personne humble ? L’humilité est-elle réellement dans ma vie ? Je ne crois pas. Je ne me sens pas humble lorsque je me compare à un maître. Je ne suis même pas un disciple, ni un étudiant, je suis seulement en train d’utiliser ce livre pour accepter ma vie difficile en y trouvant des explications terre à terre et qui m’aident à résoudre d’une certaine façon mes états d’âme.
Voilà une autre avancée sur le chemin. Un pas de plus, après avoir fait un bon en arrière. Je coupe les cheveux en quatre peut-être ? Où va me mener ce genre de réflexions ? « Psychologie de Monoprix, dirait Hubert, le mari de Souricette ! » Monoprix étant un supermarché bon marché (du moins l’était à l’origine) mes réflexions ne valent pas grand-chose sans doute !
Pff ! Quelle importance ? J’écris ce qui sort de ma tête. Qui lira tout ça ? Qui aura le temps de lire ça ? Dorian ? Souricette, Josepha, Clothilde, Erel dans quelques années ? C’est peut-être tout simplement indigeste à lire car ça tourne autour de ma mère et de mon gros moi. Avaler ça ne doit pas être facile si on ne se sent pas concerné par ma vie.
LE DIAMANT BLEU
L’éclat mystérieux d’un diamant bleu
Est venu caresser mon âme.
Depuis cette nuit blanche,
De souffrances en félicités,
J’implore cette caresse éclatante
Sans savoir ni qui elle est, ni d’où elle vient.
Que m’importe l’origine de cette lumineuse bleutée !
Que m’importe mon passé sans elle !
Que m’importe de savoir où elle va
Quand elle n’est pas visible !
L’unique vérité est qu’elle existe.
Apparue dans la nuit noire,
Lorsque chantait un grillon,
De joie elle m’a inondée ;
De reconnaissance, mes larmes ont coulé,
Nettoyant mes doutes et mes hésitations.
Voir l’éclat mystérieux de ce diamant bleu,
Sentir son cœur gonflé par tant d’amour,
Verser des larmes fraîches de bonheur,
Savourer l’instant inoubliable de cette lumière,
Savoir enfin que nos prières sont exaucées :
C’est le cadeau d’un ciel empli de compassion
Envers une âme humble cherchant son chemin
A travers les broussailles épineuses d’une forêt sans soleil.
Mercredi 30 novembre 2011
Cette fois-ci je crois que j’ai compris ! Il n’est plus question que j’écrive quoi que ce soit sur ma mère! Pendant que j’écrivais qu’elle s’améliorait, elle crépissait le pied de son lit ! Bonjour le couvre-lit, bonjour les draps et même la taie d’oreiller !
Donc mes écrits renforcent mes pensées et l’univers y répond. J’écris ou je pense qu’elle ne salit plus partout, et voila la réponse : l’univers ne fait pas la différence entre le négatif et le positif, il enregistre seulement la signification de quelque chose. Dans ce cas il enregistre qu’il y a de la saleté dans un endroit et celle-ci s’y met allègrement !
S.T.O.P. ! S’il vous plaît, Taisez-vous, Oubliez vos Pensées !
A partir d’aujourd’hui, je n’écrirai plus que des poèmes ou des contes pour enfants-adultes ou adultes-enfants.
Demain sera un jour nouveau et un mois nouveau et le dernier mois de cette année que je ne qualifierai pas sinon l’univers me répondra.
NE PLUS PARLER - Ne plus parler, se taire et faire taire ses pensées, regarder, admirer, encourager du regard et d’un sourire, mais ne plus parler, ne plus écrire.
EPILOGUE
Je ne sais pas comment finira tout ceci, mais je sais que je fais ce que je dois faire et je n’ai aucun regret. Mes fatigues, mes lassitudes, mes efforts, ma vie de tous les jours, je les dédie à ma mère parce que je le veux bien.
Lorsque mes amis me disent gentiment qu’ils m’admirent, bien sûr, je sais que c’est un compliment, mais en fait, c’est évident pour moi de faire ce que je fais, il ne pouvait pas en être autrement.
J’ai 60 ans passés, ma mère aura 86 ans dans deux mois. Mon fils a 42 ans et mon petit-fils 6 ans. Je sais que nous sommes liés et que ma vie doit servir à nettoyer le karma accumulé dans cette famille.
ANNEXE
CRRIKETOU LE HARICOT ROSE
Je m’appelle Crrikétou , je viens juste de naître dans une terre rouge, chaude et parfumée. J’ai déjà deux feuilles et deux autres sont en train de grandir.
Mes frères et mes sœurs grandissent autour de moi et nous chantons souvent cette chanson :
- « Daguedidou Pok Pok ! »
- « Daguedidou Pok Pok ! »
- « Dieu de la Pluie ! Fais tomber sur nous notre nourriture préférée ! »
Depuis maintenant trois longues semaines, nous chantons pour que Daguedidou, le Dieu de la Pluie, nous envoie de grosses gouttes d’eau chargées de l’énergie du ciel, mais à part les gouttes de rosée du matin, rien ne vient et nous commençons à dépérir.
- « Daguedidou Pok Pok ! Daguedidou Pok Pok ! »
- « Entends notre chant ! Nous avons soif ! »
Voyant ses frères et ses sœurs courber la tête sous le soleil brûlant de midi, Crrikétou le haricot rose décida de tenter quelque chose pour sauver sa famille de la sécheresse.
Crrikétou le haricot rose n’a pas de jambes, n’a pas de bras, ne peut pas parler, ni même miauler, ni aboyer car c’est un végétal. Alors quels moyens lui reste-il pour aller chercher de l’eau à la citerne ? Etendre ses petites racines jusqu’à elle ? Mais il manquera de force sans eau ! Impossible ! Faire pousser toutes ses feuilles pour protéger de leurs ombres ses frères et sœurs ? Aussi difficile, sinon plus que d’étendre ses racines ! Alors il faut trouver une autre solution.
- «Il faudrait que je communique avec la propriétaire de la terre chaude et parfumée » pense Crrikétou le haricot rose.
Mais c’est un humain et les végétaux et les humains vivent les uns à côté des autres sans communiquer. L’humain n’entend jamais le chant de la pluie.
- « Qui entend le chant de la pluie des haricots roses ? » se demande Crrikétou le haricot rose.
- « Uniquement le Dieu de la Pluie Daguedidou Pok Pok, uniquement lui » conclut-il.
- « Donc c’est avec Daguedidou Pok Pok qu’il faut que je passe pour atteindre le monde des humains.
Et Crrikétou le haricot rose, toute une nuit et toute journée, il chanta seul pour Daguedidou Pok Pok. Voici son chant tel qu’il a été transmis par le Dieu de la Pluie à la propriétaire de la terre rouge, chaude et parfumée :
- « Daguedidou Pok Pok ! Ecoute mon chant ! Depuis trois semaines, pas une goutte de pluie n’est tombée sur nos jeunes feuilles ! Les premiers de mes frères et sœurs ont déjà leurs premières feuilles desséchées. Nos fleurs blanches et roses commencent à éclore et ne pourront jamais donner la fameuse gousse de haricot vert si doux. Et encore moins nous aurons la force de faire grossir nos grains roses dans les gousses si la pluie ne vient pas nous nourrir ! Daguedidou Pok Pok ! S’il te plaît ! Ne nous laisse pas nous dessécher »
Ainsi il supplia une nuit et un jour mais la pluie ne vint pas.
Crrikétou le haricot rose se demanda alors si le Dieu de la Pluie Daguedidou Pok Pok n’était pas sourd. Mais comment chanter plus fort si je n’ai pas assez de force ? Voyant que le chant ne produisait aucun effet, il chercha une autre idée. Mais n’en trouva aucune de bonne.
Une autre semaine de sécheresse passa et déjà certains de ses frères et sœurs étaient desséchés et commençaient à disparaître dans la terre rouge, chaude et parfumée.
Un jour, ou bien était-ce une nuit ? Une grenouille dorée aux grands yeux verts traversa le champ de haricots roses. Et l’idée de parlementer avec la grenouille sauteuse vint à l’esprit de Crrikétou le haricot rose.
- « Grenouille dorée aux grands yeux verts, écoute-moi, arrête de sauter, j’ai besoin de ton aide pour sauver ma famille ! »
- « Qui es-tu ? Végétal ou minéral ? »
- « Crrikétou le haricot rose, un végétal assoiffé et j’ai besoin d’eau et toute ma famille avec moi sommes en train de mourir de soif ! »
- « Que veux-tu que j’y fasse ? Fais-toi pousser des pattes à la place de tes racines ! Et comme ça tu pourras aller chercher de l’eau à la citerne ! »
- « Grenouille dorée aux grands yeux verts, tu plaisantes avec la souffrance de mon peuple végétal. Ne vois-tu pas que nous mourrons ? »
- « Si je le vois bien, mais je ne comprends pas comment je peux te donner ce que tu désires ? »
- « Tu es une grenouille et tu dois avoir de la famille aussi, alors j’ai pensé que si toute ta famille allait chercher une bouchée d’eau de la citerne et venait la déverser à chacun de nos pieds, nous pourrions survivre jusqu’à la prochaine pluie » expliqua Crrikétou le haricot rose.
- « Tu te rends compte du temps qu’il va falloir pour donner à boire même ne serait-ce qu’une fois à chaque pied ? Vous êtes plus de deux cents pieds de haricots ! Tu demandes l’impossible végétal ! »
- « Demande à ta famille, peut-être qu’elle voudra nous aider ? » implora Crrikétou.
- « D’accord ! » répond la grenouille dorée aux grands yeux verts, « mais je doute que cela soit possible »
- « Merci d’essayer « répondit tristement Crrikétou le haricot rose.
Une nuit passa, avec un peu de rosée fraîche pour assurer la survie des pieds les plus forts et la grenouille dorée aux grands yeux verts revint, accompagnée du crapaud noir à la peau boursouflée.
- « Voici notre cousin le crapaud noir, lui, il a bien voulu écouter et il veut bien t’aider pour te donner de l’eau avec l’aide de sa famille. A eux tous, ils peuvent arroser de leurs urines chaque pied d’haricot rose. Ce sera plus efficace et plus rapide que nos petites bouchées »
- « Fantastique ! » s’écria Crrikétou le haricot rose, « Merci à tous les deux et à vos familles ! »
C’est ainsi que la propriétaire de la terre rouge, chaude et parfumée eut la surprise de voir une dizaine de crapauds noirs à la peau boursouflée, déverser leurs urines dans ses plantations de haricots roses.
Quelques pieds furent écrasés par les gros crapauds qui décidèrent de dormir sur place, mais la plupart des haricots furent sauvés.
- « Daguedidou Pok Pok ! Daguedidou Pok Pok ! » chantèrent les haricots roses survivants avec plus de force et une nuit et un jour plus tard, enfin, le Dieu de la Pluie envoya son eau sur les feuilles des haricots roses.
- « Daguedidou Pok Pok ! Daguedidou Pok Pok ! C’est le chant de la pluie ! »
REMERCIEMENTS
Je ne vais pas dresser une liste mais simplement dire un grand « MERCI » à tous ceux et toutes celles qui m’ont côtoyée et qui me côtoient encore.
Merci à ma mère d’être ce qu’elle est.
Je ne peux passer sous silence l’aide que m’ont apporté mon fils Dorian et sa famille, mes amies Souricette et Clothilde, mes cousines Josepha, Marine, Juliette et leur famille. Merci à Anisette pour avoir accepté que je passe quelques mois dans sa maison de Las Galeras.
Une reconnaissance sans borne me lie maintenant au peuple Dominicain. Grâce aux 11 ans passés ici, leur mode de vie et leur humanité ont transformé ma personnalité. Merci plus particulièrement à Anna-Maria, mon amie depuis 11 ans ; elle est devenue une sœur pour moi (je suis peut-être la réincarnation de sa grande sœur morte dix mois avant ma date de naissance, ce qui expliquerait que nous nous soyons « reconnues » malgré le temps et la langue différente)
Merci à vous qui venez de lire ce témoignage. J’espère qu’il vous sera de quelque utilité si vous avez autour de vous une personne atteinte de cette maladie.
Merci à ma bonne étoile bleue qui a mis sur mon chemin Le Livre Tibétain de la Vie et de la Mort de Sogyal Rinpoché.
Et au-dessus de tout, je sais que je dois remercier simplement la vie.
MERCI LA VIE
Merci la vie de tous tes cadeaux !
Merci la nature de ta générosité !
Merci mes compagnons à quatre pattes
De votre présence indéfectible !
Merci l’espace, indélébile et bleu le jour
Encre de chine et argent la nuit,
Pour tes flots d’énergie liquide
Tombant sur mes épaules nues.
L’amaryllis sauvage dresse sa tige vers le ciel
Et va heurter le laurier rose ;
La brise les fait danser ensemble malgré eux,
Comme les humains ils essaient de cohabiter
Jusqu’à ce que le plus faible se fane et meurt.
La passiflore jette son dévolu sur les hibiscus
Enroulant ses vrilles sur la moindre tige,
Elle sait qu’elle doit s’élever pour fructifier,
De même, l’homme saisit les opportunités
Pour avancer et donner un avenir à ses fruits.
Le cactus déraciné continue de fleurir
Et de grandir car il se contente de l’air humide,
Peu lui importe la terre à ses pieds,
Seuls lui suffisent l’eau et le soleil ;
Ainsi l’homme heureux se contente
De son présent et quelles que soient les difficultés
Rien ne l’empêche d’avancer.
29.01.2012
Achevé de corriger, installée dans mon hamac, face à la mer et au superbe Cabo Cabron!

ADRESSES UTILES
Aucune!
C’est en vous que vous trouverez les chemins qui vous permettront d’avancer. La vie met sur votre route toutes les personnes, toutes les situations dont vous avez besoin. A vous de savoir décrypter ce qui vous arrive.
Bonne vie ! Bonne chance !
« La misère est moins triste au soleil…. »